C’est arrivé près de chez eux

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Cécile de France, Benoît Poelvoorde, Benoît Mariage et quelques autres Namurois vivent aujourd’hui les rêves de cinéma conçus dans leur ville natale. Une famille que vient de quitter tragiquement Rémy Belvaux, décedé lundi

Aujourd’hui, dans le monde entier, les cinéphiles identifient le Seraing choisi pour décor de leurs films par les frères Dardenne. Deux Palmes d’or et quelques autres prix prestigieux n’y sont pas étrangers, de même que cette aptitude qu’ont les frères réalisateurs de donner aux lieux où ils tournent la dimension d’un personnage, de La Promesse à L’Enfant en passant par Rosetta. Depuis la présentation en compétition, au Festival de Cannes, de La Raison du plus faible, Droixhe, un autre quartier de Liège, est aussi apparu dans le paysage cinématographique mondial. Derrière la caméra, on trouve Lucas Belvaux, un cinéaste né… à Philippeville. Et ce alors même que Namur, à la différence de Liège, n’a guère attiré l’attention des metteurs en scène qui ne l’ont que fort rarement filmée !

 » On me fait parfois le reproche de ne pas tourner non plus à Namur, moi qui suis namurois « , commente avec un air navré Benoît Mariage, le réalisateur qu’a révélé Les convoyeurs attendent et dont on découvrira, vers la fin de l’année, le nouvel opus, Cowboy, avec, dans le rôle principal, un autre brillant enfant de la ville : Benoît Poelvoorde.  » Je crois que Namur est une ville un peu chabrolienne, un peu bourgeoise, assez feutrée, que Chabrol aurait pu choisir parmi ses cités de province où il aime tant situer des histoires de notables « , poursuit le jeune cinéaste qui lui-même tourna ses regards vers une banlieue (Auvelais) pour loger son correspondant local de presse des Convoyeurs attendent, et auquel il fallait  » une grande ville comme Bruxelles  » pour faire vivre le journaliste héros de Cowboy.

Namur la bourgeoise, l’historique, aux dédales de rues marquées encore par la structure médiévale (et où, par ailleurs, on n’imagine guère de poursuite endiablée en voiture, ce qui exclut les polars à la Luc Besson…), n’offrirait donc pas le décor propice aux envies plus sociales, réalistes, durement urbaines, d’une bonne partie de nos meilleurs réalisateurs. Et s’il y a bien une (formidable) séquence namuroise dans C’est arrivé près de chez vous, film coréalisé – entre autres – par les Namurois pur jus Rémy Belvaux, tragiquement décedé cette semaine, et Benoît Poelvoorde, c’est dans le quartier populaire et excentré dit  » des Balances  » qu’elle a été tournée.  » La tirade de Ben sur les briques rouges, c’est tout de même paradoxal, explique Mariage, car des cités ouvrières, il n’y en a vraiment pas des masses comme il peut y en avoir dans d’autres villes wallonnes comme Liège ou Charleroi. Si l’on tourne beaucoup plus à Liège, c’est qu’on y trouve ce qui fait une grande ville, avec notamment des quartiers témoignant de l’histoire industrielle passée ou présente. Namur est une ville on ne peut plus agréable pour s’y promener en famille, mais pour avoir envie d’y filmer une fiction, il faut vraiment avoir l’histoire qui s’y prête. Et là, je pense toujours à Chabrol et à son univers…  »

Un esprit flibustier

Lorsqu’on lui fait remarquer que plusieurs grands talents belges évoluant dans le cinéma sont d’origine namuroise, Benoît Mariage commence par évoquer la coïncidence,  » du même genre que celles qui font qu’à un moment donné on retrouve en équipe nationale de foot un groupe notable de joueurs issus du même club ou de la même région « . En y réfléchissant, il évoque une figure majeure de la vie cinéphile namuroise, qui a pu avoir son influence sur le phénomène.  » Jean-Luc François, qui a créé Media 10/10 (1), était un passionné qui aimait les jeunes et avait des caméras super-huit qu’on pouvait tous emprunter. C’est là, dans ce centre de prêt de matériel, que Rémy Belvaux et moi avons trouvé de quoi faire nos tout premiers films.  »

A Namur, les jeunes cinéastes en herbe ne trouvaient pas l’équivalent des salles d’art et essai liégeoises (genre Le Parc et Churchill).  » On espère voir les choses changer, par exemple en faisant renaître le Caméo, actuellement fermé, avec une programmation de qualité, sortant des sentiers battus « , déclare Mariage, qui ne cache pas le fait que, faute d’outil cinéphile incitatif, c’est l’exemple des copains qui lui a fait croire en sa chance.  » Quand Rémy Belvaux et Benoît Poelvoorde ont fait C’est arrivé près de chez vous, avec le retentissement que l’on sait, je me suis dit que c’était vraiment possible pour des gars comme nous – donc pour un gars comme moi – de faire du cinéma, concrètement !  » se souvient le réalisateur des Convoyeurs attendent.

Mariage et ses potes n’avaient pas à Namur  » de ces cafés ouverts très tard et où on pouvait se faire servir un spaghetti passé 1 heure du matin, comme ceux que nous fréquentions à Bruxelles lors de nos études à l’Insas, genre l’Ultime Atome…  » Alors, nos amis s’en allaient  » boire des trappistes  » dans des cafés plus traditionnels de la place comme Le Vieux Clocher, tenu par le père d’une jeune comédienne promise à un bel avenir : Cécile de France…  » Cécile, on ne la voyait pas, car elle est partie très tôt « , commente encore le cinéaste dont les réflexions le portent aussi à reconnaître, dans ses films, ceux de ses amis et aujourd’hui les courts-métrages d’un autre ami et réalisateur de talent, Xavier Diskeuve, une certaine forme d’humour et de dérision pas vraiment particulière à Namur, quoique…  » Peut-être le phénomène s’accentue-t-il par le fait que Namur est une ville assez conservatrice qui suscite en réaction des désirs de dérision, certaines audaces aussi, comme celles du peintre Félicien Rops, s’expliquant comme une forme de réaction vis-à-vis du conformisme de la bourgeoisie namuroise du début du xxe siècle ?  » s’interroge Benoît Mariage, avant de conclure par la négative et de mettre plutôt l’esprit flibustier des réalisateurs namurois de sa génération sur le compte des  » goûts partagés par une fédération d’amitié allant bien au-delà des limites d’une ville ou d’une région « .

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(1) Media 10/10, festival phare du court-métrage en Communauté française, tiendra sa prochaine édition (la 28e) du 15 au 19 novembre prochain. Site Web : www.media10-10.be )

Louis Danvers

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