Belang qui pleure, N-VA qui rit

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Bonne nouvelle pour le pays : le Vlaams Belang, qui rêve de voir  » crever  » la Belgique, lutte pour sa propre survie. Mauvaise nouvelle pour le pays : sa croisade séparatiste trouve à se recycler à la N-VA sous une forme respectable. Donc, plus redoutable.

Il a fait trembler la Flandre sur ses bases. Il a été le cauchemar des états-majors de partis, paniqués devant cette marée brune qui ne cessait de monter. Mauvais souvenir. La menace s’éloigne, la phase d’alerte est levée. Le Vlaams Belang, ex-Vlaams Blok, ne défraie plus la chronique que par l’étalage de ses dissensions et ses défections en cascade. La saignée dans les rangs de l’extrême droite flamande tourne à l’hémorragie, depuis la répression d’une fronde interne au sein de son biotope gantois.

Fin juin, la direction du Vlaams Belang a fait feu sur cinq rebelles rassemblés au sein d’un groupe baptisé Belfort. Parmi ces conseillers communaux gantois mis à la porte du parti, le meneur : l’ex-député Francis Van den Eynde, un pionnier du Vlaams Blok. La mutinerie n’a rien d’un épiphénomène. Elle trahit une guerre ouverte contre la ligne dure du parti, incarnée par le clan des Anversois Filip Dewinter et Gerolf Annemans, les vrais maîtres à bord qui encadrent Bruno Valkeniers, personnage pâlot qui tient lieu de président. La rébellion fait tache d’huile. Exit Koen Dillen, ex-eurodéputé et fils du fondateur du Blok Karel Dillen. Exit Jürgen Ceder, chef de groupe au Sénat qui prive, par la même occasion, le Belang de 155 000 euros de subsides par an. Exit surtout Frank Vanhecke, qui a soigné sa sortie : l’ex-président du VB a choisi le 11-Juillet, jour de la fête flamande, pour couper les derniers ponts qui le reliaient à un parti qu’il a dirigé de 1996 à 2008. Dernier acte d’une rupture que Vanhecke avait déjà consommée en compagnie de son épouse, feu Marie-Rose Morel, l’ex-égérie du Vlaams Belang. D’autres parlementaires avaient déjà pris le large. Ainsi à Bruxelles, un certain Johan Demol, ex-commissaire de police de Schaerbeek. Bref, la débandade.

Descente aux enfers On est bien peu de chose. Il n’y a pas dix ans, la capacité de nuisance du Blok semblait sans limites. Scrutin régional de 2004 : l’extrême droite capte 24,2 % des voix flamandes, et rafle le titre de premier parti de Flandre. C’est alors son neuvième succès électoral d’affilée. Le couronnement de quinze ans d’une ascension brutalement inaugurée par  » le dimanche noir  » de novembre 1991, où le parti a rallié 400 000 suffrages. Le Vlaams Blok mène la danse, seul contre tous. Imperméable au cordon sanitaire dressé autour de lui, qui est alors à deux doigts de se rompre.  » On ne fraie pas avec ces gens-là « , ont décrété l’ensemble des partis démocratiques flamands. Mais à l’issue des élections de 2004, pas moins de cinq formations (le cartel CD&V – N-VA, le VLD, le cartel SP.A-Spirit) doivent unir leurs forces pour éviter l’entrée de l’extrême droite dans la majorité parlementaire. Le doute s’installe.  » Fait significatif : les pontes du Vlaams Blok sont reçus, pour la première fois, par le formateur [NDLR : du gouvernement régional flamand] Yves Leterme « , relève Pascal Delwit, politologue à l’ULB (1). Vient enfin le début du bout du tunnel. Aux communales de 2006, Filip Dewinter et le VB ratent le coche à Anvers, coiffés par le SP.A Patrick Janssens. C’est un tournant : le Vlaams Blok perd son brevet d’invincibilité, et dans le créneau populiste cela ne pardonne pas. Rebaptisé Vlaams Belang suite à sa condamnation en justice pour racisme, le parti confirme son reflux à chaque scrutin : 19 % des voix aux fédérales de 2007, 15,3 % aux régionales de 2009, 12,4 % aux fédérales de 2010. La spirale négative une fois enclenchée, les couteaux sont tirés, le navire prend l’eau.

