Au cours, juste pour rire
Les clubs de rire débarquent pour réapprendre à se dérider. Ils vantent les nombreux bienfaits des défoulements zygomatiques. Tour d’horizon de cette curieuse expression faciale. Dans tous ses états, dans tous ses éclats
Mardi, 8 heures du matin. Une quinzaine de femmes et deux hommes ont rendez-vous. La plupart ne se connaissent pas. Un seul mot d’ordre : rire à gorge déployée. Il y a là des jeunes, quelques pensionnés, une poignée de mères de famille. Ni allumés, ni déprimés, ils paraissent normaux. Christine, enjouée et dynamique, rassemble ce groupe pour le moins hétéroclite. » J’ai prévenu l’asile psychiatrique « , s’esclaffe l’animatrice. Le ton est donné. Elle invite chacun à taper dans les mains en scandant énergiquement » Oh-oh. Ah-ah-ah « . Le premier exercice, » Le rire bonjour « , consiste à serrer la main des autres participants en simulant un éclat de rire. Si cela paraît évident en théorie, cela l’est nettement moins en pratique… Le rire est forcé, presque contraint. S’ensuit une succession de mises en scène de situations saugrenues. Il s’agit d’imiter le rire du lion ou encore de mimer une conversation téléphonique hilarante. » Chaque exercice, d’environ 45 secondes, est suivi de mouvements respiratoires pour reprendre son souffle « , explique Christine. Les participants s’observent à la dérobée. Quelques regards incrédules, des visages qui virent au rouge. Puis le rire d’une vieille dame. Fort, perçant, incontrôlable et surtout communicatif. L’ambiance se détend. Les appréhensions tombent. Certains laissent monter leurs émotions, sans retenue, passionnément. D’autres, plus timorés, sont un peu gênés. Pour terminer, une minute de silence afin de se recentrer sur ses émotions. La séance a duré 30 minutes. » Le rire fatigue. Cela demande énormément d’énergie « , précise Christine. Joyeux et bavards, les participants échangent leurs impressions. » L’éducation joue un rôle important. Il faut savoir lâcher prise, rire avec tout son corps « , remarque Francine. » Cela crée des liens, une certaine conni- vence « , affirme Johanna. Fred est, lui aussi, très satisfait de son expérience : » J’ai éprouvé une sensation de liberté. Ça secoue, c’est vibrant ! » La plupart des participants repartent enchantés, le regard complice. Comme s’ils venaient de faire une bonne blague.
On rit de moins en moins
Se bidonner, se marrer, être plié en quatre, glousser… La langue française regorge d’expressions pour désigner le rire, mode d’expression universel. Et pourtant » le taux d’anxiété et de dépression ne cesse d’augmenter « , relève Pierre Philippot, psychologue à l’UCL. Pour 18 minutes de rire par jour en 1939, on n’en rirait plus que 6 aujourd’hui ! René Zayan, professeur au département de neurosciences cognitives de la même université, constate : » Alors que les enfants rigolent librement, les adultes se retiennent de rire. Ce phénomène est culturel. Les Belges expriment particulièrement peu leurs émotions en comparaison avec les Hollandais ou les Français. » La société, la culture et l’âge adulte intervenant, la plupart des gens se retrouvent dépendants des conventions sociales. Les clubs de rire constitueraient-ils une alternative aux existences compassées ? » Ils nous aident à retrouver le rireenfantin » confirme Marc De Wilde, l’initiateur du projet en Belgique.
La méthode du » rire sans raison » a été lancée, en 1995, par le docteur indien Madan Kataria, à partir d’exercices de respiration du yoga. Convaincu que le rire apporte un bien-être général, il a élaboré un véritable catalogue d’expressions et de sons cocasses. » Moins de 10 % du rire est provoqué par le verbal. Ce sont les mimiques, les vociférations qui font rire « , précise René Zayan. A l’heure actuelle, on recense plus d’un millier de clubs à travers le monde. En Belgique, le phénomène est assez récent. Marc De Wilde, un homme d’affaires, est séduit par l’approche. Il crée, en avril 2003, l’ASBL » Les Clubs de Rire de Belgique « , en collaboration avec une quinzaine de personnes. Actuellement, on dénombre quatre clubs, à Bruxelles, Anvers, Liège et Verviers. » L’objectif est d’en ouvrir un dans chaque ville assez rapidement « , s’enthousiasme Marc De Wilde.
