Chanteuse de charme

La soprano belge Anne-Catherine Gillet est à l’affiche de l’opéra Béatrice et Bénédict d’Hector Berlioz à la Monnaie. Portrait d’une artiste lyrique aux antipodes de la diva qui vocalise en son miroir.

Elle aurait pu devenir comédienne, exceller dans un one- woman-show, voire monter un duo avec Calogero. Eh bien non. Anne-Catherine Gillet a succombé au chant des sirènes lyriques. Superbe, affublée d’une minijupe léopard et d’un chemisier fendu caché sous une cascade de cheveux bruns, elle a la langue bien pendue et un sens de la répartie bien aiguisé : pour un peu, on se verrait bien prendre l’apéro avec elle en copines. La pétillante soprano parle avec la même gouaille de Berlioz ou d’Alice on the Roof et London Grammar – Anne-Catherine est une chanteuse de son temps.

Née à Libramont en 1975, elle grandit dans un environnement animé. A la maison, la radio est allumée presque 24 heures sur 24, et sur la commode du salon, le disque de Richard Clayderman côtoie Les 100 chefs-d’oeuvre de la musique classique. Petite, elle se déguise et monte des spectacles. C’est un vrai chef. Sa grand-mère trouve qu’elle a une voix  » forte  » ; elle se met donc à enregistrer sa petite-fille. Au menu : variété et génériques de dessins animés.  » Dans ma famille, c’était soit la musique, soit le sport.  » Anne-Catherine choisit du modern jazz –  » des mises en espace sur Fais comme l’oiseau de Michel Fugain « , plaisante-t-elle. Elle pratique aussi le judo, la natation, l’équitation, l’athlétisme et le volleyball. Puis vient l’adolescence. Anne-Catherine est l’originale de service. Elle aime provoquer – porte ses vêtements coutures apparentes et tirette sur les fesses. C’est pourtant à cette époque qu’elle délaisse le rôle de leader.  » Je faisais toujours partie du troupeau de tête mais je ne voulais plus être la première, le porte-drapeau.  »

Cruche à souhait

 » Je devais avoir 14 ans lorsque j’ai accompagné une amie à un stage de flûte à bec. Ça a été une révélation. Je me suis inscrite à l’académie de musique de ma région, j’ai pris d’abord des cours de solfège, puis de flûte traversière.  » Deux ans plus tard, son professeur de solfège lui dit qu’elle a une jolie voix. Direction Bouillon où elle est reçue dans la classe de chant de Françoise Viatour. Anne-Catherine a 16 ans et une voix de  » gentil chérubin « . Sans trop d’aigu ni trop de grave. Et quand son professeur lui demande de travailler son vibrato, Anne-Catherine s’imagine bêler comme une chèvre.  » J’ai commencé de zéro. Je n’y connaissais rien, je n’étais jamais allée voir un opéra de ma vie !  » A 18 ans, l’option du Conservatoire est mise de côté.  » C’était trop tôt.  » Elle s’inscrit donc en histoire de l’art, section musicologie à l’UCL. Erreur de casting.  » Eh bien, chante si tu aimes chanter ! Qu’est-ce que tu as à perdre ?  » Sur les conseils de sa soeur, elle abandonne les syllabus et entre au Conservatoire de Bruxelles.  » J’ai été l’élève de Jules Bastin, et la première année, j’ai « mangé » autant de répertoire que je pouvais !  »

Au bout de six mois, Anne-Catherine passe une audition à l’Opéra royal de Wallonie. Le metteur en scène Philippe Sireuil cherche une Barberine pour Les noces de Figaro. La jeune soprano hésite.  » Il faut bien commencer un jour « , lui répond son professeur. Anne-Catherine est retenue – elle en rit encore.  » Je ne l’ai appris que bien plus tard, mais j’ai été prise parce qu’on me trouvait cruche à souhait ! « Les choses se sont ensuite enchaînées très rapidement. Elle termine le Conservatoire. Jean-Louis Grinda, alors directeur de l’Opéra royal de Wallonie, lui propose d’intégrer sa troupe de jeunes chanteurs. Puis viennent la Monnaie, Genève et Amsterdam. Dès 2003, elle incarne des rôles importants au théâtre du Capitole de Toulouse, elle se fait remarquer par le chef John Eliot Gardiner en 2006 et trois ans plus tard, fait ses débuts à l’Opéra national de Paris.

