Bart De Wever sur les traces d’Hugo Schiltz ?

Comme Hugo Schiltz avant lui, Bart De Wever est en mesure de marquer de son empreinte l’histoire du mouvement flamand. Mais l’homme pourra-t-il accepter un compromis ? Cinq vétérans de la Volksunie, qui y ont côtoyé le jeune Bart De Wever, livrent leur analyse.

Ils s’appellent Sven, Johan, Koen, Bert et Geert. Ils connaissent bien Bart De Wever. Ils ont milité à ses côtés à la Volksunie, ce parti nationaliste fondé en 1954. Ils ont ferraillé ensemble pour renforcer l’autonomie de la Flandre. Mais après l’éclatement de la VU, en 2001, ils ont emprunté des chemins différents. Alors que leur ancien camarade De Wever poursuivait avec la N-VA la voie du nationalisme radical, ils ont rejoint un parti traditionnel : le CD&V, le SP.A, l’Open VLD ou Groen !. Quel regard portent-ils sur le triomphe de la N-VA ? Quels souvenirs gardent-ils du jeune De Wever à la Volksunie ? Le croient-ils sincère lorsqu’il affirme tendre la main aux francophones ? Nous les avons longuement écoutés, pour tenter de cerner de quel bois se chauffe le grand vainqueur du 13 juin.

Ne chicanons pas : en séduisant près d’un Flamand sur trois, Bart De Wever a accompli un triomphe impérial. Ce passionné de la Rome antique pourrait presque se prendre pour le nouveau César. Ou alors, pour le chef victorieux d’une bande de Ménapiens en révolte contre l’establishment belgicain. La stature qu’il a acquise amène inévitablement la comparaison avec Hugo Schiltz, la figure tutélaire de la défunte Volksunie, l’homme qui a marqué de son empreinte le Mouvement flamand de l’après-guerre. Et qui a oscillé, tout au long de sa vie (il est décédé en 2006), entre intransigeance revendiquée et sens du compromis. L’élève De Wever, qui a débuté en politique dans l’ombre d’Hugo Schiltz, pourrait dans les mois à venir égaler le maître…  » Hugo Schiltz avait le chic pour dénicher les talents. Il a encouragé l’émergence de Bart De Wever au sein de la Volksunie, car il trouvait que ce jeune gars apportait des analyses intéressantes « , rapporte Sven Gatz, chef de groupe Open VLD au parlement flamand et ancien membre de la VU.

Les dernières heures de la VU

Impossible de comprendre Bart De Wever sans remonter aux dernières heures de la Volksunie, survenues dans la foulée des accords du Lambermont, en 2001. Le Premier ministre Guy Verhofstadt vient alors de négocier le refinancement de la Communauté française, en échange de nouvelles compétences pour la Flandre (agriculture, pouvoirs locaux, commerce extérieur). La Volksunie ne fait pas partie du gouvernement fédéral, mais le soutien de ses députés est nécessaire pour atteindre une majorité des deux tiers. Voter ou non les accords du Lambermont ? Le parti se déchire. Toute avancée vers davantage d’autonomie flamande est bonne à prendre, soutiennent les uns. Une fois le refinancement obtenu, les francophones ne seront plus  » demandeurs de rien  » et il sera très difficile d’obtenir ensuite une réforme de l’Etat, craignent les autres. Le 2 mai 2001, le parti réunit son bureau politique. Les discussions sont houleuses. A la suite d’un vote serré (78 voix pour, 67 contre), la Volksunie décide finalement d’appuyer les accords du Lambermont.

Le 6 mai 2001, une manifestation rassemble à Gand les opposants aux accords. Surprise : plusieurs députés de la Volksunie défilent avec eux. Le président du parti, Geert Bourgeois, déclare que lui et sa collègue Frieda Brepoels refuseront de voter le projet de loi. Les semaines qui suivent, un climat de quasi-vendettas s’empare de la VU.  » Certains jours, de jeunes radicaux appartenant à des groupuscules nationalistes occupaient littéralement les locaux du parti. Ils nous traitaient de traîtres, à cause des concessions que nous avions faites aux francophones « , se remémore Geert Lambert, à l’époque vice-président de la VU, passé ensuite chez les écologistes de Groen !.

