Ce que cache l’affaire Dati

Christophe Barbier
Christophe Barbier Directeur de la rédaction de L'Express

Pendant plusieurs jours, un vent de panique a soufflé sur le pouvoir français. Les rumeurs sur le couple présidentiel ont failli dégénérer en scandale d’Etat. Au cour de la polémique, celle qui était, il y a un an, garde des Sceaux de Nicolas Sarkozy. Retour sur l’une des pires séquences du quinquennat.

Dans la politique française, rien n’advient par hasard, et l’effroyable tempête qui a secoué l’Elysée porte en elle autant de leçons sur le sarkozysme qu’en a livrées, deux semaines plus tôt, le désastre des élections régionales. Ce ne sont pas les  » élucubrations  » d’Internet qui ont produit une crise politique, c’est la crise du modèle de pouvoir installé par le président qui a permis à des  » e-ragots  » de se transformer en incendie politique, et presque en affaire d’Etat.

 » L’affaire de la rumeur « , c’est d’abord la défaillance d’un entourage, mélange de cour et de garde rapprochée. Le cabinet élyséen était une mécanique de précision aux rouages bien huilés, il est apparu soudain comme une machine folle, aussi désorientée que son pilote. Obsédés par le seul destin de Sarkozy durant la conquête du pouvoir, puis par la mise en pratique de son programme, les conseillers du président sont désormais motivés, en partie, par leurs intérêts personnels – ambition électorale ou reconversion dans le privé. La fiabilité absolue requise par la pratique de l’hyperprésidence n’est plus garantie à l’Elysée, qui sembla la semaine dernière le palais du roi Pétaud et de son chambellan, Pataquès.

Le vaudeville offert aux Français est aussi l’enfant naturel d’un régime trop personnalisé et d’une politisation de la vie privée. Depuis le fameux  » Bonne chance, mon papa !  » lancé par son fils Louis en novembre 2004, lors de la prise de l’UMP, Nicolas Sarkozy a toujours conféré à sa vie privée un rôle politique : tout ce qui advient à l’individu Sarkozy concerne l’électorat de Sarkozy. Avec lui, il n’y a pas un homme sous le président, mais un président sous l’homme. Un mariage imprévisible ou un jogging new-yorkais deviennent ainsi des coups politiques, un divorce tumultueux ou un malaise vagal sont des crises de régime. De cette logique il ne peut sortir, car l’opinion est désormais sous addiction : elle exige de lui qu’il continue à faire de la politique par la mise en avant de sa vie privée. C’est pourquoi il fallait que Carla Bruni-Sarkozy prît la parole pour calmer  » l’affaire Dati  » : c’est Iphigénie montant au bûcher des vanités politiques que nous avons vue – et reverrons sans doute.

Enfin, cet épisode ahurissant dévoile le rapport, faussé, que Nicolas Sarkozy entretient avec le temps. D’un côté, la vigilance est en défaut et l’Elysée néglige d’intervenir vite sur Internet, où la rapidité détermine l’issue des batailles. De l’autre, aucune vision stratégique ne s’impose face aux contestations, aucun cap ne répond à la tempête. Emoussé dans ses réflexes, épuisé dans ses réflexions, le sarkozysme n’agit vite ni ne voit loin : il est, au sens propre, une gouvernance à la petite semaine – et la dernière fut terrible.

Réformer en profondeur son cabinet élyséen, améliorer la politisation de sa vie privée – puisqu’il ne peut l’abandonner – en soignant le contenu des messages émis, ne penser qu’à sortir la France de la crise avant de dessiner un projet en vue de 2012 : pour – enfin ! – présidentialiser sa présidence, Nicolas Sarkozy n’a pas le choix et seulement peu de temps. Il est le chef d’Etat qui a réussi à transformer sa mi-mandature en fin de règne. Saura-t-il être le président qui transforme sa fin de quinquennat en reconquête ?

christophe barbier

le sarkozysme est, au sens propre, une gouvernance à la petite semaine

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