Bamako ou l’urgence

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Abderrahmane Sissako fait le procès du FMI et du développement assisté dans un film qui dénonce  » un monde qui triche « 

S’il ne peut prétendre changer le monde, l’artiste peut, au moins, contribuer à le rendre visible.  » Abderrahmane Sissako s’est employé à justifier ce rôle en tournant Bamako, un film éminemment politique où l’auteur du mémorable En attendant le bonheur fait – littéralement – le procès de  » 25 ans d’ajustement structurel qui ont encore détérioré les choses « . Dans la position d’accusés principaux, le cinéaste a placé l’Occident et plus précisément le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, dont les prêts liés à de strictes exigences ont à ses yeux entraîné  » une dérive néocolonialiste, le continent africain n’étant pas plus qu’à l’époque coloniale maître de son destin « .

 » Le développement assisté a échoué « , déclare Sissako, qui a ressenti Bamako comme un projet  » urgent « , qu’il lui fallait absolument réaliser aujourd’hui  » pour enfin regarder les choses en face, et dire très haut ce que nous souffle notre conscience et que la nature univoque des rapports Nord-Sud ne permet pas de formuler ouvertement, car une des deux parties – l’Afrique – n’est pas en position de faire écouter son opinion, qu’elle ait par ailleurs raison ou tort…  »

D’emblée, Sissako a ressenti l’évidence de présenter la brûlante matière de son film sous la forme d’un procès, et de situer ce dernier dans une cour d’un quartier populaire de la capitale du Mali.  » J’avais le sentiment d’en avoir terminé avec un cinéma qui me racontait, moi, d’en avoir fini avec un cinéma de l’exil et avec une formulation à demi-mot de choses que je m’étais, jusque-là, refusé à affronter plus directement. D’où l’idée du procès, mais aussi celle de l’installer dans la cour où se trouve la maison de mon père, là où j’ai grandi…  »

Dénoncer l’injustice

Le réalisateur est d’abord retourné vivre dans le quartier de son enfance, parlant avec les gens de son projet de film et choisissant certains d’entre eux pour qu’ils y tiennent un rôle. Des acteurs professionnels, des juristes, des représentants de la société civile mais aussi de nombreux non-comédiens sont en effet de la partie dans Bamako. Le film mêle de façon originale et attachante un déroulement très structuré du procès et la poursuite, tout autour, d’une vie quotidienne à peine perturbée. Le politique et l’intime sont ici appelés à se conjuguer au temps présent, étreint par l’urgence.

Le film ne s’embarrasse guère, sur le fond, de nuances dans sa mise en accusation des institutions financières internationales. Sissako justifie ce manichéisme à rebours de la subtilité de ses films précédents par  » la nécessité de sortir du discours convenu qui met en permanence en exergue, dès qu’on parle de l’Afrique, la corruption et la mauvaise gouvernance, comme si ces dernières n’avaient rien à voir avec le système et étaient une tare africaine, justifiant l’injustice globale que l’on fait subir au continent « .  » Bien sûr, il faut parler de ces choses et les combattre, poursuit le cinéaste, mais ce n’était pas le propos d’un film qui veut dénoncer le fait que le destin de centaines de millions de gens est scellé par des politiques décidées en dehors de leur univers.  »

Une  » parenthèse nécessaire  »

Abderrahmane Sissako n’entend pas pour autant devenir un réalisateur essentiellement politique, porte-parole obligé dont on attendrait d’autres films engagés et militants. L’art de cet auteur d’ordinaire plus subtil est moins dans l’explicite que dans un implicite nourri par une sensibilité peu banale et une capacité unique de poétiser le réel sans jamais le trahir.  » Bamako est et restera une parenthèse dans mon parcours, commente-t-il. Mais une parenthèse nécessaire, dont j’espère qu’elle suscitera le débat, car cet indispensable débat doit avoir lieu pour que revienne l’espoir.  »

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Louis Danvers

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