En 2001, Bart De Wever a tout juste 30 ans. Il n’est encore que l’un des responsables anonymes de la fédération anversoise de la VU. Mais, depuis quelques mois, il siège au bureau du parti. Et il gravite dans la même mouvance que ces jeunes radicaux déterminés à saboter les accords du Lambermont.  » Bart avait renvoyé par la poste sa carte de membre, en signe de dégoût pour les concessions que nous avions acceptées. Comme je travaillais alors comme porte-parole de la Volksunie, j’ai été chargé de rédiger une longue lettre, pour le convaincre du bien-fondé de l’orientation choisie par la direction du parti « , raconte Koen T’Sijen, ex-député fédéral et actuel bourgmestre SP.A de Boechout.

Pour le reste, De Wever se montre discret, à mille lieues du tribun que l’on connaît aujourd’hui.  » Il se singularisait déjà par son érudition et la force de ses analyses, relève Johan Sauwens, député flamand CD&V, ancien ministre régional VU. Mais il ne parlait pas beaucoup. Il préférait observer. Je lui avais d’ailleurs conseillé d’oser exprimer plus souvent son avis. « 

Hugo Schiltz a vécu comme un traumatisme la désagrégation de la Volksunie. Assemblage hétéroclite, allant de l’extrême gauche à l’extrême droite, la VU n’avait jusque-là tenu debout que par la volonté commune de ses membres de conquérir l’autonomie flamande. Mais maintenir sous un même toit d’anciens collabos et des anarchistes adeptes de Bakounine, des écolos romantiques et des conservateurs rabiques, relevait de plus en plus du prodige. Fin 2001, sur fond de zizanie, deux grandes tendances se dégagent : l’une, conservatrice, emmenée par Geert Bourgeois, l’autre, progressiste, incarnée par Bert Anciaux. Quant à Schiltz, il assiste, dépité, à l’effondrement de l’£uvre de sa vie. C’est à ce moment-là que les routes d’Hugo Schiltz et de Bart De Wever se séparent. Le premier rejoint le mouvement Spirit, créé par Bert Anciaux et Geert Lambert. Le second participe à la fondation de la N-VA, aux côtés de Geert Bourgeois et de Frieda Brepoels.

Une stratégie du pourrissement ?

Juin 2010. Neuf ans après la disparition de la Volksunie, la destinée de Bart De Wever croise à nouveau celle d’Hugo Schiltz. Symboliquement, cette fois. En bon historien, le président de la N-VA sait qu’il se retrouve dans la même position qu’Hugo Schiltz en 1978, au moment du pacte d’Egmont. Celle d’un leader à la croisée des chemins : capable d’approfondir l’autonomie flamande, mais sommé de négocier un compromis.

Lors des négociations du pacte d’Egmont, Hugo Schiltz se retrouve face à André Cools, le président du PS. Comme Di Rupo et De Wever aujourd’hui, tout les oppose a priori. D’un côté, le dandy nationaliste, tiré à quatre épingles, chaussé de bottes de cow-boy. De l’autre, le bouillant socialiste liégeois, phrasé rugueux, lunettes aux verres fumés. Pourtant, une alchimie se crée entre les deux hommes. Un compromis est trouvé. Schiltz prend son bâton de pèlerin et s’en va défendre l’accord auprès des sections locales de la VU. Comme ce sera le cas en 2001, le parti se déchire entre ceux qui applaudissent les avancées pour la Flandre et ceux qui jugent les concessions aux francophones exagérées. L’aile la plus radicale du parti claque la porte – une dissidence qui débouchera sur la création du Vlaams Blok. A la suite de cet épisode, Schiltz traînera toute sa vie la réputation d’un verrader, d’un traître à la cause flamande. Une accusation entretenue par l’extrême droite, mais aussi par une partie de l’actuelle N-VA.

