Benoît Scheen :  » La bataille autour du foot est devenue risible « 

Au moment de quitter l’opérateur belge pour l’actionnaire principal France Télécom – Orange, le patron de Mobistar tire deux enseignements de l’évolution du marché belge : la folle surenchère entre Belgacom et VOO et l’échec de la libéralisation du téléphone fixe.

Durant ses quatre années à la tête de Mobistar, Benoît Scheen a consolidé la position de Mobistar comme  » deuxième opérateur télécom du pays tout court, et pas seulement deuxième opérateur de téléphonie mobile « , selon sa formule. La façon dont il a transformé Mobistar en un opérateur  » multiple play « , proposant également de la téléphonie fixe, de l’Internet fixe et mobile et, depuis quelques mois, de la télévision numérique, a visiblement été appréciée par la maison mère France Télécom, qui le charge désormais de réaliser cette même convergence dans d’autres pays d’Europe. Où les conditions de concurrence seront peut-être plus favorables que celles rencontrées en Belgique…

Le Vif/L’Express : La libéralisation des télécoms, c’est beaucoup de travail pour les avocats et les tribunaux, non ? Il y a quelques semaines encore, vous et d’autres opérateurs alternatifs avez déposé plainte, non reçue à ce stade, pour abus de position dominante de Belgacom en matière de téléphonie dans les entreprises …

Benoît Scheen : Effectivement. Mais la plus importante décision à ce jour reste l’amende, historique, de 66 millions d’euros infligée à Belgacom par le Conseil de la concurrence il y a deux ans pour abus de position dominante. Belgacom s’est pourvu en appel et espère récupérer une partie de cette somme. Parallèlement, Mobistar et Base ont intenté une action en dommages et intérêts, dont le procès est en cours. Le rapport d’experts le plus récent estime le dommage potentiel subi par Mobistar et Base à 1,8 milliard d’euros ! Et ce uniquement pour la période 1999-2004. Il n’y a plus à faire la preuve de la faute puisque celle-ci a été démontrée par le Conseil de la concurrence. Le juge a désigné deux experts extérieurs qui travaillent depuis deux ans et demi. On attend le verdict. Après, on s’attaquera à la période 2004-2009.

Le fait que l’appel de Belgacom ne soit toujours pas tranché deux ans plus tard, ça vous met en rogne ?

Il faut être patient vu la complexité des dossiers. Mais on va bien finir par aboutir. Par ailleurs, on ne peut jamais exclure un accord à l’amiable entre les parties. Mais nous attendons d’abord le rapport final des experts.

La libéralisation est-elle donc un échec ?

La libéralisation a été initiée dans les années 1990 pour améliorer le service aux consommateurs en ouvrant le jeu de la concurrence. C’est vrai qu’à l’époque il fallait au minimum trois mois pour ouvrir une ligne fixe. Et il n’y avait pas de GSM comme alternative. C’est aujourd’hui inconcevable. Une véritable dynamique de marché a pu être instaurée assez rapidement pour la téléphonie mobile grâce aux investissements majeurs de Mobistar, pas moins de 2,8 milliards d’euros au total, et Base. On voit à présent l’arrivée d’un 4e opérateur [NDLR : Telenet/VOO]. Le consommateur a donc le choix et peut changer rapidement. Par contre, la libéralisation a été un échec dans le domaine de la téléphonie fixe, certainement sur le segment des entreprises. La part de marché de Belgacom y est toujours supérieure à 75 %. En raison du manque de poigne du régulateur au cours des premières années de libéralisation. Idem pour ce qui est de l’accès à Internet : un certain nombre de fournisseurs  » privés  » de services Internet comme Tiscali, Wanadoo ou Tele2 ont disparu ou ont été absorbés.

