Banco sur LE LUXE

Introductions en Bourse, acquisitions, rumeurs de rachats… Alors que, de la joaillerie à la haute couture, la croissance du secteur est repartie de plus belle, l’univers des grandes marques est en effervescence. Et les années à venir s’annoncent encore plus prometteuses.

Un sac rouge miniature enfermé dans un cadre chromé pour le symbole, un petit groupe de personnes triées sur le volet pour la claque. Rien de plus. Pour son introduction à la Bourse de Hongkong, le 24 juin, Prada a joué la discrétion. Pourtant, cette modeste cérémonie, suivie d’une première cotation légèrement décevante, est un véritable événement. Et le signe tangible qu’après deux ans de crise, en 2008-2009, le luxe se redéploie, objet d’un engouement sans précédent.

Alors que l’économie mondiale demeure fragile, ce secteur (172 milliards d’euros de chiffre d’affaires) voit ses ventes exploser et ses bénéfices battre des records inégalés depuis quinze ans. Nourri par une demande exponentielle en Asie, le petit monde feutré des maisons centenaires comme des géants du luxe est en effervescence et renoue avec les grandes man£uvres.

Tous les grands sont à l’affût des dernières marques indépendantes comme le joaillier italien Bulgari, racheté à prix d’or par LVMH. Le groupe de Bernard Arnault, le n° 1 du luxe, s’est également emparé de 20 % du capital d’Hermès contre l’avis des héritiers. D’autres cibles potentielles, tels l’américain Tiffany & Co et le britannique Burberry, sont ardemment convoitées. En quelques mois déjà, plusieurs maisons ont changé de mains, à l’instar de Jean Paul Gaultier racheté par l’espagnol Puig, Cerruti et Robert Clergerie repris par le hongkongais Li & Fung, ou Jimmy Choo acquis par la famille Reimann.

Cette  » renaissance  » a surpris tout le monde

Ce n’est qu’un début : entre les successions à venir (Armani) et le décrochement de certaines enseignes incapables de se développer seules, le marché du luxe va continuer à s’agiter. Et à prospérer.

La tempête après le calme. Cette  » renaissance  » a surpris tout le monde.  » C’est reparti beaucoup plus vite que prévu « , affirme Alain-Dominique Perrin, administrateur exécutif de Richemont, n° 2 mondial, et président de la Fondation Cartier. Après deux ans de crise,  » où tout s’est arrêté net « , précise Valérie Blin, spécialiste du luxe chez Avista Partners, la donne a changé.  » Pendant longtemps, la supériorité du modèle économique des principaux groupes ne semblait pas évidente. Or, après 2008, ils s’en sont beaucoup mieux sortis que les marques indépendantes « , constate Joëlle de Montgolfier, directeur d’études chez Bain & Co. Forts d’une palette de produits étendue et de leur implantation internationale, LVMH, Richemont ou PPR ont fait mieux que résister. Au point de se retrouver, en 2010,  » assis sur une montagne de cash « , affirme un expert. De quoi s’offrir les marques les plus fragilisées.  » La crise crée des proies et attire les prédateurs « , souligne Joëlle de Montgolfier.

La nécessité de multiplier les boutiques haut de gamme

Pour ces enseignes en roue libre, la question devient vitale : comment continuer à se développer à l’international lorsqu’on vient de subir un des pires passages à vide depuis vingt ans ? L’interrogation est d’autant plus angoissée que l’expansion se paie au prix fort. Pour rester dans le jeu, les marques sont obligées de multiplier les boutiques haut de gamme dans les emplacements les plus en vue (et les plus chers) du monde. Notamment en Chine, pays où les taux de croissance atteignent 25 à 35 % en moyenne, voire davantage pour des maisons comme Hermès (+70 % en 2010). Alors, le plus souvent, ces entreprises n’ont pas d’autre choix que de s’adosser à un groupe puissant. A l’image du fabricant de montres suisse Hublot, entré, en avril 2008, dans le giron de LVMH.

C’est dire si aujourd’hui les géants jouent sur du velours. Parmi les transactions de l’année les plus remarquées, LVMH n’a pas hésité ainsi à débourser 4,3 milliards d’euros pour s’offrir Bulgari et doubler sa taille dans le segment ultrarentable de l’horlogerie-joaillerie. Et si Prada a finalement choisi d’entrer en Bourse, les rumeurs, démenties depuis, évoquaient une reprise du groupe italien par PPR, à la recherche d’une belle marque pour consolider son pôle luxe (Guccià).

 » Vu les montants stratosphériques atteints lors des dernières transactions, la plupart des sociétés d’investissement capitulent « , constate David Thébault, analyste chez Global Equities. Les rachats de 45 % du roi des doudounes Montcler par Eurazeo ou du bottier Jimmy Choo par TowerBrook Capital font figure d’exception. D’autant plus que  » le luxe, industrie gourmande en capitaux, nécessite du temps pour s’imposer « , explique Jean-Marc Bellaïche, directeur associé au Boston Consulting Group. Ainsi, Dior a mis des années pour se hisser au plus haut, tandis que le succès de Bottega Veneta (PPR) s’est construit en dix ans. Or, le temps, voilà ce qui manque le plus à ces investisseurs dont l’horizon ne dépasse guère cinq ans.

Les géants se montrent à présent très sélectifs

Cette ruée vers l’or  » ne signifie pas pourtant que tout se vend à n’importe quel prix « , observe un expert du secteur.  » Nous sommes loin des années 1990 où le luxe faisait sa crise d’adolescence « , se souvient Valérie Blin. Une décennie marquée par une kyrielle d’acquisitions (Dior, Céline, Guerlain, Yves Saint Laurentà) et des batailles épiques, notamment celle entre Bernard Arnault et François Pinault pour s’emparer de Gucci. Un temps où le luxe sort de sa confidentialité et se démocratise. Quitte à baisser les prix comme, parfois, la qualité des produits.

Cette époque est bien révolue.  » La concentration a vécu ses plus belles heures « , affirme Alain-Dominique Perrin. Même pour des groupes prospères, il existe des limites à la consolidation.  » Les grands du luxe ont des portefeuilles déjà pléthoriques. Ils ne vont pas acheter toutes les marques à vendre sur le marché !  » s’exclame Jean-Marc Bellaïche. Au contraire, ils se montrent très sélectifs. Même si PPR a acquis, Sowind Group, spécialisé dans la haute horlogerie,  » notre priorité est d’abord de développer nos propres enseignes « , explique Alexis Babeau, directeur adjoint du pôle luxe du groupe. Une stratégie affichée également par LVMH.  » Nous veillons sur la cohérence de notre portefeuille et à différencier chaque marque « , assure Antonio Belloni, directeur général délégué du n° 1 mondial du luxe. Autre souci commun de ces grands acteurs : prendre garde à ne pas galvauder leur image. Avec le boum de la demande, c’est une tentation et un vrai risque.  » Les enseignes doivent à la fois surfer sur cette folle croissance tout en conservant le même niveau de qualité « , souligne Serge Carreira, maître de conférences à Sciences po Paris.

 » Nous sommes davantage à la recherche de sens « 

Ce problème – de riche – est d’autant plus d’actualité que les consommateurs deviennent de plus en plus exigeants.  » Ils veulent des produits uniques. Pour les satisfaire, les marques doivent se réinventer « , souligne Bellaïche. Tous les acteurs en sont conscients.  » Nous sommes davantage à la recherche de sens « , explique Elisabeth Ponsolle des Portes, déléguée générale du Comité Colbert qui regroupe 75 grandes maisons. Un défi que le secteur du luxe devra relever s’il veut profiter pleinement de son envolée prometteuse. D’ici à 2025, selon Goldman Sachs, son chiffre d’affaires devrait quadrupler à 700 milliards d’euros ! Un avenir brillant.

CORINNE SCEMAMA

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