Britney ou le rêve américain

A 23 ans, Britney Spears est l’une des artistes les plus riches du monde. Formée à l’école de Disney, cette ancienne chanteuse de chorale a d’abord séduit les gamines, avant de faire fantasmer les hommes depuis qu’elle joue la provocation à la Madonna. Britney le caméléon est en Belgique ce 29 mai. Autopsie d’un phénomène

Pour ses détracteurs, elle a la voix nasillarde et le profil de la blonde idiote. Mais, en cinq ans, Britney Spears, qui se produira, ce 29 mai, à guichets fermés, devant 12 500 fans, au Flanders Expo, à Gand, a vendu 55 millions d’albums dans le monde. Du jamais-vu pour une artiste de 23 ans : seules des stars à la longue carrière peuvent se vanter d’avoir fait aussi bien. Comme tous les grands formats internationaux, sa tournée actuelle, The Onyx Hotel Tour, tient du marathon. Britney a fait étape dans 25 villes américaines entre le 2 mars (San Diego) et le 12 avril (New York), avant de se produire en Europe, presque chaque soir, depuis le 27 avril et jusqu’au 6 juin. Puis ce sera le début d’une nouvelle tournée outre-Atlantique, du 22 juin au 15 août. Infatigable Britney.

Ce 7 mai, à Rotterdam, première étape de l’ Onyx Hotel Tour sur le Vieux Continent, les critiques ont dénoncé la prestation en play-back d’une danseuse trop essoufflée pour pouvoir chanter. Il s’agit en effet moins d’un tour de chant que d’un show à l’américaine, hyper-professionnel, où Britney en jette plein les yeux, y compris dans le déshabillé sexy. A Rotterdam, un paparazzi a piégé l’artiste dans un coffee shop. Constamment sous l’£il des objectifs, celle qui jouait jadis les vierges effarouchées, l’éternel sourire Disney aux lèvres, se plaît aujourd’hui dans la provoc’, effrayant les ligues de vertu qui, autrefois, l’encensaient. Car c’est tout cela à la fois, Britney Spears : un pur produit du rêve américain, un rouleau compresseur du show-business et un modèle d’identification commun à toute une génération. Pour le meilleur et pour le pire ?

 » Elle est arrivée au bon moment, pense Pierre Beaudot, journaliste au magazine 7 Extra. Alors que le phénomène des boys bands s’essoufflait, elle a apporté quelque chose de nouveau, de frais avec sa pop dansante, un peu sucrée, et son joli minois.  » Britney a alors hérite du public de petites filles marries de la disparition des Spice Girls, ce groupe britannique qui a fait fureur dans les années 1990.

Le succès de Brit est fulgurant. En 1999, avec son premier album Baby One More Time, elle accumule les prix. Aux MTV Europe Awards 1999, elle rafle les trophées de la meilleure chanteuse, de la meilleure artiste pop, du meilleur espoir et du meilleur single. L’album a été produit par le Suédois Max Martin, le  » sorcier  » de grands boys bands, comme les Backstreet Boys. Martin lui forge un son et surtout une image. Dans son premier clip, Britney apparaît en uniforme d’écolière très sage. Elle devient d’un coup la reine des cours de récré.

Sa maison de disques de l’époque, Jive Records, a été d’autant moins difficile à convaincre que la nouvelle Lolita avait déjà une longue carrière derrière elle. Toute jeune, entre deux offices religieux dans sa Louisiane natale, la choriste participait à des spectacles et à des concours locaux. A 8 ans, elle avait tenté sa chance à une audition pour l’émission Mickey Mouse Club, sur la chaîne américaine Disney Channel. Son potentiel vocal avait impressionné le jury, mais, trop jeune, elle n’avait pas été retenue. Sa mère, Lynne Spears, n’avait alors pas hésité à abandonner son métier d’enseignante, son époux et son fils aîné pour s’installer à New York avec ses deux filles. Britney y a suivi une formation artistique des plus sévères, tout en multipliant les prestations scéniques et publicitaires.

