Bob Beijer, taupe de l’URSS ?

L’ancien gendarme avoue de graves faits dont il avait été acquitté en 1995 : attentat contre le major Vernaillen, vol d’armes à l’ESI (gendarmerie), affaire Zwarts. Il affirme – vrai ou faux – avoir écouté des  » maîtres  » soviétiques pour déstabiliser la Belgique des années 1980. Un livre-événement.

Les ouvrages sur les  » années de plomb  » de la Belgique des années 1980 ne se comptent plus, qu’ils abordent les tueries du Brabant (28 morts de 1982 à 1985), les attentats des CCC (les Cellules communistes combattantes dont la campagne 1984-1985 avait fait 2 tués) ou le rôle de la gendarmerie. Celui que l’ancien gendarme Robert  » Bob  » Beijer publie cette semaine s’en distingue en ce qu’il révèle, sous le titre mystérieux Le Dernier Mensonge, des faits neufs, précis et extrêmement troublants. S’ils sont exacts.

Qu’avance donc Bob Beijer ? Avant tout, il assure que, jeune homme, il avait été recruté par des agents russes appartenant au GRU, le service de renseignement soviétique militaire (ce détail, qui ne figure pas dans le livre, nous ayant été précisé par l’auteur). Tout le reste découlerait, soutient-il, de cet engagement. Ce qui n’est pas le moins surprenant dans son récit, car l’homme était plutôt connu pour fréquenter des proches de l’extrême droite, comme son futur collègue Madani Bouhouche. On était à la lisière du clan néonazi, avec le Front de la jeunesse ou le Westland New Post (WNP).

Bref, Bob Beijer rapporte que ceux qu’il appelle ses  » maîtres  » l’avaient conduit à s’engager à la gendarmerie, dans le but de nuire à son image et d’en saper le fonctionnement.  » L’objectif (…) est clair : il s’agit ni plus ni moins de déstabiliser et décrédibiliser une gendarmerie tellement soucieuse de son image de marque. A la recherche d’une idée simple, inédite mais perturbatrice, je décide de placer une bombe dans un véhicule de la BSR « , soit la brigade de surveillance et de recherche de Bruxelles.

Comme celles qui allaient suivre, cette opération du 11 octobre 1981 avait été préparée avec Madani Bouhouche, lui aussi gendarme. Opération ratée (seul le détonateur avait explosé) et, en même temps, réussie : l’affaire avait provoqué un très vif émoi. Moins, pourtant, que l’attaque suivante. Deux semaines plus tard, un commando de cinq hommes, mené par Bob Beijer, avoue-t-il désormais, tentait d’abattre chez lui le commandant du district de Bruxelles, le major Herman Vernaillen. Une pluie de plomb avait ravagé la maison d’Affligem. Si l’officier en avait néanmoins réchappé, le retentissement avait été spectaculaire. Les années de plomb venaient de s’installer, d’autant plus qu’un attentat sanglant, quoique sans rapport, s’était produit le 21 octobre près d’une synagogue anversoise.

Dès lors, Bob Beijer et Madani Bouhouche (dont les motivations ne sont pas nettement arrêtées) allaient organiser un réseau de garages et d’appartements conspiratifs, y stockant quantité d’armes et de matériel. Mais Bob Beijer voulait frapper  » là où la gendarmerie serait blessée dans ce qu’elle avait de plus sensible, son honneur et son prestige ! C’est ainsi qu’est né dans mon esprit le projet de l’opération contre l’ESI « . C’est-à-dire le vol des armes d’exception de l’unité d’élite de la gendarmerie. Le soir du 31 décembre 1981, un commando de quatre hommes pénétrait donc le saint des saints des forces de l’ordre. Il chargeait une berline de tant d’armes, et si lourdes, que la voiture menaçait de s’effondrer. Mais le quatuor réussissait l’opération. Et le scandale grandissait, énorme.

La suite s’était étalée sur plusieurs années, avec un tandem Beijer-Bouhouche en gendarmes monstrueux ou, plus tard après leur démission, en détectives privés (agence ARI, écoutes, filatures et coups fourrés en tout genre).

En cause, parmi d’autres : l’affaire Zwarts, du nom d’un agent de sécurité de la Sabena abattu à Zaventem lors d’une attaque de fourgon, le 25 octobre 1982. Selon Bob Beijer, il s’agissait de récupérer une valise diplomatique pour le compte de Moscou. Mais des valeurs (près de 2 millions d’euros, quand même…) avaient été emportées. Madani Bouhouche lui avait fait l’aveu ultérieur que Francis Zwarts avait été tué de deux balles dans la tête.

