Cabrel Hits parade

Alors que sort son dernier disque Des roses et des orties, le chanteur nous fait découvrir les personnalités, artistiques ou historiques, qui l’ont marqué. Bienvenue dans sa cour des grands.

Il s’assoit bien droit dans le fauteuil. Essuie ses lunettes. Croise les jambes. Pose les mains sur les accoudoirs. Une tasse de thé fume sur la table. Un moment de silence s’installe aussi. Francis Cabrel attend.

Oui, il y aura des questions. Mais surtout, Francis, vous êtes censé parler des gens qui vous touchent, ceux dont vous suivez le parcours, ceux qui aiguisent votre curiosité et vous font découvrir d’autres univers.  » Ah oui, c’est vrai, on m’a prévenu « , dites-vous. Vous vous prêterez de bonne grâce à l’exercice, même si l’on ne sent pas, chez vous, une envie folle de lancer des noms et d’en oublier d’autres. D’une façon surprenante, ou peut-être pas tant que cela après tout, cet entretien ressemblera presque au titre de votre nouvel album, Des roses & des orties. Parfois caressant, lorsque les mots viennent facilement, parfois plus rêche, quand il faut aller les chercher.

C’est un beau disque. Vous y parlez des hommes et des vies perdues, d’indifférence et d’émois adolescents. Légèrement. Gravement. En rimes et en guitare. Avec, bien sûr, comme souvent, un hommage à quelques grandes figures de la musique en forme de coups de chapeau personnel – on y revient. Il y a là Bob Dylan, dont vous reprenez She Belongs to Me (Elle m’appartient [c’est une artiste]), et JJ Cale et sa Mama Don’t (Madame n’aime pas). Une bonne façon d’ouvrir les portes de votre Panthéon, non ?

Des roses & des orties (Sony/BMG).

Keith Jarrett

 » Je me suis mis à écouter du jazz il y a peu de temps, une dizaine d’années environ. J’ai beaucoup d’admiration pour Brad Mehldau, dont la virtuosité et le lyrisme m’épatent. Mais Jarrett est au-dessus du lot. Sa musique est aussi puissante que libre. En fait, je crois que j’aimerais être aussi chieur que lui. On me dit d’un naturel sympathique et je ne me force pas. Pourtant, j’aime les bougons. Je suis gentil, ce qui me rend malheureux. « 

Honoré de Balzac

 » En voilà encore un qui m’impressionne. La fluidité de son écriture, sa précision, le rythme de ses phrases. Quand il se lance dans des descriptions, c’est de la véritable poésie. Tiens, en parlant de Balzac, ça me fait penser aux auteurs de polar qui, eux aussi, ont une façon particulière de parler du monde. Je peux citer Michael Connelly. Ecrire de la fiction me paralyse et, de toute façon, je suis trop obsédé par les rimes pour passer à la prose. Parce que, oui, pour moi, une chanson doit rimer. « 

JJ Cale et Bob Dylan

 » Je rends souvent hommage à des musiciens, mais celui-là, je l’aime vraiment. C’est un homme qui reste mystérieux. Un type qui trace sa route sans tenir compte de rien. Il avance. Solitaire. JJ Cale est aussi, évidemment, un remarquable guitariste de blues. Simple et précis. La musique a toujours été essentielle, chez moi. Dans ma famille, on chantait beaucoup. J’ai grandi avec Polnareff, Simon and Garfunkel, les Beatles et les Rolling Stones. Ce qui fait que l’anglais, à l’école, était la seule matière où je dépassais la moyenne. Et puis Bob Dylan est arrivé. J’avais 14 ans, je jouais dans un groupe à Agen, et j’ai entendu Like a Rolling Stone. Avec lui est venue l’envie d’écrire. J’aime tout chez Dylan : l’attitude, les chansons, sa façon d’exprimer les choses de la vie. Je ne le connais pas. L’écouter me suffit. « 

Et aussià

Walter Spanghero et Jean-Pierre Rives :  » Des rugbymen. Je suis capable de laisser tomber un France-Angleterre à la télé pour aller voir Agen-Stade français, en vrai. « 

Muhammad Ali :  » Son engagement politique. Sa folie. Son génie. « 

Emir Kusturica :  » C’est l’un des rares réalisateurs qui me feraient sortir de chez moi pour aller au cinéma. Sans doute à cause de son amour de la musique. « 

Paco De Lucia :  » Ours. Solitaire. Musicien. Pour ces trois mots-là. « 

Cartier-Bresson

 » Pour l’instant, en photo, je fais des tentatives. Travailler une composition, mettre au point une lumière, tout cela me passionne. Je me sens proche des photographes réalistes qui racontent une histoire, car, dans une chanson également, il faut capter un moment. Faire tenir les mots dans un cadre. Et le rendre étanche. Comme dans une photo de Cartier-Bresson, il faut parvenir à la plénitude. Eprouver la sensation que tout se tient. « 

Jeanne d’Arc

 » Figurez-vous que je suis allé jusqu’à lire les minutes de son procès. Elle a vécu une vie déraisonnable au possible. Comme pour Vercingétorix, je suis admiratif de son combat contre l’occupant. Je dois sans doute être patriote. De la même façon, je suis un grand défenseur de la langue française. Mais j’aime le langage qui bouge. Le français doit sa survie à tous ceux qui, en banlieue ou ailleurs, le réinventent tous les jours. « 

Eric Libiot

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