Ce qu’il reste d’André Cools

Vingt ans ont passé depuis l’assassinat d’André Cools, figure majeure de la politique belge, ancien président du PS et vice-Premier ministre. Des élus socialistes décrivent son héritage.

Le 18 juillet 1991, c’est un peu le 11-Septembre des socialistes liégeois. Une apocalypse. La fin d’un monde. Ce jour-là, le soleil vient à peine de se lever quand trois coups de feu retentissent sur la colline de Cointe, qui domine la gare des Guillemins. Deux balles atteignent leur cible, André Cools s’écroule. Ce doux matin d’été, la Belgique perd brutalement l’un de ses hommes politiques les plus décisifs depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le  » maître de Flémalle  » a notamment été vice-Premier ministre, président du Parti socialiste, président du parlement wallon, ministre wallon des Pouvoirs locaux… Le 1er mai 1990, quatorze mois avant son assassinat, il a annoncé son retrait de la vie politique nationale. En réalité, Cools s’est éloigné de Bruxelles pour mieux s’imposer à Liège, où il détient un pouvoir considérable. Ce pouvoir, il veut s’en servir pour booster le redéploiement économique de sa région, via la kyrielle de structures publiques qu’il contrôle d’une main de fer. Ses meurtriers l’empêcheront de poursuivre cette ambition.

Vingt ans après, le souvenir du drame demeure inscrit dans bien des mémoires. Figé, intact. Comme d’autres se rappellent ce jour où les tours jumelles se sont effondrées à New York, les socialistes liégeois restent marqués à vif par la mort violente du premier des leurs.  » Je m’en souviens comme si c’était hier, confie Michel Daerden, ministre des Pensions. J’avais quitté Bruxelles au petit matin, et je roulais vers Liège. J’écoutais la radio tout en conduisant, lorsque le ministre de la Justice, Melchior Wathelet, a confirmé l’assassinat.  » Jean-Claude Marcourt, ministre wallon de l’Economie, se rappelle lui aussi ce court instant d’incrédulité face à la terrible nouvelle.  » Je me rasais dans la salle de bains quand la RTBF a annoncé qu’André Cools avait été victime d’un attentat.  » Alain Mathot, député-bourgmestre de Seraing, n’a pas non plus oublié le 18 juillet 1991.  » J’étais en vacances à la Côte d’Azur. Ma mère m’a tiré de mon sommeil et m’a dit : on a tué André Cools. « 

Willy Demeyer, bourgmestre de Liège, n’est à l’époque qu’un jeune échevin. Coïncidence : le jour du drame, il est bourgmestre faisant fonction, car le mayeur Henri Schlitz se trouve à l’étranger.  » Je me revois encore. Je rentre dans la cuisine, je branche Liège matin, et j’entends « … assassiné sur un parking à Cointe ». Mon chauffeur est venu me chercher et nous sommes allés sur les lieux. Cools était couché en chien de fusil, sa veste sur l’épaule. J’avais l’impression de me trouver dans un film de Costa-Gavras.  »

Laurette Onkelinx, l’héritière

Vingt ans. En politique, c’est une éternité. Parmi les parlementaires actuels, rares sont ceux qui ont côtoyé André Cools. Et, disons-le tout net, on ne se souvient pas avoir déjà entendu Elio Di Rupo, Paul Magnette ou Rudy Demotte y faire référence dans un discours ou une interview. Pourtant, à en croire le président de la Chambre, André Flahaut, qui a travaillé à ses côtés dans les années 1970 et 1980, le Parti socialiste lui doit beaucoup.  » La volonté de faire respecter l’autorité publique, ainsi que l’attention portée aux problèmes des communes et des pouvoirs locaux, pour ne prendre que deux exemples, c’est en bonne partie son héritage.  » A la tribune du parlement wallon, lors du débat sur le cumul des mandats, Isabelle Simonis, chef de groupe PS, a d’ailleurs invoqué une phrase de Cools pour justifier la position socialiste :  » Un bon parlementaire, c’est d’abord un bon municipaliste. « 

Pour Guy Coëme, député fédéral et ancien vice-Premier ministre, c’est tout le positionnement idéologique du PS qui reste sous une influence coolsienne.  » Des gens comme André Cools, Philippe Moureaux et François Pirot [NDLR : ex-directeur de l’Institut Emile Vandervelde] ont contribué avec beaucoup d’énergie à ancrer le PS assez fort à gauche dans le paysage belge, et même européen. Cet ancrage à gauche des socialistes wallons et bruxellois perdure, et c’est pour une bonne part l’£uvre d’André Cools. « 

L’indexation automatique des salaires serait le principal marqueur de cet ancrage à gauche.  » C’est ce qui nous distingue des autres, estime Guy Coëme. L’Europe nous le reproche, d’ailleurs. Sincèrement, si le PS n’était pas là, il y a longtemps que ce serait terminé. « 

On ne s’étonnera donc pas de voir Laurette Onkelinx, souvent présentée comme la principale héritière d’André Cools au sein de la direction du PS, sortir les griffes dès qu’il est question de toucher à l’index. Les 300 personnes venues l’écouter à Ougrée le 13 mai ont pu en juger. Dans la salle de l’ancien cinéma Rialto, elle a menacé de quitter le gouvernement si le mécanisme était remis en cause.

