Carré noir sur fond de guerre

Les mensonges de Bush en filigrane d’un roman magistral où deux espions préretraités reviennent dans le jeu

Une amitié absolue, par John le Carré. Trad. de l’anglais par Mimi et Isabelle Perrin. Seuil, 373 p.

John le Carré est en colère. Très en colère. Depuis plusieurs mois, il occupe régulièrement les Unes des journaux du monde entier avec ses pamphlets anti-Bush, antimondialisation, antimultinationales. Après La Constance du jardinier, brûlot ravageur dénonçant le cynisme des firmes pharmaceutiques, le voici qui tire à boulets rouges sur les tentations hégémoniques de l’hyperpuissance américaine, les mensonges de l’administration Bush et de son laquais Blair, l’arrogance des  » zélotes puritains  » installés à la Maison-Blanche. C’est la guerre en Irak qui a embrasé son inspiration dévastatrice :  » Une guerre coloniale à l’ancienne pour le pétrole, déguisée en croisade pour la liberté et le mode de vie occidental et menée par une clique d’illuminés de la politique, des judéo-chrétiens va-t-en-guerre qui ont pris les médias en otages et exploité la paranoïa américaine post-11 septembre.  » Quand John le Carré bombarde au napalm, il arrose large.

Dans la jungle des mensonges ôbusho-blairiens », deux anciens maîtres espions quinquagénaires, rescapés de la guerre froide, refont surface. Edward Mundy, fils bâtard d’un colonel soiffard de l’ex-armée des Indes, est devenu gauchiste dans le Berlin des années 1970, avant de rejoindre les services secrets de Sa Majesté. Après la chute du Mur, il s’est reconverti dans la visite commentée du château de Linderhof, l’une des folies sorties du cerveau dégénéré de Louis II de Bavière. Remarié avec une ancienne prostituée turque musulmane, il vit chichement à Munich, où son ancien  » contact  » à l’Est, Sasha, resurgit pour lui proposer de revenir dans le jeu.

Nabot shakespearien, modèle Richard III, grand amateur de femmes et de whisky, ce fils de pasteur luthérien compromis avec les nazis, puis avec les communistes, fut l’un des agitateurs les plus en vue du Kreuzberg des années Baader-Meinhof. En compagnie de Mundy, il a flirté avec les mouvements terroristes radicaux, sans pour autant sauter le pas de la violence révolutionnaire. Plus tard, Sasha tourne le dos au gauchisme pour passer à l’Est, où il intègre la Stasi. Mais, fidèle à l’héritage paternel des trahisons successives, il change à nouveau d’employeur pour pointer finalement comme honorable correspondant de la Couronne. Avant de s’évanouir dans la nature en 1989.

Que signifie la réapparition de ce traître protéiforme dans le sillage d’un inquiétant Dimitri, les poches pleines de dollars estampillés à Riyad ? Quel nouveau maître sert-il à présent ? Jusqu’aux dernières lignes, l’ombre de Ben Laden plane sur ce roman magistral à la noirceur délétère.

Thierry Gandillot

Thierry Gandillot

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