A la longue, le cordon sanitaire a fait £uvre utile. Il a fini par convaincre nombre d’électeurs de l’inutilité de voter pour une formation maintenue dans un état permanent d’opposition. Il n’en a pas toujours été ainsi : durant deux décennies, cet isolement a été l’agent dopant de l’extrême droite flamande. D’autres forces ont donc eu aussi raison de la marée brune, en se nourrissant sur la bête blessée. C’est au scrutin régional de 2009 que la curée se manifeste.  » 15,1 % des électeurs qui avaient voté Vlaams Belang aux élections de 2007 se sont alors tournés vers la N-VA, et 7,6 % d’entre eux ont glissé vers la Lijst Dedecker.  » Teun Pauwels, jeune chercheur au Cevipol à l’ULB, voit dans cette concurrence la cause la plus significative des malheurs électoraux de l’extrême droite.  » La LDD a profité des positions anti-immigration et de la défiance à l’égard du politique. La N-VA a partagé avec le VB les votes nationalistes flamands et les votes des mécontents.  » Un an plus tard, le parti de Jean-Marie Dedecker est quasi rayé de la carte politique au scrutin de juin 2010, alors que le Vlaams Belang poursuit sa descente aux enfers. La N-VA triomphe (27 % des voix) et fait main basse sur ce florissant marché électoral.

Mais l’affaire n’est pas dans le sac. Dewinter, Annemans and Co n’ont qu’un genou à terre. Troisième force politique au parlement flamand avec 19 élus, 12 députés fédéraux, le VB n’est pas liquidé.  » A la différence de la LDD, le Vlaams Belang conserve une structure solide, un positionnement idéologique. Je ne crois pas à sa disparition totale, j’estime son potentiel électoral à 10 à 15 %. L’immigration reste un sujet de préoccupation. Il n’est pas impossible que, sous la houlette d’un président plus charismatique, le Belang reprenne des couleurs, à l’instar du FN français « , poursuit Teun Pauwels. Filip Dewinter le claironne : il se satisferait volontiers d’une force électorale tournant autour des 10 %, convaincu de pouvoir se refaire une santé sur le vieux fonds de commerce xénophobe du parti. C’était avant le déchaînement de violence en Norvège qui a placé aussi le Vlaams Belang en délicate posture sur ce terrain sensible de l’extrémisme. Au point de contraindre la direction du parti à devoir nier avec force  » avoir livré la munition idéologique au tueur Breivik  » et avoir pu ainsi inspirer son carnage. Fâcheuse, très fâcheuse publicité…

Le bon grain et l’ivraie

Dans l’immédiat, ce genre de positionnement est le plus beau cadeau que le Belang puisse faire à son grand rival sur le terrain nationaliste : lui abandonner les franges les moins extrêmes de son électorat. Chauds partisans de l’indépendance de la Flandre, ou adeptes de ce discours ferme et intransigeant que la N-VA tient sur l’asile et l’immigration : le parti de De Wever moissonne, mais prend soin de séparer le bon grain nationaliste de l’ivraie foncièrement raciste. Il garde ses distances. De Wever a repoussé les offres de service de Dewinter dans la lutte pour le maïorat d’Anvers aux communales de 2012. Ce n’est qu’au compte-gouttes que la N-VA donne l’asile à des transfuges du Vlaams Belang. Ainsi Luc Sevenhans, aujourd’hui sénateur N-VA, a fait antichambre durant neuf mois. Malgré sa proximité avec l’aile radicale de la N-VA, un Karim Van Overmeire se contente depuis un an d’un siège d’indépendant au parlement flamand. Même une figure de proue comme Franck Vanhecke ne doit pas s’attendre au tapis rouge déroulé sous ses pieds, en dépit de la sympathie que l’ex-président du Blok exprime pour la cause du parti de De Wever. Et malgré la présence de ce dernier aux funérailles de son amie Marie-Rose Morel.  » Un tel ralliement serait difficile à faire accepter sur le plan symbolique. La N-VA n’a aucun intérêt à s’associer au Vlaams Belang. Il lui suffit d’occuper le terrain « , relève Dave Sinardet, politologue à l’université d’Anvers et à la VUB. Vanhecke se contente d’encadrer les groupes dissidents que la mouvance Belfort entend semer aux quatre coins de la Flandre. Plus que le parti qu’il prétend ne pas vouloir être, Belfort pourrait-il être ce tremplin pour un saut amorti d’ex-blokkers vers la N-VA ? Pour l’heure, les nationalistes flamands surveillent leur droite. Et notamment la bande à Dewinter, toujours en embuscade. Prête à reconquérir cette place de parti anti-establishment de Flandre que la N-VA pourrait perdre en allant se compromettre dans une participation gouvernementale au niveau fédéral. Pas sûr que De Wever lui fasse ce plaisir.

(1) 2 La Vie politique en Belgique de 1830 à nos jours, par Pascal Delwit, éd. ULB

PIERRE HAVAUX

 » La N-VA n’a aucun intérêt à s’associer au Belang. Il lui suffit d’occuper le terrain  » Dave Sinardet

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire