Brahimi, pompier arrosé

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

L’envoyé spécial de l’ONU s’attendait aux  » coups tordus « , mais pas à un tel affront : chargé de désigner la nouvelle équipe dirigeante à Bagdad, le diplomate algérien a été placé devant le fait accompli par les Américains et les Irakiens

Dépité, le  » super-pompier  » de l’ONU. Sollicité par l’administration Bush pour sélectionner les futurs gérants de l’Irak, Lakhdar Brahimi a quasiment disparu du devant de la scène au moment crucial. Mis sur la touche par l’occupant et par l’exécutif provisoire sortant formé par Washington après l’invasion de l’Irak, le diplomate algérien n’a pu intervenir dans la composition du nouveau gouvernement appelé à conduire le pays jusqu’aux élections prévues en janvier 2005.

Kofi Annan, le secrétaire général des Nations unies, a exprimé ses réserves en termes diplomatiques û  » Nous devons reconnaître que le processus de nomination n’était pas parfait  » û et n’a pas voulu accabler son émissaire û  » Vu les circonstances, Brahimi a fait du mieux qu’il pouvait « . Paul Bremer, le  » proconsul  » américain à Bagdad, avait mis l’ancien ministre des Affaires étrangères algérien devant le fait accompli en incitant, la semaine dernière, le Conseil de gouvernement provisoire à nommer immédiatement un Premier ministre. Le nouvel homme fort de l’équipe dirigeante, Iyad Allaoui, un médecin chiite laïc âgé de 58 ans, est surtout connu pour ses liens avec la CIA. Ce n’était pas le premier choix de Brahimi, qui aurait préféré voir à ce poste le Dr Hussain al-Shahristani, un ingénieur nucléaire moins marqué politiquement.

L’envoyé spécial de l’ONU a, dit-on, été atterré par la manière peu élégante dont les Américains ont imposé leur choix. Il n’était pas présent lorsque le Conseil et Bremer ont, ensemble, pris la décision de nommer Allaoui. Les Américains estimaient que cet ancien baassiste, passé dès le milieu des années 1970 à l’opposition au régime de Saddam Hussein (qui a tenté de le faire assassiner à Londres) et chargé des questions de sécurité dans l’exécutif sortant, était le mieux placé pour affronter la violence persistante. Autre atout : il figurait sur une liste de trois candidats jugés  » acceptables  » par l’ayatollah Al-Sistani, la plus haute autorité religieuse chiite du pays.

Le ralliement forcé de Brahimi à un candidat si proche de Washington a, en tout cas, créé une certaine confusion au siège de l’ONU. D’autant que le diplomate algérien a subi un nouvel affront le week-end dernier : il n’a pas été invité aux débats entre Américains et membres du Conseil sur la désignation du premier président irakien depuis Saddam Hussein. Après plusieurs rebondissements, le candidat qui tenait la corde pour ce poste largement honorifique, le sunnite Adnan Pachachi, ancien diplomate de 81 ans et ami personnel de Brahimi, a jeté le gant. Les membres influents de l’exécutif lui ont préféré Ghazi al-Yaouar, 46 ans, neveu du chef des Chammar, une des plus grandes tribus du pays, et homme d’affaires avisé ayant fait ses études aux Etats-Unis.

Entre-temps, Bremer et Allaoui, poursuivant la stratégie du fait accompli, ont  » suggéré  » un panel de ministres fort différent de l’exécutif que Brahimi désirait constituer, fruit de ses nombreuses consultations. L’envoyé spécial de l’ONU avait marqué sa préférence pour un gouvernement de technocrates apolitiques. Mais les leaders des principaux partis, désireux de ne pas perdre leur influence, ont fait de la résistance. Résultat : une nouvelle équipe de 33 membres qui ressemble au Conseil sortant, décrié pour son manque d’autonomie par rapport aux Américains.

Expert en situations post-conflits, Brahimi, qui avait gagné l’estime de l’administration Bush par sa gestion du dossier afghan, a pris acte d’une conjonction d’intérêts hostiles à une large souveraineté de l’Irak. D’ici aux élections, ni les Américains ni l’ayatollah Al-Sistani ne veulent d’un gouvernement fort qui serait tenté de prendre des décisions. Certes, Washington avait besoin de l’ONU pour cautionner la transition, mais c’est la coalition qui continuera à tirer les ficelles après le 30 juin.

Olivier Rogeau

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