L’humour médicament
Rire à tout prix, de tout et sans raison, on a bien compris le principe. Mais, après tout, à quoi cela sert-il ? L’écrivain britannique, Arthur Koestler, n’affirmait-il pas que le rire est un réflexe de luxe qui ne procède d’aucune utilité pratique ? Pourtant, si l’humanité éclate de rire depuis la nuit des temps, il doit bien y avoir une raison !
En effet : rire fait du bien. Chacun a déjà ressenti cet apaisement délicieux qui enveloppe le corps après un fou rire. Si le rire n’est pas une thérapie en soi, il est bon pour la santé. Physiquement, il met en £uvre presque toute la musculature du visage, zygomatiques en tête. Cela contracte ensuite le diaphragme, l’abdomen, le cou, les cuisses… Bref, une véritable gymnastique qui tonifie les organes et constitue un effort physique non négligeable. De plus, la respiration saccadée provoque une violente propulsion d’air dans les voies respiratoires. Le rythme cardiaque s’accélère, la pression sanguine augmente, favorisant une meilleure circulation du sang. L’hilarité entraîne l’augmentation de certains globules blancs, anticorps qui activent les défenses immunitaires. » Le rire agit également comme antidépresseur, signale René Zayan. Il stimule les hormones de bien-être en augmentant la sécrétion d’endorphines. Ces opiacés, drogues naturelles du cerveau, rendent euphoriques et luttent contre les idées noires, la douleur et la dépression. » Le rire réduit également les excès d’adrénaline et de noradrénaline, hormones responsables du stress et de tout ce qui en découle (anxiété, angoisse, insomnies, asthme, fatigue…).
S’esclaffer est également positif sur les plans psychique et relationnel. » Le rire est le plus court chemin entre les individus « , répétait Charlie Chaplin. Il agit en effet comme facteur d’intégration sociale. Les relations installées grâce au rire sont importantes lorsque l’on sait que » le taux de dépression est lié au manque de liens sociaux « , précise Pierre Philippot. Cette dimension collective du rire se retrouve au cinéma, dans les cabarets… ou dans les clubs de rire. » Le rire est extrêmement contagieux. Il suffit souvent d’une personne pour déclencher l’hilarité générale « , explique René Zayan. » Plus on est de fous, plus on rit « , confirme l’adage populaire.
Par ailleurs, le rire sert parfois de mécanisme de défense. L’humour revient alors à plaisanter de choses qui effraient ou irritent. Sorte d’échappatoire, il aide à dédramatiser certaines situations pénibles et permet de lutter contre les tabous et les conformismes de la société. Il se met en décalage avec la raison, l’ordre établi, les convenances. La preuve avec les humoristes qui n’hésitent pas à prendre pour cible le pouvoir ou l’autorité.
Certains psychothérapeutes soutiennent aussi que le rire permet la levée d’inhibitions. Il accroît la confiance en soi. » Les gens souriants ont généralement un potentiel social plus élevé : leur compagnie est davantage recherchée « , constate René Zayan. » Le rire est également un stimulus sexuel puissant, affirme-t-il. Les femmes sont attirées par les hommes qui les font rire, et vice versa. » D’ailleurs, ne dit-on pas femme qui rit, à moitié dans son lit ?
Christine, professeur de stretching, est convaincue du bénéfice qu’elle peut tirer des clubs de rire. Après avoir suivi une formation donnée par le docteur Kataria, elle a ouvert son propre club à Verviers. Bénévole, elle demande 5 euros aux participants pour la location de la salle. D’autres ont choisi de donner cours dans des lieux publics ou au sein d’entreprises. » Tous ceux qui sont un minimum extravertis, avec une sensibilité pour mener un groupe, sont les bienvenus « , souligne Marc De Wilde. Une formation de deux jours est nécessaire pour devenir animateur de rire. La première session, en Belgique, a eu lieu au mois de juin. 35 personnes ont répondu présent. Des femmes, pour la plupart. René Zayan ne s’en étonne pas : » Elles rient plus que les hommes. » Cela expliquerait-il leur espérance de vie plus longue ? Et l’anthropologue Desmond Morris de conclure : » Tant qu’il y a du rire, il y a de la vie ! »
Karell Robert
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