Aux entrailles de l’estampe

Guy Gilsoul Journaliste

Le Catalan Jaume Plensa, célèbre pour ses sculptures, est aussi un graveur à part entière. Une exposition à La Louvière réunit près de vingt ans de son travail

C’est par amour pour l’alchimiste Rembrandt que naquit la passion de l’Espagnol Jaume Plensa (né en 1955) pour la gravure. L’artiste catalan a en effet expérimenté les mélanges des poudres et recherché l’antique et secrète recette des graveurs hollandais du xviie siècle, non sans surprises : un après-midi où Plensa avait mêlé produits et acides, une épaisse fumée jaune s’était formée du mélange et avait gagné toute la pièce, s’échappant par la fenêtre pour se répandre dans le jardin, brûlant au passage les fleurs et les feuilles ! Pourtant, c’est en tant que sculpteur qu’il se fit connaître d’abord, grâce, entre autres, à la pertinence du marchand bruxellois Philippe Guimiot qui, dans les années 1980, l’a imposé sur la scène internationale.

Ce que Plensa montre à la Fiac de Paris en 1987 n’est pas à la mode du temps : des boulets, vases, coupes et autres masses lourdes et monumentales de fonte noire dont les reliefs, comme pressés à la surface, renvoient à l’univers des cosses, germes et autres signes spiralés de la vie. Des £uvres coulées à bras-le-corps dans de grands trous creusés dans le sable, lourdes d’une poésie matiériste dont Tapiès avait donné le ton. Depuis, on aura vu ses £uvres au Jeu de paume, à Paris, au Reina Sofia de Madrid, à Sienne, à Mexico, à Chicago. Les Etats-Unis, comme l’Angleterre et le Japon, lui ont commandé des pièces monumentales, alors qu’il multiplie les interventions pour les scénographies et les costumes de divers opéras, comme La Damnation de Faust (au festival de Salzbourg) et tout récemment La Flûte enchantée, à Madrid et à Paris.

Régulièrement cependant, il revient à la gravure. Par goût de l’expérimentation et de la transgression, mais aussi afin d’ancrer dans le papier des visions qu’il décline en usant des images du corps humain fragmenté et recomposé. Un corps perçu comme un lieu d’échanges et de métamorphoses avec ses passages, ses poches, ses artères. Un corps fait de conduits et de réceptacles aux allures de déchets industriels abandonnés (ressorts, caisses, vases, fers tordus, cordages). Ou, ailleurs, un pied, une oreille, un £il, une bouche, enfin, largement ouverte sur le noir du dedans. Parfois un mot, une phrase puisée dans la poésie visionnaire de William Blake, dans l’une ou l’autre réflexion de Rabelais ou de Shakespeare, viennent, à la façon d’une greffe, s’accrocher aux figures ou aux objets :  » Que la pensée descende dans mes mains « , lit-on dans Macbeth. Celles du sculpteur, courtes et musclées, font de l’acide leur complice et plongent dans le terreau de la mémoire. Car, si Plensa est plus que jamais de notre temps, il le doit aussi à sa filiation artistique : Rembrandt et Tapiès, certes, mais, en réalité, toute la tradition espagnole qui va des Ibères à Barcelo, en passant par tous les grands coloristes comme Vélasquez, Zurbaran ou Goya. En effet, par-delà la première impression de puissance tellurique et de remontée aux origines, son esthétique est faite de nuances que l’£uvre gravée exposée à La Louvière (avec quelques petites sculptures en sus) révèle bien. Certes, comme les peintres cités, Plensa aime opposer le noir au blanc, la monumentalité à son contraire, il jongle avec les ruptures d’échelle et les textures mais, en s’approchant, on distingue aussitôt combien les noirs sont variés et les blancs insaisissables. Combien, par la multiplication des matériaux mais aussi des techniques, les délicatesses et frissons sont aussi au rendez-vous. Serait-ce, paradoxalement, comme l’écrit l’artiste, du fait que  » toute £uvre d’art naît de la disparition de la matière  » ?

La Louvière, Centre de la gravure et de l’image imprimée, 10, rue des Amours. Du 21 janvier au 10 avril. Du mardi au dimanche, de 11 à 18 heures. Tél. : 064 27 87 27 ; www.centredelagravure.be

Guy Gilsoul

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