Ce que savait la police

Les notes secrètes déclassifiées disqualifient la thèse du complot. Mais elles font ressortir le manque de réaction des services face à la dangerosité du tueur de Toulouse et de Montauban.

Eric Pelletier et Jean-Marie Pontaut

Vingt-quatre documents  » confidentiel défense  » et sept heures trente de pourparlers avec la police : ces documents transmis récemment à la justice apportent des éclairages édifiants sur l’affaire Merah. Des certitudes – enfin – se dégagent, sans pour autant clore la polémique sur les signaux d’alerte dont disposaient les services de renseignement avant les sept assassinats de Toulouse et de Montauban, en mars dernier.

Le 3 août, les magistrats antiterroristes ont reçu les notes de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) relatant le parcours du jeune islamiste. Leur recoupement avec la longue confession de Merah, enregistrée lors du siège de son appartement, met en pièces la thèse  » complotiste  » avancée par l’avocate algérienne du père du tueur. Merah n’a jamais clamé son innocence, ni affirmé que la police s’apprêtait à l’assassiner. Au contraire, il revendique avec force détails ses actes, attendant de mourir en martyr. Infondées également, les affirmations selon lesquelles le djihadiste a été manipulé par les services français. Mohamed Merah se glorifie, au contraire, de les avoir abusés.  » Je pense que vous vous êtes complètement loupés, se vante-t-il. Franchement, toi, t’y as cru [à] à cette histoire de tourisme au Pakistan ?  » Il a toujours utilisé la couverture du routard pour justifier ses déplacements, comme lorsqu’il fut convoqué, à Toulouse, par l’antiterrorisme, le 14 novembre 2011.

Le compte rendu de cet entretien démontre cependant que les policiers ont bien envisagé d’en faire une source :  » Mohamed Merah est apparu comme quelqu’un d’assez malin et ouvert qui pourrait présenter un intérêt pour notre thématique en raison de son profil voyageur. Néanmoins, le comportement et la fiabilité de Merah nécessitent d’abord une évaluation. « 

Les enquêteurs possédaient beaucoup plus d’informations qu’ils l’ont reconnu sur cet  » individu au lourd passé délinquant en phase de radicalisation  » et au comportement qualifié d' » inquiétant depuis son retour  » du Moyen-Orient. Progressivement, à partir de 2007, l’homme était devenu une  » cible privilégiée du service  » sur fond de montée de l’islam radical à Toulouse. Dans ce cas, pourquoi avoir relâché la surveillance ?  » Ces documents renforcent mon incompréhension, résume Me Patrick Klugman, avocat de la famille Sandler, le rabbin et ses deux fils tués au lycée Ozar-Hatorak. Il faudra expliquer comment un homme, présenté comme de plus en plus suspect, a finalement réussi à tromper la vigilance du service.  » La capacité de dissimulation de Merah y est sans doute pour beaucoup.  » Le nerf de la guerre, c’est la ruse « , clamait-il avant de mourirà Pour Mes Samia Maktouf et Béatrice Dubreuil, conseils de la famille Chennouf, un militaire tué par Mohamed Merah, d’autres secrets dorment encore dans les archives. Elles ont donc demandé la déclassification des documents détenus, cette fois, par la DGSE (service extérieur).  » Le ministre de la Défense doit faire preuve de la même transparence que son collègue de l’Intérieur « , estiment-elles. De telles pièces apporteraient des précisions sur l’un des points clés de l’affaire : en septembre 2011, les Américains avaient détecté – en plein secteur taliban, à Miranshah – l’activation de deux messageries Internet attribuées à Merah. Lors de la négociation, le terroriste ironise d’ailleurs sur son  » erreur  » qui consista à envoyer ces courriels pour rassurer sa mère.  » Rien que ça, vous auriez su d’où il venait l’e-mail, vous auriez vite compris que j’étais dans les zones tribales « , lâche-t-il. Cette ultime pièce du puzzle aurait confirmé la dangerosité du jeune Toulousain et aurait fourni le moyen juridique de l’arrêter.

ERIC PELLETIER ET JEAN-MARIE PONTAUT

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