Carole, enceinte et SDF

Toxicomane, déjà maman d’une petite fille, la jeune femme, enceinte de huit mois, vit dans la rue. Drame ordinaire de la misère sociale. Récit.

Lorsqu’on la croise boulevard Anspach, au centre de Bruxelles, Carole ressemble à toutes les mères qui attendent un enfant. Son ventre arrondi dessine sa salopette en jean. Mais la voilà qui tend la main et mendie une petite pièce pour manger. Carole a 24 ans, elle est enceinte de huit mois et elle vit dans la rue depuis à peu près le début de sa grossesse. Frêle, le regard inquiet, les lèvres gercées par le froid, elle nous confie son histoire avec une franchise déconcertante :  » J’ai dormi dans des squats. Aujourd’hui, je loge à gauche, à droite, chez des amis qui sont eux aussi dans la dèche. « 

A l’automne dernier, Carole, Louis, son compagnon, et Salomé, leur première gamine de 4 ans, ont été expulsés de leur appartement, à Anderlecht. Ils venaient de payer les mois de loyer en retard. Louis était chômeur. Elle, sans diplôme, ne travaillait pas. Ils n’ont pas trouvé d’autre logement : leurs maigres revenus ne suffisaient pas à payer les loyers réclamés. Louis, lui, ne s’est plus présenté aux convocations du bureau de l’emploi Actiris. Celles-ci arrivaient encore à son ancienne adresse. Il a perdu son droit au chômage. La spirale classique.

Carole n’a plus de famille.  » Mon père s’est suicidé quand j’avais 11 ans. L’année dernière, ma mère est morte d’un cancer généralisé. Et je ne vois plus mes deux s£urs.  » Des oncles, des tantes ?  » Je n’ai plus aucun contact avec eux. Ils me reprochent ma toxicomanie. « 

Pendant des années, la jeune femme s’est piquée à l’héroïne, au point que sa fille Salomé, née en manque, a dû être sevrée à la naissance. Aujourd’hui, Carole est traitée à la méthadone à la Maison d’accueil socio-sanitaire (Mass), mais elle rechute régulièrement. Elle fume beaucoup, aussi. Sa première échographie (à six mois de grossesse) révèle un f£tus de faible poids.  » Je me suis fait engueuler par l’équipe médicale « , confie-t-elle, un peu gênée.

Carole fait la manche avec aplomb.  » Si je ne souris pas, ça ne marche pas. Même chose si je suis trop bien fringuée. L’autre jour, j’avais mis les boucles d’oreille dorées de ma maman, la seule chose qui me reste d’elle. Des filles m’ont narguée en disant qu’à ce compte-là elles pouvaient aussi faire la manche.  » Il faut pourtant ravaler sa fierté pour mendier. Louis, lui, n’y arrive pas. Lorsque, malgré tout, il tend la main, il ne parvient à articuler aucun mot. Carole, elle, essuie également, presque chaque jour, des propositions malsaines d’hommes sans scrupules, qui veulent coucher avec elle ou la prostituer. Aujourd’hui encore, malgré son ventre rond.

Durant leurs premiers mois dehors, Salomé était hébergée chez une quinquagénaire habitant un logement social, avec laquelle Carole avait sympathisé. La gamine y avait son adresse légale. Temporairement sauvée par la débrouille. Puis les relations ont mal tourné. Salomé a été placée en pouponnière par un juge de la jeunesse. Ses parents ne pourront la récupérer que s’ils ont un appartement. Mais Carole et Louis sont coincés, comme la plupart des sans-abri : pas d’argent, pas de toit, pas d’adresse. La spirale encore. Ils pourraient en tout cas bénéficier du revenu d’intégration (ex-minimex), accordé aux SDF. Dans ce cas, c’est le CPAS qui sert d’adresse de référence.

Son second bébé devra sans doute aussi subir un sevrage

Depuis un mois, Carole est suivie par une assistante sociale de l’ASBL Groot Eiland.  » Elle a droit au revenu d’intégration, explique Lien Eeckelaers. Mais ses papiers ne sont pas en ordre, car elle a été radiée de la commune d’Anderlecht. Il y a quinze jours, nous avons été ensemble au CPAS d’Anderlecht, qui l’a renvoyée au CPAS de Bruxelles-Ville. Elle doit maintenant apporter une série d’attestations, de la mutuelle, d’Actiris, des allocations familiales, pour pouvoir régler sa situation. « 

Elle doit surtout régulariser sa carte d’identité auprès de l’équipe Herscham de la police fédérale, qui s’occupe des sans-abri à Bruxelles : les deux inspecteurs, Nico et Robin, tiennent une permanence le mercredi, à la gare du Nord. Carole n’a pas encore pu s’y rendre… Faire la manche est sa priorité absolue. Pour pouvoir manger uniquement ?  » Bien sûr, le problème de Carole est sa toxicomanie, poursuit Lien Eeckelaers. Moi, je ne la juge pas. La plupart des SDF ont des problèmes d’alcool ou de drogue. Je ne pousse pas trop les choses, sinon le fil ténu qui la relie à moi risque de se casser. « 

L’accouchement est prévu pour le 25 avril. Le bébé, une fille, s’appellera Paloma. Elle aussi devra sans doute subir un sevrage. Et si, d’ici là, sa maman n’a toujours pas de logement, elle sera placée comme sa s£ur Salomé. Une perspective angoissante pour Carole, qui a déjà acheté des grenouillères au magasin Wibra.

Thierry Denoël

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