Botte crotteuse sous les crampons

Alexandre Charlier
Alexandre Charlier Journaliste sportif

Le foot italien est, pour la quatrième fois, champion du monde. Mais l’immense scandale qui l’éclabousse au pays promet un réveil douloureux. La Juventus, le Milan AC, la Lazio Rome et la Fiorentina sont menacés de relégation

Ce n’est pas un coup de tête victorieux, c’est un coup de boule. C’est un taureau qui se rue sur son torero. Celui-là a des mains à la place de banderilles et s’appelle Marco Materazzi. Un colosse de 193 centimètres. Culbuté. Le défenseur de l’Italie devenue championne du monde a allumé Zinédine Zidane. Il l’a reconnu. Mais qu’a-t-il pu dire pour qu’en une fraction de seconde Zizou pète les plombs ? Mystère. La presse internationale et… 48 heures après les faits, la Fifa (Fédération internationale de Football Association) enquêtent.

L’image, elle, restera à jamais. Car ce vilain coup de Zizou a été vu par plusieurs millions de téléspectateurs et un 4e arbitre particulièrement attentif. Le  » meilleur joueur de la Coupe du monde 2006 « , selon un référendum de la Fifa, s’en est ainsi allé, tête baissée, dans les catacombes du majestueux stade de Berlin. Il croise la statuette en or. N’ose la regarder en face.

Zidane a-t-il perdu toute lucidité à la suite d’une injure à caractère raciste ? La rumeur semblait vouloir, dans les heures suivant sa brutale retraite, le confirmer. Materazzi jure ne pas avoir dit  » terroristo  » au joueur d’origine algérienne… Mais Zidane, joueur d’exception, n’a-t-il pas tout simplement craqué sous la gigantesque pression qui l’entoure depuis des mois ? Une réaction  » humaine « , spontanée… Zinédine est un business planétaire, d’Adidas à Danone, en passant par cette boutique  » Z  » de l’avenue Lippens, à Knokke… Il  » pèse  » actuellement 18, 6 millions d’euros par an (1). Plusieurs de ses contrats courent jusqu’en 2018 !

Explosion de passion

L’incident Zidane a jeté un froid glacial sur l’apothéose d’un Mondial qui aura permis à l’Allemagne d’offrir au monde un joli visage, jeune, accueillant et festif. La France, elle, avait la gueule de bois en ce lendemain de défaite. Paradoxe saisissant avec l’agitation suprême submergeant l’Italie. Du talon de la Botte à La Louvière, le peuple a gueulé sa fierté. De tous ses pores. Jamais titre de champion du monde – le 4e, déjà, de la  » Squadra  » -, n’avait suscité une telle explosion de passion.

C’est que le  » Calcio  » est englué dans une crise jamais connue et qu’il était bon, trois jours avant que la justice romaine ne rende son verdict dans le procès visant le scandale des matchs truqués du Championnat d’Italie, que les tifosi crient leur attachement à un sport ayant valeur de religion.

 » Si le scandale n’avait pas eu lieu, nous n’aurions pas gagné la Coupe du monde « , s’est risqué à déclarer le solide milieu de terrain milanais Gennaro Gattuso dès son retour au pays natal. Parmi les 23 joueurs revenus chargés d’une gloire éternelle de leur épopée allemande, pas moins de 13 sont menacés de relégation ! Leurs employeurs s’appellent la Juventus, le Milan AC, la Lazio Rome et la Fiorentina. Et tous ces illustres cercles, ces  » institutions « , sont dans l’£il du cyclone. Buffon, Camoranesi, Cannavaro, Del Piero, Zambrotta, Gattuso, Gilardino, Inzaghi, Nesta, Pirlo, Toni, Oddo et Peruzzi sont susceptibles de basculer en deuxième division, voire même en troisième pour ce qui concerne la Juve.

