Au nom de toutes les excisées

Khadidiatou Diallo a remporté le prix Femme de l’année 2005. Elle se bat pour l’abolition des muti-lations sexuelles féminines que ni la tradition, ni la culture, ni le Coran ne justifient

(1) Gams, 11, rue de Brialmont, 1210 Bruxelles, 02 219 43 40, www.gams.be

La présidente du Réseau européen contre les pratiques traditionnelles néfastes, Khady Koita, auteur de Mutilée, le cri d’une femme excisée, donnera une confé-rence ce lundi 19 décembre, à 19 h 30, à l’auditoire H1309 de l’ULB (2, avenue Paul Héger, à Ixelles). Rens. : 0497 57 26 00.

La semaine dernière, à Bruxelles, deux fillettes guinéennes, demandeu-ses d’asile, ont dû être prises en charge d’urgence. Récemment excisées, elles souffraient d’infection et d’incontinence. C’est pour dénoncer ces drames-là que Khadidiatou Diallo (50 ans) se bat. Elle vient de recevoir le prix Marie Popelin remis par le Conseil des femmes francophones, pour avoir fondé le Groupement d’hommes et de femmes pour l’abolition des mutilations sexuelles féminines (Gams), déjà existant en France (1). Excisée elle-même, Khadidiatou n’a pu éviter la mutilation qu’à la dernière de ses quatre filles. C’est qu’elle revient de loin, cette Peule d’origine sénégalaise, mère de six enfants.

Khadidiatou est née dans un tout petit village de Casamance. Orpheline de père à 5 ans, la famille a déménagé près de Dakar, chez des cousins. Là, il n’y avait pas d’école pour les filles. Un matin, à 7 ans, Khadidiatou a été emmenée par surprise dans la forêt. On lui a dit que c’était  » son jour  » et qu’elle allait  » être une grande fille « . La gamine a alors été infibulée… avec un couteau suisse par une exciseuse de la caste des  » forgerons « . Lors d’une excision, le clitoris et une partie ou la totalité des petites lèvres sont coupés. Dans le cas d’une infibulation, les grandes lèvres sont, en plus, cousues ensemble ne laissant qu’un petit orifice pour le passage des urines et du sang des règles.

Khadidiatou a offert trop de résistance et l’opération, ratée, a dû être répétée quelques heures plus tard. Une double torture, puis une cicatrisation de six semaines.

Mais les malheurs de Khadidiatou ne se sont pas arrêtés là. A 12 ans, la fillette, qui travaillait déjà pour aider financièrement sa mère, est mariée de force, comme c’est la coutume, à un homme de 45 ans. Le soir des noces, il n’est évidemment pas parvenu à la pénétrer. Khadidiatou est alors à nouveau coupée,  » décousue « . Puis, inconsciente, elle a été, pour reprendre ses termes,  » violée  » par le  » pédophile « .

 » J’ai vécu six mois et sept jours avec cet homme, se souvient Khadidiatou. Ensuite, divorcée, j’ai à nouveau été mariée de force pour que ma famille ne perde pas la face. J’ai eu ma première fille à 15 ans. Mon deuxième mari me battait. Je l’ai abandonné, après le décès de ma mère. On ne pouvait plus dire qu’elle n’avait pas su éduquer sa fille.  »

Comme beaucoup d’autres femmes, Khadidiatou s’est alors mise à vendre des cacahouètes et d’autres produits sur les marchés. Ainsi, elle est entrée en contact avec une Belge qui écoulait des vêtements sénégalais à Bruxelles et qui l’a invitée en Belgique. Khadidiatou est restée chez nous, s’y est remariée, a eu deux autres enfants.

A 30 ans, elle, l’illettrée, a aussi repris des cours d’alphabétisation. Pour obtenir son certificat d’études de base (CEB), elle a décidé de consacrer son  » mémoire  » au problème des mutilations.  » Je voulais savoir, comprendre pourquoi on nous imposait cela. Pendant des années, j’ai souffert en silence, psychologiquement, physiquement. Les scènes d’infibulation me poursuivaient la nuit. J’ai eu longtemps peur des hommes, d’avoir des relations sexuelles. Mais, au Sénégal, on nous disait qu’en parler portait malheur.  »

Ici, en Belgique, pour son CEB, Khadidiatou a brisé le tabou et mené l’enquête auprès des Africaines du collectif Alpha. L’une d’entre elles lui a dit, agressive :  » C’est bien d’être mutilée, comme ça tu n’as pas toujours un homme sur ton dos.  » Une femme excisée est réputée fidèle. Si ses rapports sexuels sont douloureux, elle est parfois soulagée que son mari passe la nuit chez l’une de ses autres épouses. Mariage forcé, polygamie : des problèmes culturels ?  » Plus j’avançais dans mes lectures, plus je prenais conscience que les mutilations n’étaient en rien dictées par le Coran. Cela a provoqué un choc et même un état de dépression chez moi. Je croyais au moins avoir enduré cela pour être une bonne musulmane.  »

Pis : aujourd’hui, l’excision est pratiquée de plus en plus tôt pour éviter notamment que l’enfant conserve le souvenir d’une expérience traumatisante.  » Mais elle perd alors toute valeur d’initiation. Pendant le temps de ma cicatrisation, les femmes qui m’entouraient m’ont appris les soins par les plantes, m’ont inculqué des valeurs de solidarité, m’ont préparée psychologiquement au mariage, à quitter une famille pour une autre, inconnue. Mais que peut-on enseigner à un bébé qu’on excise ? Rien.  » Il ne reste alors que la blessure à vif, le handicap à vie, la frigidité, la torture des accouchements, la soumission à l’homme…

En 1996, Khadidiatou a alors conçu le Gams comme un lieu de paroles pour les Africaines qui ne trouvaient pas dans notre société occidentale d’endroit où parler des séquelles de l’excision. Ce soutien psychologique veut en outre les aider à résister aux pressions familiales, pour que leurs filles ne soient pas mutilées à leur tour.  » Il n’y a pas de preuve que cela se produit aussi en Belgique. Les fillettes sont le plus souvent coupées, lors de vacances au pays.  » Le poids de la communauté est important, mais aussi celui de l’exciseuse dont la lame est le gagne-pain. Ces traditions néfastes se perpétuent dans une vingtaine de pays africains, de façon plus ou moins importante selon l’ethnie. Deux millions de petites filles seraient concernées chaque année.

Dorothée Klein

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire