Bryan Ferry, retour de femmes

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

A 65 ans, Bryan Ferry continue à cultiver l’image de crooner rock. Exemple avec le récent Olympia, branché sur une pop adulte sophistiquée, mais pas empruntée. Avec Kate Moss en couverture. Glam rock’s not dead…

Il apparaît tel qu’on se l’imaginait. Veston et pantalon en velours de gentleman farmer, Bryan Ferry affiche son élégance habituelle, classique et moderne à la fois. La distance en moins : au bout d’une journée promo intensive, cloitrée dans la chambre d’un chic hôtel bruxellois en bord de Grand-Place, la rock star reste affable, décidée à défendre comme il se doit son dernier disque, Olympia. Il faut dire que Ferry n’en sort pas si souvent que ça. Encore moins des albums dont il a écrit la majorité des titres. A cet égard, Olympia est seulement le second effort du genre depuis Mamouna en 1994.

Il aurait pu être également le premier disque de Roxy Music depuis Avalon, sorti lui en 1982. Finalement, les chansons ont été rapatriées sous la bannière du seul Ferry, et cela même si tous ses collègues sont bien présents sur le disque (Brian Eno, y compris).

Roxy Music, c’est là où tout a commencé, début des années 1970. A l’époque, l’air ambiant charrie toujours son lot de réminiscences naturalistes hippies. Pratiquant volontiers l’esprit de contradiction, les Roxy Music arrivent eux avec un rock post moderne, maniéré et arty. Les paillettes sont de retour, le champagne aussi. La coke remplace les pétards, les garde-robes ne reculent devant aucune extravagance (voir David Bowie) et certains commencent à parler de glam rock. Plus tard, quand les punks débarqueront, Roxy Music continuera à porter costume, cravate. L’élégance, on vous dit… Plusieurs tubes s’enchaînent pour fixer la pose : Love Is The Drug ou Avalon, par exemple, avec Bryan Ferry en crooner rock ultime. Image qu’il peaufinera dès qu’il en a l’occasion sur ses albums solos construits la plupart du temps sur des reprises.

Victime de la mode

Aujourd’hui, le chanteur séducteur a atteint l’âge de la pension, 65 ans, mais, prérogative masculine, il se permet de faire comme s’il en avait toujours 25, voire 35 de moins. Il peut ainsi toujours chanter les sorties en boîte et ne pas paraître ridicule. L’an dernier, il apparaissait d’ailleurs sur Teufelswerk, dernier album en date de DJ Hell, l’un des troublions de la scène techno allemande. Il chantait déjà You Can Dance, repris ici en ouverture d’ Olympia. Il y parle notamment de Dolce Vita. Pas le film de Fellini, mais  » un club à Newcastle où je me rendais quand j’avais 18 ans « . Lui qui est longtemps sorti avec des top model (Amanda Lear, son histoire avec Jerry Hall que lui piquera Mick Jagger) fraie apparemment toujours autant avec le milieu de la mode.  » C’est un monde intéressant. Je n’y appartiens pas. Mais parfois j’aime aller y faire un tour. La semaine dernière, j’étais à Paris, je donnais des interviews. J’en ai profité pour me rendre à une soirée organisée par Roberto Cavalli. C’est un univers particulier, avec plein de gens intéressants, parfois très superficiel, très vicieux ou très rude. Mais on y trouve souvent plein de connexions avec d’autres mondes proches. C’est là que cela devient passionnant. Dans la vie, je suis fasciné par différentes choses : le design, l’art, la peinture, l’architecture, le cinéma… En fait, mon approche des choses est en général assez visuelle. Et si j’ai fait carrière dans la musique, j’aime penser que, d’une certaine manière, j’arrive un peu à marier les deux.  »

Au départ, Ferry a d’ailleurs étudié dans une école d’art.  » Quand j’ai été diplômé, je me suis installé à Londres où j’ai enseigné la peinture pendant un an. Dans le même temps, je cherchais des musiciens pour former un groupe et je commençais à écrire des chansons, qui allaient devenir les premiers morceaux de Roxy Music. Finalement, une fois que le premier disque est sorti, j’ai arrêté de peindre. « 

Ainsi, si Olympia peut faire référence au quartier de Londres où se trouvent les studios de Bryan Ferry, ou encore à la fameuse salle parisienne, il renvoie également au tableau de Manet qui avait fait scandale lorsqu’il fut exposé pour la première fois en 1865.  » J’avais étudié ce tableau au cours. C’est l’un des plus intéressants du xixe. C’est une sorte d’image de pin-up avant l’heure. On y voit une femme pas vraiment  » nue « , mais déshabillée, ce qui n’est pas pareil. Elle porte des bijoux, des chaussures de prostituée, on lui apporte des fleurs de son amant. Elle a un regard de défi aussi, très indépendant. Le tableau est bourré de petites significations. C’est un prototype. Les premières pochettes de Roxy Music ressemblaient déjà un peu à ça. Et pour Olympia, il a également constitué le point de départ de l’artwork. Au début je pensais même partir sur une recréation complète de l’£uvre. Finalement, on a préféré tourner autour.  »

Bryan Ferry 2.0

Pour l’occasion, Bryan Ferry a donc contacté Kate Moss, icône mode et rock’n’roll à la fois.  » Choisir le modèle était une étape importante. Kate Moss est l’un des grands visages de ces dix dernières années. On la voit partout, à la Une de tous les magazines. C’est une icône glamour absolue. Le mot est souvent galvaudé, mais dans son cas il est justifié. Elle dégage un charme fou mais aussi, très important, elle a une histoire, c’est un personnage controversé. C’est là que cela devient intéressant. Elle amène autre chose qu’un joli visage. Elle est la parfaite Olympia girl ! « 

Cette Olympe, Bryan Ferry lui a écrit une ode.  » Trouble is your middle name « , chante-t-il sur le titre BF Bass, drôle de morceau, dans lequel se glissent les mots Facebook, YouTube, ou MySpace.  » Parfois c’est pas mal d’avoir un titre qui s’ancre dans le quotidien, en s’amusant à mentionner des vraies choses, un peu étranges mais pleines de couleurs. Cole Porter le faisait très bien :  » You’re the Tower of Pisa, You’re the Smile on the Mona Lisa « …  » Bryan Ferry est-il pour autant 2.0 ? On le pensait au-dessus de tout ça, peu enclin à courir derrière le dernier gadget technologique…  » Vous voulez dire quoi ? Que je suis plus velours que métal ? Sûrement, oui. En réalité, je ne m’occupe pas trop de ça. D’autres le font pour moi. On m’explique :  » Voilà, ça c’est votre page Facebook « , je dis  » OK, c’est bien.  » Je leur fais confiance.  » Au cours de la conversation, il sort son GSM, même pas un smartphone. Mais avoue avoir reçu un iPad pour son anniversaire, et reconnaît être épaté par la technologie de son Audi A8. On ne se refait pas…

Mais l’essentiel n’est pas là. Le fait est qu’en 2010, Bryan Ferry n’a peut-être jamais aussi bien chanté, y compris dans ce que sa voix peut avoir de fragile ( » Je pense que la voix est d’abord une question d’expérience « ). Surtout, il continue à manipuler avec un beau panache cet art paradoxal qu’est la pop : rendre le futile indispensable (et vice versa) .  » Ce que j’aime dans les chansons ou plus généralement la musique avec les mots, c’est que vous pouvez provoquer des émotions avec la musique, et livrer des idées avec les mots. Essayer de marier les deux est intéressant. Si vous trouvez le mot juste [NDLR : en français dans le texte] sur la bonne musique, l’effet peut être génial.  » Dans le cas d’ Olympia, il est à nouveau garanti.

Olympia, Bryan Ferry, EMI

Retrouvez Bryan Ferry et Roxy Music sur le CD The Best of. Offre aux abonnés, voir papillon de couverture de ce numéro.

LAURENT HOEBRECHTS

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