Bactérie tueuse Le mariage fatal

On avait pris l’habitude de redouter les virus après les deux dernières pandémies de grippe aviaire (en 2004) et porcine (en 2009). Cette fois, c’est une bactérie de l’espèce la plus commune, Escherichia coli, qui tient l’Europe en haleine. Jamais aucun microbe n’avait provoqué une telle hécatombe : 25 morts en Europe, dont 24 en Allemagne, et près de 2 000 personnes contaminées. On croyait pourtant presque tout savoir de ce micro-organisme découvert dès l’apparition des premiers microscopes. E. coli est la bactérie la plus répandue sur la planète, et aussi la plus étudiée par les biologistes et les généticiens qui la considèrent comme un équivalent de la souris de laboratoire, car elle est facile à cultiver et se reproduit rapidement (toutes les vingt minutes). Depuis deux siècles, elle a été observée sous toutes ses coutures, manipulée, clonée, son génome a été décrypté entièrement en 1997 et les industriels l’utilisent pour produire des médicaments (notamment de l’insuline pour les diabétiques), des enzymes (utilisées dans les détergents), des polymères (destinés à remplacer les plastiques) et même des biocarburants. Pourtant, ce banal commensal qui colonise le système digestif de tous les animaux à sang chaud, avec lesquels il vit ordinairement en symbiose, offre un double visage. Côté Dr Jekyll, on trouve des souches bénéfiques qui constituent la microflore intestinale et sont indispensables à la digestion, car elles dégradent les aliments et synthétisent les vitamines. Ces souches amies se retrouvent dans la salive, l’estomac, le tube digestif, mais aussi le nez, les reins, les voies urinaires ou la peau. Côté Mr Hyde, la famille E. coli compte des membres redoutables, comme les fameuses salmonelles ou l’agent de la peste, yersinia. Ces souches ennemies peuvent provoquer diarrhées, gastro-entérites, infections urinaires, méningites et septicémies ; elles sont responsables de dizaines de milliers d’infections et de plus d’une centaine de morts chaque année dans le monde. Les chercheurs allemands du centre Eppendorf de Hambourg se sont associés à un laboratoire chinois, BGI-Shenzhen, pour décrypter le génome du micro-organisme O104:H4, responsable de l’épidémie actuelle. Ce dernier est le résultat d’une fusion entre deux bactéries : E. coli entérohémorragique O104 (Ehec), isolée en 2001 et très virulente, et EAEC 55 989, souche bactérienne identifiée en Centrafrique en 2002, connue pour provoquer des diarrhées graves. Elle porte des séquences d’ADN provenant de la souche yersinia de la peste.

O104:H4 est apparue pour la première fois en 2005 en Corée du Sud, où elle a contaminé une femme de 29 ans, tombée gravement malade après avoir mangé un hamburger – elle a survécu à l’infection. Sa complication la plus grave, le syndrome hémolytique et urémique (SHU), entraîne une chute des globules rouges et des plaquettes, ainsi que des atteintes rénales.

La souche résiste à tous les antibiotiques connus

Après avoir jeté l’opprobre sur les concombres, les enquêteurs se sont orientés vers les germes de soja comme origine de l’épidémie. Mais cette information, qui reste à confirmer, ne résoudrait de toute façon pas les énormes difficultés rencontrées par les médecins pour soigner les malades, car la souche O104:H4 résiste à tous les antibiotiques connus. Un médicament jusque-là destiné à traiter une maladie rare du sang, le Soliris, pourrait se révéler efficace. La molécule, fabriquée par le laboratoire américain Alexion, est actuellement testée outre-Rhin. Avec un inconvénient de taille : le traitement coûte près de 1 000 euros par jour !

GILBERT CHARLES

Les scientifiques connaissent bien Escherichia coli, à l’origine de l’épidémie en Allemagne. C’est en fusionnant avec une autre bactérie qu’elle est devenue létale et très difficile à traiter.

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