 » J’ai longtemps été très à l’aise dans les seconds rôles, je me trouvais bien à cette place-là, j’étais encore préservée.  » La signature de sa nature prudente ?  » Plutôt les restes de mon adolescence.  » En musique, elle aime les duos et les trios – elle a l’impression d’y être meilleure.  » Mais je peux aussi être une première ! Il n’y a pas que les tempéraments téméraires qui ont le droit de faire ce métier. Il y a de la place autant pour les chanteurs innés que pour ceux qui doivent bosser plus dur.  » Ce qui n’empêche pas Anne-Catherine de continuer à avoir peur.  » Mon stress, c’est mon meilleur ami et mon pire ennemi. Mais la pensée positive se cultive « , déclare celle qui, sur scène, est capable de presque tout  » pourvu que ça ait du sens  » : faire du trapèze en finissant la tête en bas, déambuler en maillot de bain ou chanter sur une balançoire à… 4 mètres de haut.  » Chanter toute nue, par contre, je ne pourrais pas !  »

Ses rôles dans Carmen avec John Eliot Gardiner ou dans l’opéra Werther aux côtés de Jonas Kaufmann, Sophie Koch et Michel Plasson, et plus récemment l’enregistrement de son nouvel album L’Aiglon de Honegger et Ibert (1) avec l’orchestre symphonique de Montréal et Kent Nagano… Un regard en arrière suffit à montrer le chemin parcouru.

Faire tomber les barrières

Installée depuis une dizaine d’années dans le Namurois avec son mari, violoniste pop, et ses deux enfants, Anne-Catherine s’entraîne chez elle, dans son salon. Poulenc, Muse et Francis Cabrel se disputent la bande originale de sa vie. Et si elle se pose devant la télévision, elle choisit Stéphane Bern. Les feux de l’amour,  » c’est uniquement quand je suis en déplacement, la série me rappelle la maison, c’est ma madeleine de Proust à moi.  » Son podomètre vissé au bras, la piquante cantatrice essaie de bouger un maximum, pour rester en forme et brûler les frites mayo qu’elle enfourne avec un plaisir coupable – l’opéra, confie-t-elle, l’a rendue gloutonne. Et quand elle part en vacances, c’est  » pour faire soit des activités sportives en Ardèche, soit la crêpe dans le sud de la France pépère peinard « .

Sans filtre ni retenue, libre et sincère, Anne-Catherine ne triche pas,  » même cachée derrière un rôle, sous une couche de maquillage ou sous un costume, on ne peut pas !  » Après vingt ans de carrière, son fantasme serait de rempiler pour au moins dix ans.  » Il y a des endroits où j’aimerais beaucoup faire mes débuts, comme le Teatro Real de Madrid, le Liceu de Barcelone ou le Staatsoper de Berlin.  » Dès fin mars, c’est à la Monnaie qu’elle jouera Héro, jeune fille romantique dans l’opéra Béatrice et Bénédict d’Hector Berlioz (2).  » Au début, j’avais peur de ne pas trouver assez d’aspérité pour construire ce personnage mais Richard Brunel, le metteur en scène, a été au-delà de mes espoirs !  » La mise en scène, encore secrète,  » est actuelle « . Et quand on lui parle de l’opéra d’aujourd’hui, elle répond que l’humour y a une place cruciale.  » Il nous rattache aux spectateurs.  » Car tout le challenge est là : faire tomber les barrières entre opéra et public. Avec Anne-Catherine Gillet en porte-drapeau ? Soudain, une vache meugle au dehors.  » Elle vous dit coucou !  » L’oeil vif, elle éclate de rire.

(1) CD : L’Aiglon d’Honegger & Ibert, chez Decca.

(2) Opéra : Béatrice et Bénédict d’Hector Berlioz, Palais de la Monnaie – chapiteau à Tour & Taxis, à Bruxelles. Du 24 mars au 6 avril. www.lamonnaie.be

Par Saskia de Ville

 » Mon stress, c’est mon meilleur ami et mon pire ennemi. Mais la pensée positive se cultive  »

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