A 11 ans, elle est enfin sélectionnée pour intégrer la Mickey Mouse Club. Deux autres valeurs sûres de la culture jeune d’aujourd’hui, Christina Aguilera, à la fois clone et rivale, et Justin Timberlake, son ex-petit ami, en ont également fait partie. Chez Disney, on ne badinait pas avec la discipline. Le rythme était soutenu : les jeunes présentateurs devaient savoir chanter, danser, jouer des sketchs, enchaîner les annonces…

Dans l’une de ses premières interviews, Britney a raconté comment elle a recherché le soutien dans la Bible. Cette gamine a en effet grandi dans la  » Bible Belt « , un de ces Etats du sud des Etats-Unis, profondément chrétiens. Née en 1981 à Kentwood, un bourg de 1 200 âmes, quelque part en Louisane, d’un père entrepreneur, Britney est fière, du moins à ses débuts, de se présenter comme une adolescente très ouverte, une fille du Sud. A l’époque, elle parle de ses prières quotidiennes et fait sensation quand elle déclare ne pas vouloir de relations sexuelles avant le mariage. Quand, en décembre 2000, elle pose pour The Church of Engeland Newspaper, des chrétiens en font leur ambassadrice de la virginité.

Pur produit du puritanisme américain ?  » Britney incarne l’adolescente à la fois sexy et innocente, explique Hugues Delforge, sociologue à l’Université libre de Bruxelles. Ce jeu ambigu relève du débat de société aux Etats-Unis, où le contraste est grand entre la liberté offerte aux jeunes et le carcan moral qui les entoure.  » Le mythe de la pucelle. Car son idylle avec Justin Timberlake du groupe N’Sync fait rapidement la Une des journaux. Au fil du temps et des albums, Britney se déshabille aussi de plus en plus.

Dans la foulée de Baby One More Time sortent, en 2000, Oops !… I Did It Again et, un an plus tard, un troisième album titré simplement Britney, avec le sulfureux I’m a Slave 4 U. Elle est alors la seule chanteuse à avoir réussi le triplé, se classant en tête des hit-parades américains trois fois de suite. En 2001, elle décroche la première place dans le magazine financier Forbes, qui établit le palmarès notamment des artistes les plus fortunés au monde.

Ses morceaux courts, abordant des thématiques légères, qui rencontrent les préoccupations des adolescents, sont idéalement formatés pour la radio. Entraînants, ils touchent le public des boîtes de nuit, soit les acheteurs potentiels de CD.  » A l’heure actuelle, l’artiste qui réussit bénéficie de bons réseaux de distribution, de multinationales du disque qui peuvent se payer un matraquage publicitaire, poursuit Delforge. Leur stratégie consiste à façonner une personnalité, à l’image de la télé-réalité, et de miser à fond sur un nombre réduit de chanteurs. Cette non-diversification des idoles correspond au besoin d’identification des enfants.  » Pressés de rejeter les valeurs parentales, les préados sont à la recherche de signes de reconnaissance. Avoir vu le même film ou porter les mêmes fringues que les copains cimentent le groupe et confortent l’identité du jeune ( lire aussi ci-dessous).

Autre stratégie de marketing : les stars d’aujourd’hui doivent être omniprésentes. Les produits dérivés entretiennent l’intérêt des fans. Les artistes ne peuvent plus se contenter de chanter, leur nom doit aussi servir à écouler une ligne de vêtements, de parfums… En 2001, Britney a écrit avec sa maman un roman Le Cadeau d’une mère (Albin Michel), d’inspiration autobiographique. En 2002, sur nos écrans, Crossroads, une bluette tout aussi insipide pour les plus de 12 ans, racontait l’histoire féerique d’une candidate chanteuse qui quittait sa ville de province pour rencontrer, à Los Angeles, l’amour et le succès.

Mais, dès cette époque, s’opère un Britney backlash. Au lendemain des événements du 11 septembre 2001, une campagne d’affichage pour un concert de Britney, dans le métro new-yorkais, avait déchaîné la fureur des amateurs de graffitis. Les attaques s’étaient faites virulentes pour dénoncer un sex-symbol, un pur produit de l’industrie musicale, des conglomérats multinationaux, d’une Amérique toute-puissante. Sous contrat publicitaire chez Pepsi, Britney, l’archétype du rêve américain et de la réussite facile des années 1990, n’apparaissait plus comme l’icône appropriée d’une Amérique blessée.

