C’est Mozart qu’on assaisonne

Christophe Barbier
Christophe Barbier Directeur de la rédaction de L'Express

L’actuel souci d’authenticité n’a pas toujours été partagé par les aficionados parisiens. Tant s’en faut

L’année 1813. Mozart est mort depuis plus de vingt ans, mais n’est pas oublié. Un de ses opéras est donné à Paris. Son titre ? Le Laboureur chinois. Cela ne vous dit rien ? En 1863, il deviendra, par la grâce d’un librettiste sans imagination, Peines d’amour perdues. Cela ne vous dit toujours rien ? Ne cherchez pas davantage, l’£uvre n’est plus donnée depuis longtemps sous ce titre, mais ce n’est pas pour autant un inédit qui dormirait dans les caves du palais Garnier, à Paris. L’opéra en question n’est autre que Cosi fan tutte ! La Flûte enchantée, elle, fut transformée en Les Mystères d’Isisà Aujourd’hui, où l’on a redécouvert un Mozart prétendument  » authentique « , ces extravagances portent à sourire, mais elles faisaient pourtant le bonheur du public de l’époque.

Des coupes dans les partitions

Toutefois, Mozart n’était pas au bout de ses peines. Outre le fait que ses £uvres furent souvent  » rebaptisées « , elles connurent surtout moult défigurations. Ainsi, jusqu’en 1934, la partition de Don Giovanni en usage à l’Opéra de Paris était amputée de 50 pages par rapport à l’original et en comportait 128 d’ajouts, incluant un  » grand divertissement chorégraphique « , sorte de pot-pourri concocté à partir d’£uvres orchestrales de Mozart. La génération romantique mettait l’accent sur la profondeur symbolique de l’ouvrage – quitte à ce qu’il subisse d’importantes distorsions. En 1866, Paris donne trois nouvelles productions de Don Giovanni. Chacune de ces productions, qui modifie l’£uvre en profondeur, présente une orientation esthétique particulière, reflet des types de spectacles qui prédominaient à l’époque. Au Théâtre-Lyrique, on donne en revanche une version plus fidèle à l’original, mais en remplaçant les récitatifs par des dialogues parlés, empruntés à Molière. Au Théâtre-Italien, c’est le chant orné qui l’emporte, et la partition subit de nombreuses coupes, même dans la scène finale du Commandeur, jugée trop lourde pour le goût d’alors. Mais c’est à l’Opéra de Paris que les modifications sont les plus profondes. La partition est tellement remaniée que l’£uvre prend les dimensions qu’on ne lui connaissait pas jusque-là. De deux actes, on passe à cinq, et Don Giovanni se termine aux accents du Requiem, donné dans son intégralité. La scène finale, la confrontation entre Don Giovanni et le Commandeur, était considérablement amplifiée. Aux accents du Dies iræ funèbre du Requiem, on retrouvait Don Giovanni errant au milieu des limbes, entouré d’un cortège de personnages infernaux ; des jeunes filles vêtues de blanc déposaient devant lui le cercueil de Donna Anna, nouvelle martyre, nouvelle Marguerite. Alors seulement le Commandeur précipitait le dissolu dans l’abîme. Ce n’est pas tout. Tous les pupitres étaient systématiquement étoffés afin de renforcer le caractère dramatique de la musique.

La mise en scène se voulait elle aussi grandiose, et les effets de machinerie et d’artifices abondaient, au grand dam de Berlioz, qui les trouvait trop bruyants ! Cette surenchère de moyens trouvait pourtant en Théophile Gautier un vaillant défenseur :  » Nos nerfs sont plus éprouvés que ceux des spectateurs du xviiie siècle, et ils ont besoin pour être ébranlés d’un fantastique un peu moins naïf.  » La monumentalité des décors, le soin apporté à la luxuriance clinquante des costumes, la multiplication des divertissements constituaient les épices indispensables pour  » faire passer  » une £uvre que, depuis Stendhal, on trouvait difficile ou surannée. Voilà ce que déclarait en effet le critique (et mari de Colette) Willy, dans l’une de ses chroniques, au début du xxe siècle :  » Cet intermède chorégraphique a mis de belle humeur les abonnés qui, sans lui, eussent trouvé le Mozart difficile à digérer.  »

Une renaissance mozartienne aura pourtant lieu à la même époque, imposant peu à peu un retour aux sources et poussant à la redécouverte d’£uvres moins connues. Plus près de nous, des musiciens ont imposé de jouer Mozart sur instruments  » d’époque « , avec un souci d’authenticité jamais démenti depuis. Plus respectueuse, notre vision de Mozart est-elle pour autant plus vraie ?

Bertrand Dermoncourt et Timothée Picard

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