Bart De Wever pourra-t-il, comme Hugo Schiltz, mettre son radicalisme en veilleuse et accepter un compromis ?  » Je crois qu’il est prêt à prendre ce risque, pronostique Geert Lambert. Il sait que c’est une chance historique d’aller très loin dans le sens du confédéralisme. A mon avis, un accord entre le PS et la N-VA sur une réforme de l’Etat pourrait être conclu assez vite.  » Une analyse partagée par Sven Gatz :  » De Wever est un homme réaliste. Comme à la Bourse, il a attendu que la valeur de ses actions montent très haut. Et maintenant, il veut vendre le stock, transformer ses voix en réalisations concrètes. « 

Certains ténors flamands soupçonnent pourtant De Wever de ne pas réellement vouloir négocier une réforme de l’Etat belge. L’homme n’aurait pas renoncé à bâtir une Flandre indépendante, le plus vite possible. Pour y arriver, il laisserait volontairement pourrir les négociations avec les francophones.  » Il existe clairement un groupe à la N-VA qui veut obtenir le séparatisme via un pourrissement des négociations, estime Bert Anciaux, président de la Volksunie de 1992 à 1998, à présent sénateur SP.A. Je peux me tromper, mais je ne crois pas que c’est la stratégie de De Wever. Il ne peut pas se permettre de prendre ce risque-là : la plupart des Flamands l’ont plébiscité pour en finir avec le blocage de l’Etat belge, pas pour compliquer encore plus les choses. « 

La principale inconnue ne concerne sans doute pas De Wever, mais son entourage. Les anciens de la Volksunie les mieux disposés à négocier avec les francophones se sont répartis entre le SP.A, l’Open VLD, le CD&V et Groen !. Et ce sont les mandataires issus de l’aile la plus à droite, la plus flamingante et la moins encline au compromis qui composent aujourd’hui la N-VA.  » Il subsiste certains hardliners à la N-VA. Bourgeois et Brepoels, ce ne sont pas les personnalités les plus faciles… « , commente Johan Sauwens, laconique.

 » Pour De Wever, le danger viendra de Geert Bourgeois, pense Sven Gatz. A mon avis, Bourgeois est incapable de nouer le moindre compromis. Incapable ! Même pas pour des raisons politiques, mais pour des raisons psychologiques. Lors de cette campagne électorale, j’ai beaucoup sillonné le Brabant flamand. Sur les marchés, j’ai rencontré de nombreux responsables locaux de la N-VA, des types qui étaient déjà à la Volksunie il y a quinze ans. Je connais pas mal de ces gens-là, et je sais que certains d’entre eux sont incapables d’accepter la plus petite concession. De Wever réussira-t-il à les convaincre ? Je me pose sincèrement la question. « 

La N-VA pourrait-elle éclater en cas de fracture entre partisans et opposants d’une réforme de l’Etat négociée avec les francophones ? Le scénario est jugé  » complètement improbable  » par Koen T’Sijen.  » La base de la N-VA est beaucoup mieux disposée à un compromis que certains le croient. Même Bourgeois et Brepoels savent bien qu’ils n’obtiendront pas tout d’un seul coup. De toute façon, si De Wever ne parvient pas à arracher un bon accord aux francophones, il en tirera lui-même les conclusions. Il provoquera de nouvelles élections, et la N-VA en sortira encore renforcée. « 

Une analyse partagée, dans les grandes lignes, par Bert Anciaux.  » Frieda Brepoels aurait le cran d’entrer en rébellion si elle juge les concessions excessives. Geert Bourgeois n’a pas ce courage-là. Il ne le fera que s’il se sent soutenu par une large frange du parti. Mais l’autorité de Bart est aujourd’hui telle que Geert n’osera pas bouger. « 

Pour sa première participation aux élections, en 2003, la N-VA de Geert Bourgeois a obtenu 3 % des voix. Cette fois, les nationalistes tutoient la barre des 30 %. Avoir offert à ses troupes une victoire aussi éclatante rend Bart De Wever incontestable dans son propre parti.  » De Wever se retrouve dans la même position que Schiltz en 1978, abonde Geert Lambert. A cette différence près : la N-VA se situe à 30 %, là où la VU tournait autour des 15 %. Cela change la donne. Evidemment, pour convaincre sa base d’accepter l’accord, il devra lui présenter des avancées sérieuses. Il faudra des transferts de compétences vers la Flandre bien plus substantiels que ceux contenus dans le « premier paquet », négocié en 2008. C’étaient les cacahuètes, l’apéritif, ça… « 

FRANçOIS BRABANT

 » De wever est un homme réaliste « 

 » Le premier paquet, négocié en 2008, C’étaiENt les cacahuètes « 

la principale inconnue concerne l’entourage de bart De wever

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