Son premier et son deuxième albums s’étaient vendus quelque 20 millions d’exemplaires. Mais le troisième n’avait pas franchi la barre de 10 millions, pas plus que le quatrième, l’actuel In the Zone. Pour n’importe quel artiste, 9 millions d’exemplaires représenteraient pourtant un blockbuster (un carton). Mais, pour Britney, ce  » flop  » signifiait une sérieuse érosion. Sur le plan personnel, la jeune Américaine avait aussi traversé des moments difficiles. En 2002, ses parents avaient divorcé et elle-même se remettait mal de sa rupture avec Timberlake.

Bref, pour Britney se posait le problème de savoir comment devenir adulte sans perdre ses très jeunes fans. Entre-temps, plusieurs chanteuses s’étaient positionnées comme des anti-Britney, parmi lesquelles la Canadienne Avril Lavigne, qui a écoulé 14, 5 millions d’exemplaires de son premier album. Ou Christina Aguilera, 12 millions d’albums vendus pour l’ensemble de sa (courte) carrière. Récemment, celle-ci a rompu avec son look de poupée Barbie, façonné par Disney : elle s’est teint les cheveux en noir et a pris des poses de plus en plus suggestives.

Bien sûr, depuis, Britney avait aussi abandonné son uniforme de collégienne et s’était fait percer le nombril qu’elle affichait ostensiblement, revendiquant le droit d’être sexy. Mais ces petites coquetteries tenaient encore du jeu d’enfant à côté de la grande prêtresse de la provoc’, Madonna.

C’est l’aguichante  » diva  » des années 1980 qui va signer le virage à 180 degrés de Britney. Le 28 août 2003, sur la scène des MTV Video Music Awards, elles chantent ensemble et terminent leur prestation par un baiser voluptueux. Le 2 janvier dernier, autre frasque : la nouvelle du mariage de Britney et d’un ami d’enfance, à Las Vegas, a fait le tour du monde. Il a duré cinquante-cinq heures. Une fois dégrisée, Britney a dû offrir une Porsche et un chèque pour convaincre le mari éconduit d’annuler l’union. Enfin, dans l’un de ses derniers clips, Everytime, Britney a provoqué la colère d’associations de protection de l’enfance en simulant un suicide dans une baignoire, après une dispute amoureuse. Celle qui pose désormais quasi nue dit agir par rébellion, pour échapper à sa prison dorée… Caprices de gosse gâtée ?  » Britney est tout à fait dans la norme, insiste-t-on chez BMG, sa maison de disques actuelle. Elle s’adapte au public adulte branché. Pink, Christina Aguilera… Elles sont toutes provocatrices, comme Madonna, leur ôgrand-mère », la première à multiplier les scènes chaudes en concert.  »

A moins qu’il s’agisse, comme Elvis Presley, de plagier la culture black.  » Les adolescents d’origine africaine disent : ôMaintenant, on trouve des Blanches qui imitent nos femmes », rapporte Chris Paulis, anthropologue à l’université de Liège (ULg), des filles sexy comme Beyoncé au corps sculptural, comme Janet Jackson qui feint de dévoiler son sein par hasard en chantant en duo avec Justin Timberlake. Je trouve étonnant et dérangeant la résurgence de cette compétition artistique entre les races.  »

Toute cette agitation n’enlève évidemment rien aux aptitudes artistiques de l’ex-présentatrice de Disney. Elle participe à l’écriture de ses chansons. Et In the Zone a d’ailleurs été plutôt bien accueilli par la critique.  » Son dernier album a un son beaucoup plus rock, ce qui est très tendance « , explique-t-on chez BMG. Britney s’est entourée d’artistes qui ont le vent en poupe, comme le New-Yorkais Moby, les producteurs d’Avril Lavigne…  » Le succès de Britney dépendra de sa capacité à se renouveler « , ajoute Delforge. A l’instar de Madonna qui, à plus de 45 ans, est toujours parvenue à se raccrocher à un nouveau style, renaissant tel un phénix. C’est sans doute ça aussi le rêve américain.

Dorothée Klein

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