Benoît Lutgen – Charles Michel : la rupture

L’animosité personnelle entre les présidents du MR et du CDH a joué un grand rôle dans la composition de majorités différentes au fédéral et dans les Régions. Les deux hommes ne se sont jamais trouvés. Genèse d’une méfiance devenue maladive.

Ces deux-là ne partiront jamais ensemble en vacances. Les relations entre Benoît Lutgen, président du CDH, et Charles Michel, son homologue du MR, se sont fortement dégradées en raison de l’âpreté de la campagne électorale et du processus chaotique de formation des gouvernements. Aujourd’hui, la rupture est totale.  » Si Benoît a refusé de participer au fédéral, au-delà de sa peur de la N-VA, c’est avant tout en raison de très mauvaises relations interpersonnelles, insiste un membre du top du parti. Il n’a jamais fait confiance à Bart De Wever mais surtout, il ne supporte plus Charles Michel.  »

Benoît Lutgen lui-même l’a exprimé de façon très virulente dans le quotidien Le Soir, le 26 juillet, en dénonçant l’ouverture de négociations MR – N-VA alors que les libéraux avaient affirmé avant les élections qu’ils ne les engageraient jamais :  » Ne pas respecter sa parole, c’est insupportable. Vraiment tout mettre en oeuvre pour ne pas la respecter, c’est indigne. Je ne crois plus en Charles Michel.  » Même si le Bastognard regrette avec le recul le titre principal de l’interview –  » Charles Michel est un menteur  » -, il n’en reste pas moins irrité par l’attitude de son homologue. Sur fond de peur existentielle : depuis vingt ans, les humanistes sont persuadés que le MR cherche à tuer le CDH en mangeant son aile droite.

Entre les deux hommes, les rouages sont en réalité grippés depuis le début.

Acte 1 PAS DE LUNE DE MIEL

Le 28 janvier 2011, Charles Michel devient président du MR après avoir mené une violente campagne interne contre Didier Reynders. Au même moment, Joëlle Milquet laisse entendre qu’elle cèdera la tête du CDH à Benoît Lutgen, mais ce dernier se fait désirer durant des mois. Il entre finalement en fonction le 1er septembre de la même année.  » Les deux hommes ne se connaissaient pas bien du tout, explique-t-on dans leur entourage. Quand Benoît est devenu ministre wallon, Charles est parti au fédéral.  » Leurs premiers contacts sont laborieux. En parfait premier de classe, soucieux de  » dédiaboliser  » son parti, Charles Michel veut longuement rencontrer tous ses collègues. Benoît Lutgen, plus solitaire, concentré sur la dynamique interne du CDH, se fait désirer, là encore, et ne répond pas tout de suite aux sollicitations. Entre les deux hommes, il n’y a pas de lune de miel. D’autant que lors de la négociation de la sixième réforme de l’Etat, ils s’irritent mutuellement. Le MR raille un Lutgen surmené, qui arrive en retard aux réunions, ne parle pas néerlandais et ne maîtrise pas ses dossiers. Ambiance.

Acte 2 UN CLASH D’ANTHOLOGIE

A l’automne 2011, le pays est bloqué depuis un an et demi, c’est la crise politique la plus longue jamais connue en Belgique. En octobre, le MR est appelé à la table des négociations par le formateur royal, Elio Di Rupo. Cap sur la tripartite. Mais avant cela, les discussions budgétaires coincent. Epuisé, Di Rupo se rend de façon théâtrale chez le roi Albert II pour présenter sa démission. Les libéraux étant montrés du doigt, Charles Michel décide d’expliquer sa version des faits le soir à la télévision. Il avertit Laurette Onkelinx et Benoît Lutgen de son intention.  » Pour faire de la pédagogie, pas pour attaquer nos partenaires « , précise- t-on au MR. Toute la journée, les contacts téléphoniques se multiplient : Lutgen est furieux, il ne voulait pas, lui, prendre la parole mais se sent contraint de le faire. Le soir, en direct au JT de RTL-TVI, le président du CDH attaque violemment Michel. Franc, carré, il affirme que  » les libéraux n’étaient pas très clairs (NDLR : au cours des négociations), c’est le moins que l’on puisse dire « . Le ton vire à l’aigre et au tutoiement méprisant. Charles Michel est d’autant plus furieux que, décontenancé par l’agression de Benoît Lutgen, il réagit mal, bredouille et n’argumente pas. Ce ne sera pas la seule fois que les réactions impulsives de l’Ardennais ou son humour très ironique décontenancent ses adversaires.  » Lutgen est complexé, à tort, notamment parce qu’il n’a pas fait d’études, dit-on à plusieurs sources. Pour compenser, il peut être dur et cassant.  »