A l’automne 2007, la vice-Première ministre s’était déjà distinguée en proposant de transformer Fortis en une banque publique.  » Le jour où elle a fait cette déclaration, je lui ai téléphoné pour la féliciter, confie Gaston Onkelinx, son père, ancien député et bourgmestre de Seraing. Fonder une grande banque publique, c’était aussi la volonté d’André Cools. Laurette a grandi là-dedans. C’est André qui l’a faite. Comme moi, elle est restée une coolsienne. « 

Le plan Marshall, un plan coolsien ?

En dehors de son apport idéologique, Cools a aussi jeté les bases d’une stratégie volontariste visant à enrayer le déclin de la Wallonie. Allergique à la résignation, l’homme voulait à tout prix recréer de l’emploi, soutenir l’activité économique – quitte à s’écarter parfois de l’orthodoxie socialiste. Il a ainsi £uvré à la fondation de l’aéroport de Liège.  » Ce qu’il reste de Cools, c’est l’idée que la Wallonie doit prendre son sort en main « , observe Jean-Claude Marcourt, le père du plan Marshall, cet ambitieux programme de relance mis sur pied par les autorités du sud du pays.  » Cools était un pragmatique, ajoute Maurice Demolin, ex-secrétaire de la fédération liégeoise du PS. Il voulait aider les entreprises. Le plan Marshall, ça lui aurait plu. « 

Un héritage plus local subsiste par ailleurs.  » Il ne se passe pas une semaine sans que quelqu’un m’en parle « , confie Isabelle Simonis, bourgmestre de Flémalle. Au supermarché, à la gare, au café, il n’est pas rare de voir des habitants sortir un porte-clés à l’effigie de Cools, relique d’un temps où la loi autorisait la distribution de gadgets aux électeurs.

Il faut aussi relever cette exception liégeoise : pour les socialistes du cru, les pouvoirs publics doivent non seulement réguler l’économie, mais aussi gérer eux-mêmes de grandes entreprises. Une position que défendait avec vigueur André Cools, mais qui ne suscite pas la même adhésion dans le Hainaut ou à Bruxelles.  » Si les Liégeois sont si attachés à l’initiative industrielle publique, c’est largement en raison de l’héritage politique d’André Cools « , assure Jean-Claude Marcourt. Cet attachement se manifeste notamment dans le maintien d’intercommunales  » pures « , c’est-à-dire entièrement financées par des fonds publics.  » Il n’en reste quasi plus qu’à Liège. A Charleroi, à Mons, toutes les intercommunales sont passées dans un modèle mixte, public-privé « , glisse Michel Daerden.  » C’est typique des Liégeois. On se trompe peut-être, mais on a la conviction que le public peut faire aussi bien que le privé « , renchérit Alain Mathot.

La trajectoire du groupe Tecteo, qui vient d’acquérir via sa marque Voo les droits télé pour le championnat de Belgique de football, illustre bien le particularisme liégeois. Antécédents : au début des années 2000, la télédistribution s’ouvre à la concurrence. Les intercommunales wallonnes qui opèrent dans le secteur songent aussitôt à vendre leurs parts et à s’adosser à un opérateur privé (on parle à l’époque de Telenet). Nombre de responsables politiques, y compris au PS, pensent que de telles structures publiques n’ont pas les reins assez solides pour rester compétitives sur le marché des télécoms.  » Sans une réaction rapide de leur part, passant par […] un partenariat avec un acteur privé, les câblos se condamnent eux-mêmes « , déclare au Soir la ministre wallonne Marie-Dominique Simonet (CDH).  » Et puis, est-ce aux pouvoirs publics à prendre en charge des développements technologiques qui relèvent plutôt de stratégies commerciales ? Non « , ajoute Claude Desama, bourgmestre PS de Verviers.

En Cité ardente, on voit les choses différemment. La vieille Association liégeoise d’électricité (ALE), bientôt rebaptisée Tecteo, se déclare candidate au rachat de l’ensemble du câble wallon. L’opération aboutit en 2007. Elle prend la forme d’une  » nationalisation  » à la liégeoise, puisque les câblodistributeurs wallons se séparent au passage de leur partenaire privé, Electrabel. Quatre ans plus tard, Tecteo est un puissant groupe 100 % public, actif tant dans le domaine de l’énergie que des télécoms (téléphone, télévision et Internet).

 » A l’époque, on aurait pu tout revendre à Telenet et ramasser du pognon, commente Alain Mathot. On a préféré garder le contrôle. Résultat : plutôt que de se trouver en Tunisie, le call-center est ici à Herstal, avec 200 emplois à la clé.  » Une philosophie partagée par l’ensemble du PS liégeois, dans la droite ligne d’André Cools.  » Dans une économie mondialisée, libéralisée, si on n’a pas conservé des leviers, on est morts, résume Willy Demeyer. C’était ça, la vision d’André Cools. Au PS liégeois, on se bat pour ça : garder des leviers, garder un pouvoir de décision à Liège. Toute l’histoire de Tecteo, ce n’est que ça. Après, on peut discuter des modalités… En attendant, on a un acteur public fort, capable d’aller chercher les droits TV du foot, face à une concurrence âpre. Que ferait André Cools s’il était encore là, en pleine forme ? Sûrement ça. « 

FRANÇOIS BRABANT

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