Ce n’est pas le moment de flancher

Eh bien, non : la guerre contre l’Irak n’est toujours pas inévitable ! Malgré l’avalanche d’analyses fatalistes qui la donnent pour certaine, il est encore possible d’éviter une telle issue. Nous vivons un moment paradoxal. D’une part, les préparatifs de l’offensive se poursuivent à un rythme tel que rien ni personne ne semble en mesure d’arrêter le bulldozer américano-britannique. Mais, d’autre part, une série de facteurs récents viennent gêner cette course folle et offrent quelques espoirs û ténus û d’une sortie de crise honorable. Voyons les faits.

C’est ce vendredi 7 mars que le chef de la Commission de contrôle, de vérification et d’inspection des Nations unies (Cocovinu) doit présenter son nouveau rapport sur le désarmement de l’Irak. Quelle que soit la teneur générale de sa communication devant le Conseil de sécurité, Hans Blix ne pourra passer sous silence les récents résultats positifs de sa mission. Notamment, la destruction, par Bagdad, d’une première partie de ses missiles Al-Samoud II û qui ne sont d’ailleurs pas des armes de destruction massive au sens de la résolution 1441 du Conseil de sécurité. En bonne logique, cet élément n’est pas de nature à renforcer le camp, minoritaire, des partisans d’une intervention armée en Irak. On sait, bien sûr, que Washington traite ce  » geste  » de Bagdad comme roupie de sansonnet.

Il est donc possible que les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l’Espagne veuillent, malgré tout, soumettre au vote du Conseil de sécurité la seconde résolution qu’ils ont préparée, et qui ouvrirait la voie à une intervention armée. Et il est avéré que les Anglo-Saxons multiplient, avec l’appui de l’Espagne, toutes les démarches de nature à influencer les autres Etats membres du Conseil de sécurité pour qu’ils émettent, le moment venu, un vote favorable à leurs thèses. Presque tous les  » coups  » sont permis dans cette pêche aux voix. Démarches diplomatiques, promesses géopolitiques, engagements commerciaux, coups de pouce financiers, arrangements divers, mais aussi chantages et menaces : rien n’est négligé, dans les coulisses de l’ONU, pour  » convaincre  » les pays indécis, et surtout les plus faibles d’entre eux, de s’aligner finalement derrière Washington. A supposer que ces démarches soient couronnées de succès, rassemblant la majorité requise de 9 voix sur 15 en faveur de l’intervention armée, encore faudrait-il qu’aucun des 5 membres permanents du Conseil de sécurité (dont la France, la Russie et la Chine) n’oppose son veto à l’adoption d’une telle résolution. Ce qui est loin d’être acquis. Bien sûr, rien n’empêcherait les Anglo-Saxons de passer outre au refus de l’ONU et d’ouvrir les hostilités sans avoir reçu son aval. Ce ne serait pas la première fois û loin s’en faut ! û qu’une intervention militaire serait déclenchée sans légitimation préalable de l’institution internationale. C’est d’ailleurs ce à quoi ils se préparent, pour toute une série de raisons analysées dans notre dossier de couverture (p. 32).

Mais d’autres facteurs contrarient également les préparatifs guerriers. Le refus (définitif ?) que la Turquie a opposé au déploiement de l’armée américaine sur son sol compromet ainsi le dispositif militaire retenu par Washington pour prendre l’Irak  » en tenaille « . Le pape, qui redoute le ressentiment musulman face à l’agression des  » croisés « , envoie un fâcheux émissaire auprès du très chrétien George Bush. On n’évoquera que pour mémoire l’hostilité des opinions arabes et européennes : George Bush n’en a cure, puisqu’elles ne seront pas appelées à voter pour ou contre sa réélection, l’an prochain. Mais on sera attentif aux évolutions de l’opinion américaine, loin d’être unanimement acquise à la guerre. Pour ne pas parler de la population britannique, qui lui est très majoritairement hostile.

Les dernières semaines ont, aussi, clarifié les objectifs de la guerre voulue par Washington. On le sait désormais : elles ne résident ni dans un  » lien  » hypothétique entre Saddam Hussein et Al-Qaida, jamais démontré malgré dix-sept mois d’investigations intenses, ni dans la volonté de désarmer le raïs moustachu û ce dont la Maison-Blanche se soucie comme d’une guigne : elle le répète jour après jour. Les masques sont à présent tombés, contraignant l’administration républicaine à s’avancer à visage découvert : son ambition est de remodeler le Moyen-Orient au gré de ses intérêts ou, du moins, de la perception qu’elle en a. La volonté américaine d’investir l’Orient arabe est, certes, parée d’intentions louables. Le scénario ? Chasser Saddam, installer la démocratie en Irak et faire de Bagdad la  » vitrine  » qui susciterait une  » contagion démocratique  » dans toute la région, y compris en Palestine (pages 42 et 58). On se gardera d’épiloguer sur la naïveté de ce meccano de propagande, auquel le président égyptien Hosni Moubarak répond qu’une guerre contre l’Irak allumera, plutôt,  » un incendie terroriste sans précédent « .

Quand on sait, de surcroît, ce que la volonté guerrière de Washington dissimule en termes de préoccupations électorales et d’appétits pétroliers, on aperçoit mal les raisons qui pousseraient à lui octroyer un habillage juridique dans le cadre des Nations unies. Les pays lucides qui disposent d’un droit de vote au Conseil de sécurité ne devraient, sous aucun prétexte, fût-ce le souci de respecter un grand allié traditionnel, se laisser aller à offrir un maquillage institutionnel à une volonté impériale qui peut conduire le monde à la catastrophe. La France assume à cet égard une responsabilité particulière, puisqu’elle dispose du droit de veto. En cas de besoin, elle doit y recourir. A défaut de pouvoir empêcher cette guerre, elle évitera, au moins, de s’en rendre complice. Ce faisant, elle exprimera aussi la volonté de la majorité des populations européennes, dont la nôtre. Aucun alibi n’excuse la lâcheté. Ce n’est pas le moment de flancher.

jacques gevers

Il faut pouvoir dire non à une guerre inutile et dangereuse. L’ONU ne doit pas y prêter son concours

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