Acte 3 LE RAPPROCHEMENT COMMUNAL

 » Le seul moment où Benoît et Charles ont noué une complicité, c’est au lendemain des communales de 2012.  » Dans le Luxembourg et le Namurois, CDH et MR s’allient à plus d’une reprise pour mettre le PS dans l’opposition. A Bruxelles, après l’éjection de Joëlle Milquet, tous deux soutiennent le coup de force molenbeekois : MR, CDH et Ecolo mettent fin au règne de Philippe Moureaux.  » Il ne faut pas se tromper : c’est surtout une dynamique propre à Bruxelles qui a joué « , temporise un CDH de la capitale. Le rapprochement entre les deux présidents n’est que très temporaire. Un écran de fumée.

Acte 4 UNE AFFAIRE PERSONNELLE

L’âpreté de la campagne électorale, entamée sur les chapeaux de roue par le MR dès septembre 2013, agace le président du CDH, d’autant plus qu’en Wallonie, les libéraux attaquent frontalement les humanistes sur les questions budgétaires. Le coup de grâce, c’est la décision prise par le MR d’envoyer son vice-président Willy Borsus chasser sur ses terres luxembourgeoises pour tenter de grappiller un siège.  » Benoît est un susceptible, il a pris cela comme une agression personnelle, confie un proche. Le rapprochement entre le MR et son frère Jean-Pierre, patron d’Ice Watch avec lequel Benoît est en conflit ouvert, a transformé la tension en affaire personnelle.  »  » Nous avons précisément décidé de ne pas mettre le frère de Benoît sur une liste pour éviter de nous fâcher avec le CDH, entend-on au MR. Si on avait su, au vu de ce qui se passe aujourd’hui, nous n’aurions pas dû hésiter.  »

Acte 5 LE CONTACT COUPÉ

Quelques jours après les élections, Benoît Lutgen et Charles Michel explorent ensemble les coalitions possibles au domicile de ce dernier, à Wavre. Ce sera le seul moment où les deux hommes tenteront en vain de construire quelque chose ensemble. Déjà, leurs destins se séparent.  » Nous avons proposé des majorités sans le PS partout, mais Michel préconisait une tripartite du côté francophone et n’a plus répondu aux appels de Benoît Lutgen « , dénonce- t-on au CDH.  » C’est Benoît Lutgen qui était fuyant, il ne répondait plus à son GSM, on sentait qu’il se tramait quelque chose « , rétorque-t-on au MR. La confirmation vient, vite : les humanistes s’associent au PS en Wallonie, provoquant un déchaînement d’artillerie lourde chez les réformateurs qui parlent d’un  » acte pré-séparatiste  » et dénoncent un CDH définitivement scotché aux socialistes.

La rupture est définitive lorsque le président du CDH refuse à deux reprises de rallier le centre-droit au fédéral.  » Vous avez envie de vous associer avec des gens qui vous injurient tous les jours, vous ? Moi pas ! « , dénonce Benoît Lutgen dans l’interview au ton extrêmement virulent du Soir où il accuse le président du MR de  » menteur  » et de  » manipulateur « . Charles Michel encaisse, mais prépare déjà le coup suivant. Avec la  » suédoise « , il espère faire une OPA sur le centre-droit du CDH. Et pourrait proposer l’un ou l’autre poste ministériel à des personnalités proche des milieux chrétiens pour siphonner son électorat. De fait, si l’Ardennais impulsif et le premier de classe du Brabant wallon se chamaillent à ce point, c’est bien parce qu’ils chassent sur les mêmes terres.

Par Olivier Mouton

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