Belgique-Singapour : le grand écart

Ville propre et sûre, à la pointe en matière de mobilité et d’urbanisme planifié, Singapour fascine. Et offre un contraste saisissant avec une Belgique engluée dans ses divisions et son manque de vision. Prix à payer : des libertés individuelles très encadrées.

Tel un top model, Singapour sait se faire admirer. Du haut du 55e étage du Marina Bay Sands, luxueux complexe hôtelier coiffé d’un skypark et d’une piscine, on peut embrasser du regard une baie de science-fiction bordée de gratte-ciel du IIIe millénaire. Pour mieux comprendre l’évolution et la gestion de l’espace urbain, un petit détour par l’Urban Redevelopment Authority s’impose. Cette administration abrite, dans une salle de musée, une maquette géante de la ville. Elle permet de visualiser, avec une précision inouïe, les immeubles et aménagements actuels et les projets non encore sortis de terre.

Maîtres de la planification, les Singapouriens ont élaboré un concept plan qui trace les grandes orientations urbanistiques pour le prochain demi-siècle. Ils disposent aussi d’un master plan qui détaille les choix plus fins pour les dix années à venir. Quand on vient d’un pays, la Belgique, en manque de vision sur le devenir de la ville, où les projets urbains butent sur des contraintes administratives et financières, ou donnent lieu à d’interminables passes d’armes entre différents niveaux de pouvoirs, les projections singapouriennes, précises et ambitieuses, impressionnent. Certes, comparer la politique de Singapour, dictature éclairée, avec celle de la Belgique, pays démocratique handicapé par sa complexité institutionnelle, a ses limites. Néanmoins, les succès de la cité-Etat, dotée d’un gouvernement stable qui décide en fonction de l’intérêt à long terme du pays, sont salués dans le monde entier.

Manque d’espace

Paradis des affaires, ville dynamique au coeur de la mondialisation, deuxième port mondial après Shanghai, Singapour est le pays où, depuis un demi-siècle, le niveau de vie s’est le plus amélioré. On prédit qu’il sera le plus élevé de toute la planète en 2050. Souci : la natalité singapourienne est la plus basse du monde (0,8 enfant par femme), les locaux étant soucieux de préserver leur bien-être. Ce qui n’empêche pas la population de l’île d’augmenter : peuplée de 5,5 millions d’habitants, elle devrait en accueillir près d’1,5 million de plus en quinze ans. En cause : un solde migratoire positif. Car la prospérité de la cité-Etat attire de nombreux étrangers. En 2030, ils représenteront près d’un habitant sur deux. Dès lors, l’un des défis du gouvernement est de faire face au manque d’espace. D’où le projet de construire des dizaines de nouvelles tours à appartements près du Marina Bay Sands et dans d’autres zones conquises sur la mer.

Contrainte de composer avec l’étroitesse de son territoire (716 kilomètres carrés), l’île a grandi sur l’eau, en sous-sol et vers le ciel, même si Singapour, dont les plus grands des 225 gratte-ciel ne dépassent pas 280 mètres de hauteur, ne cherche pas à rivaliser avec Dubaï, Shanghai ou Shenzhen. Malgré une densité de population la plus élevée au monde après Monaco (près de 8 000 hab/km2), la moitié du pays est recouvert de végétation. Le coeur de la ville lui-même a été conçu comme un échiquier géant, avec une alternance de zones  » verticales  » – concentrations de très hauts immeubles – et  » horizontales  » – espaces verts, lacs artificiels, quartiers anciens ou résidentiels… -, ce qui atténue la sensation d’étouffement.

Le métro toujours plus loin

Comme sa politique immobilière, la politique de mobilité singapourienne est à la mesure du défi démographique. Alors qu’en Belgique, l’automatisation du métro bruxellois et l’achèvement du RER, repoussés aux calendes grecques, font figure de serpents de mer, Singapour ouvre, à une vitesse record, de nouvelles lignes et stations de métro. La longueur du réseau devrait doubler d’ici à quinze ans. A Bruxelles, les travaux d’extension d’une seule ligne vers le nord de la capitale seront étalés sur au moins dix ans et cet investissement lourd a conduit à renoncer à d’autres projets qui auraient pu améliorer l’offre en transports en commun. De même, la Région bruxelloise va consacrer des centaines de millions d’euros à la rénovation de ses tunnels vétustes, argent qui aurait pu être consacré aux alternatives au  » tout à la voiture « .

Singapour est équipé d’un réseau de métro moderne, pratique et performant (le MRT) : nouvelles lignes automatisées, informations permanentes sur écran, portes palières, correspondances quai à quai, fréquences élevées… Tout comme la ville elle-même, le métro est d’une propreté immaculée. Et pour cause : il est interdit d’y manger, boire, fumer, mâcher du chewing-gum, de jeter un mégot ou des détritus, sous peine d’amendes salées. Les policiers, souvent en civil, veillent au respect de ces règles. Etat hyperréglementé, Singapour a interdit l’importation comme la vente de gommes à mâcher dès 1992, à la suite d’actes de vandalisme dans le métro. Les Singapouriens se sont habitués à cette interdiction, tandis que Washington a tenté, sous la pression du lobby américain du chewing-gum, de faire abroger la loi.

Plus largement, Singapour a réussi l’intégration ville-transports. Malgré la forte densité de population, les axes routiers sont rarement saturés. Explication : on ne compte qu’une voiture pour dix familles. Le coût d’achat du véhicule et les taxes exorbitantes font de la possession d’une voiture un luxe de riche. La plupart des habitants se déplacent en métro, en bus climatisé ou en taxi.

Tandis que Bruxelles, où le trafic est menacé de paralysie, attendra sans doute longtemps encore son péage urbain, la cité-Etat est la première ville au monde à avoir adopté ce principe (dès 1975). Depuis 1998, le péage est électronique, avec obligation d’équiper chaque véhicule, y compris les deux-roues motorisés, d’un transpondeur. L’appareil débite une carte bancaire et le tarif du péage dépend du degré de congestion de la zone. Le système, qui vaut aussi pour les courses en taxi, permet de contrôler la circulation, d’éviter les bouchons lors des migrations pendulaires et de limiter la pollution automobile. Le paiement du stationnement s’effectue aussi avec la carte, lue par des balises. Une amende sanctionne une carte insuffisamment chargée.

Sous l’oeil des caméras

Les expatriés belges s’accordent sur un point : Singapour est l’une des villes les plus sûres au monde.  » Dans les food court et autres restaurants self-service, le client n’hésite pas à réserver une table en y déposant son smartphone, assure un businessman bruxellois. Aucun risque qu’il disparaisse pendant le temps passé dans une file pour passer commande.  » Un portefeuille perdu dans un café ? Un serveur l’aura rangé en lieu sûr en attendant que vous veniez le récupérer. Un sac oublié dans un taxi ? Un coup de téléphone à la compagnie et il vous sera restitué.

Dans le métro et autres lieux de passage publics, les habitants vivent sous le regard d’innombrables caméras de vidéosurveillance. Pour la fin 2016, toutes les entrées des HDB, les HLM construits par le gouvernement (où vit plus de 80 % de la population) doivent être, elles aussi, dotées de tels équipements. Une mère de famille belge confie :  » Nous laissons nos jeunes enfants emprunter seuls les transports en commun. A Singapour, contrairement à d’autres pays du sud-est asiatique, il n’y a pratiquement aucun risque de se faire agresser, voler, violer, kidnapper ou arnaquer.  » Pas surprenant que le pays, malgré son climat équatorial chaud et humide, figure en tête du classement des destinations préférées des expatriés.

Par Olivier Rogeau, à Singapour

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