Opération  » pieds propres  »

L’opération  » pieds propres  » secoue la Botte comme jamais. Pire qu’à l’époque maudite du  » Totonero « . En 1980, ce gigantesque scandale sur d’autres matchs truqués avait abouti à la relégation du Milan AC en Série B et à la suspension de Paolo Rossi durant deux ans.

A la veille de disputer la finale du Mondial 2006, la ministre des Sports Giovanna Melandri résumait assez bien les enjeux, pour le Calcio et, donc, pour son pays, de cette folle deuxième semaine du mois de juillet 2006 :  » Deux grands matchs vont se mêler, celui de la finale à Berlin et celui qui doit rendre propre le football italien. Le football italien n’a besoin ni d’amnistie ni de « vendetta », mais de vérité et de justice, parce que nous nous trouvons face au plus gros scandale de l’histoire du sport italien.  »

Voilà qui était clair. La ministre n’avait pas prêté attention à la volonté d’une certaine frange de la classe politique plaidant l’amnistie totale. Que dirait un Napolitain si l’on fermait les yeux sur les magouilles des  » riches  » de Milan ?

Des clubs, leurs dirigeants, ainsi que des arbitres, arbitres assistants, dirigeants sportifs et membres de la Fédération sont mis en cause. Tous sont soupçonnés d’avoir participé au truquage de plusieurs matchs lors de la saison 2004-2005, notamment par la désignation d’arbitres complaisants. En tout, 26 personnalités du monde du football sont poursuivies pour corruption et infraction à l’éthique sportive. Un tribunal du sport, composé de 7 magistrats et présidé par Cesare Ruperto, a été installé, la semaine passée, au Stade olympique de Rome. Il fallait trancher. Vite. L’enquête,  » absurde et hors normes  » aux yeux de Silvio Berlusconi, fut en tout cas implacable pour Luciano Moggi, ancien dirigeant de la Juve, considéré comme le  » grand ordonnateur  » des matchs arrangés. Son avocat a toutefois estimé que son divorce forcé d’avec la  » Vieille Dame  » (mai 2006) équivalait déjà à une  » radiation « , rendant son jugement inutile et illégitime. Tour à tour, de Luciano Moggi à Adriano Galliani, vice-président du Milan AC, en passant par l’industriel Diego Della Valle, président honoraire de la Fiorentina, les grands noms du Calcio se sont retrouvés confrontés à cette sombre affaire. La plupart étant embêtés dans leurs grandes et petites combines  » entre amis  » par des écoutes téléphoniques. L’on y discute tantôt du choix d’arbitres, tantôt de coups de main sur la pelouse et d’autres échanges de faveurs. La défense stigmatise le manque de preuves pour étayer ces accusations.

Fraudes

Parallèlement au procès sportif, les parquets de Naples, Rome, Parme et Turin mènent une enquête pénale pour des suspicions de fraudes, paris illégaux et manipulations de comptes. Les éventuelles mises en examen ne devraient pas intervenir avant plusieurs mois. En clôture des débats, vendredi 7 juillet dernier, Cesare Ruperto a affirmé que la justice ne serait pas rendue à la légère. La tenue de ce procès  » rapide  » à l' » Olimpico  » devait permettre de  » réécrire  » le classement du championnat 2005-2006 (remporté par la Juventus devant Milan). Il y a en effet lieu d’éviter une situation de blocage des compétitions par la non-inscription, notamment, d’équipes italiennes dans les deux Coupes européennes, la saison prochaine.

En cas d’appel, plus que probable, la sentence définitive est annoncée pour le 20 juillet. Le 27 du même mois, la fédération italienne communiquera à l’UEFA (Union européenne de Football Association) le classement rectifié de son championnat 2005-2006. Soit à la veille du tirage au sort en Ligue des champions. Un tirage qui concerne Anderlecht. Et, peut-être, le Standard de Liège s’il s’extirpe des tours de chauffe avant l’entrée en lice des  » grands « .

(1) L’Equipe du 8/7/06 citant l’hebdomadaire France-Football.

Alexandre Charlier

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