Bientôt des fouilles ?

Sans grand égard jusque-là pour sa famille et après avoir tenté en vain de monnayer ces données avec le gouvernement belge contre le changement de son patronyme, Bob Beijer offre désormais de localiser si possible le cadavre de la victime. Il serait enterré à faible profondeur près d’une usine bruxelloise proche du canal de Willebroek. Il est donc possible que des fouilles y soient organisées prochainement. De même que d’autres, dans le canal lui-même, puisque l’auteur donne carrément des coordonnées, longitude et latitude, où il dit avoir jeté des armes suspectes.

Dans ses révélations, Bob Beijer, un temps soupçonné pour les mêmes faits, s’abstient de se prononcer sur les dossiers des tueries du Brabant et de l’assassinat de l’ingénieur de la FN Herstal, Juan Mendez (abattu le 7 janvier 1986 à Rosières). Il n’empêche qu’il livre des précisions laissant croire que son compère Bouhouche en aurait su pas mal sur l’un et l’autre. Las : l’intéressé n’en dira rien, car il est mort en France à la mi-novembre 2005 sous un arbre qu’il coupait.

Selon Le Dernier Mensonge, l’agence ARI et ses fondateurs auraient de surcroît entretenu de troubles relations avec la Sûreté de l’Etat et, singulièrement, un de ses agents, Christian S. Ce que le livre ne dit pas, c’est que ce dernier l’avait nié victorieusement devant le même détecteur de mensonge qui avait blanchi… Bob Beijer pour les tueries du Brabant ! Ce dernier tombait finalement en 1989. Le 2 septembre, il avait mené ce qu’il appelle désormais une mission pour Moscou : l’intimidation d’Ali Suleyman, un diamantaire anversois. Mais les choses s’étaient mal passées : il avait été blessé et Suleyman, tué. Pour l’ancien gendarme, la cavale commençait, de l’Amérique du Sud à l’Asie, prison comprise, avant un retour forcé en Belgique.

Jugé avec Madani Bouhouche en 1994-1995 pour quatorze dossiers, dont ceux évoqués ci-dessus, Bob Beijer avait écopé de quatorze ans de prison pour la seule affaire d’Anvers. Mais avait été acquitté pour toutes les autres (Bouhouche, en revanche, avait été dit coupable de plusieurs faits). C’est que l’accusation disposait de peu d’éléments. Et que l’avocat de Beijer, Me Pierre Chomé, avait su transmettre au jury de la cour d’assises du Brabant sa profonde conviction que son client était innocent.

Bref, la réalité semble donc avoir dépassé la fiction. L’a-t-elle vraiment fait ? Les arguments vont en sens divers. D’un côté, la lecture donne une impression de cohérence. Et le livre fournit une trame à des événements autrement inexpliqués. De plus, son auteur sait qu’il ne risquerait pas grand-chose en disant vrai : la prescription et la force de la chose jugée s’additionnent pour le mettre à l’abri, côté justice.

D’un autre côté, ses affirmations relatives à la Sûreté de l’Etat sonnent creux. Quant au GRU (service de renseignement de l’Armée rouge), il est étonnant de le voir apparaître : il était chargé des cibles vraiment militaires (ce que n’était plus la gendarmerie belge à proprement parler), comme la surveillance de l’Otan, la modernisation des avions de chasse, etc. La déstabilisation à l’étranger, c’était l’affaire d’un autre service, le KGB.

Alors ? Ce livre-événement est aussi un récit haletant, qui se lit comme un roman. Et qui paraît tout à fait crédible pour les attentats, pour l’affaire Zwarts. ça  » colle « . Mais beaucoup moins pour l’option moscovite qui pourrait n’être, pour l’auteur, qu’une manière de se donner un rôle moins noir, en nimbant ses sinistres actions d’un  » idéal « . On attendra donc le second tome, en chantier et consacré surtout à cet aspect du personnage, pour s’en convaincre. Ou pas.

Le Dernier Mensonge, Bob Beijer, éd. Luc Pire, 351 p.

ROLAND PLANCHAR

 » Frapper là où la gendarmerie serait blessée dans son honneur « 

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