En fait, il ne subsiste en Belgique aucun opérateur télécom majeur qui ne soit lié à un opérateur historique, France Télécom dans votre cas ou le néerlandais KPN dans le cas de Base… D’aucuns évoquent l’étroitesse du marché belge …

Non, la vraie raison est tout simplement que des initiatives ont été étouffées par les pratiques commerciales de Belgacom. Souvenez-vous par exemple des codes de présélection à 4 chiffres qui permettaient d’appeler à un tarif avantageux. Ils n’ont eu aucune chance dès lors que Belgacom a lancé sa formule Happytime [NDLR : appels gratuits à certaines périodes]. Le fond du problème est que Belgacom vend directement aux particuliers des communications à un tarif inférieur à celui qu’elle facture aux autres opérateurs. Dans d’autres pays, l’opérateur est obligé de lancer simultanément de nouvelles offres agressives sur les marchés de détail (aux particuliers) et sur le marché de gros. Belgacom a échappé à cette obligation, c’était clairement une carence du régulateur.

Vous parlez au passé. Il y a des changements ?

Le régulateur, l’IBPT, repose sur un nouveau conseil depuis deux ans. Ses quatre membres ne sont plus issus de nominations politiques. On sent une vraie volonté d’ouverture des marchés, comme l’a prouvé récemment la décision d’ouverture du marché de la télédistribution, afin d’éviter une situation de duopole en Flandre (Belgacom/Telenet) et en Wallonie (Belgacom/ VOO). C’est un signal fort.

Les prix vont-ils réellement baisser ?

Les prix baissent. Une étude du Service public fédéral Economie a montré qu’en moyenne ces cinq dernières années, le prix des communications mobiles diminue de 11 % par an. Ce n’est pas le cas de l’Internet, qui reste stable.

Les réseaux télécoms, notamment mobiles, ne sont pas infaillibles, comme l’ont prouvé une série de pannes récentes ou l’incapacité à téléphoner lors du dramatique Pukkelpop. Que l’on possède un smartphone dernier cri ou non…

Le réseau Mobistar, c’est une toile de 600 000 composants électroniques qui doivent fonctionner 24 h sur 24. On ne peut jamais exclure un concours de circonstances, mais les pannes restent extrêmement rares. Deuxièmement, le réseau n’est jamais dimensionné pour une très forte concentration de population. Comme une autoroute vis-à-vis du nombre de véhicules, une antenne ne peut accepter qu’un nombre limité de communications. Pour tous les grands événements (festivals rock, Grand Prix de formule 1, etc.), les trois opérateurs envoient sur place des camions pourvus d’antennes mobiles pour ponctuellement augmenter les capacités. Pour le Pukkelpop, nous avions doublé la capacité et pouvions permettre 1 000 appels simultanés. C’est déjà beaucoup, mais en cas de panique…

Un mot sur la  » guerre du foot  » que se livrent Belgacom et VOO…

On est dans la surenchère totale. Pendant très longtemps, Belgacom n’a pas annoncé son nombre de clients pour l’option foot. Le chiffre de 70 000 clients a récemment été lâché à une conférence de presse. Soit moins de 2 % des ménages. Compte tenu du fait que Belgacom a payé 43 millions par an pour les droits de diffusion et que ses coûts de production sont au minimum de 7 millions d’euros, chaque client  » foot  » lui coûte 800 euros, pour une option qui n’est même plus payante… Cette bataille est devenue risible. Elle a sévi dans d’autres pays, mais différents acteurs s’en éloignent. Mobistar ne paiera jamais de telles sommes. Nous allons nous concentrer sur les 98 % de ménages restants.

D’accord, mais l’offre TV de Mobistar n’a pas de contenu exclusif à proposer…

Notre expérience TV a un peu plus de neuf mois. Nous voulons nous différencier par la façon de regarder la télévision plutôt que par le contenu en tant que tel. Notre  » setup box  » permet de visionner du contenu provenant de différentes sources et est pilotable par un iPhone. Notre métier n’est pas de faire de la production de contenus. Nous préférons nous associer avec des partenaires spécialisés, dans le cadre d’un écosystème.

OLIVIER FABES

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