» Arracher aux Russes un vrai partenariat « 

Mark Leonard est directeur exécutif de l’European Council on Foreign Relations, un centre d’analyse qui milite en faveur d’une politique étrangère commune de l’UE. Il explique en quoi c’est une priorité face à Moscou.

Que veut Moscou ?

E La Russie est intoxiquée par son propre pouvoir. Poutine a bâti son autorité en s’attaquant à l’ennemi intérieur (les Tchétchènes, les oligarques). Désormais, il a besoin de lancer un défi à l’Occident. Pourtant, les Russes ont besoin de l’Europe, leur premier marché, leur premier investisseur et la destination de vacances favorite de leurs élites, qui y envoient dorénavant étudier aussi leurs enfants.

Faut-il prendre au sérieux la menace russe ?

E Oui. Le régime à Moscou est prêt à utiliser sa nouvelle force contre les intérêts européens en tentant de diviser les Vingt-Sept, de repousser la dissémination des valeurs européennes dans le voisinage postsoviétique, de réécrire les règles établies dans les années 1990 et de mettre l’Union en position de dépendance. En face, l’UE peine à trouver une réponse commune.

L’Europe ne paie-t-elle pas ses efforts insuffisants dans les années 1990 pour enraciner la Russie dans l’espace démocratique ?

E C’est une histoire compliquée. Les Européens ont commis des erreurs. Ils se sont montrés trop optimistes : on voulait voir dans la Russie une super Pologne, extatique à l’idée de rejoindre l’Union. On a trop personnalisé les relations avec Eltsine et manqué d’assumer nos responsabilités. L’argent, les ONG, la réflexion politique sur la Russie, tout est venu de Washington, pas du Vieux Continent.

Quel devrait être l’objectif de l’Europe dans ses relations avec la Russie ?

E A long terme, en faire un voisin démocratique. A moyen terme, de manière plus réaliste, obtenir d’être traitée en vrai partenaire. Ce qui suppose un respect des règles et une relation fondée sur la réciprocité et l’équilibre. Nous sommes condamnés à vivre avec la Russie. Nous avons besoin de ce voisin pour nous attaquer au crime et à la question de l’immigration clandestine. Sans oublier son siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. La Russie a la capacité de nous aider comme celle de nous frustrer.

Une politique de containment est donc impensable ?

E Ce serait très difficile tant nous sommes interdépendants. C’est pourquoi nous devons arracher aux Russes un vrai partenariat plutôt qu’un mariage de façade.

Pourquoi les Vingt-Sept ne sont-ils pas capables d’avoir une politique commune vis-à-vis de Moscou ?

E Cela tient en partie à l’histoire et à la géographie. Mais, surtout, c’est parce qu’à 27 ils ne voient pas la Russie avec les mêmes yeux. Or, sans position commune à l’égard de Moscou, comment envisager d’avoir une politique extérieure commune ? Ne désespérons pas pour autant. A chaque crise nouvelle, nous gagnons en cohérence.

Le départ du pouvoir de Schröder et de Chirac y a-t-il contribué ?

E Oui. Avec l’éloignement de Berlusconi, les copains de Poutine sont partis. Et, à l’autre extrême, un des jumeaux Kaczynski en Pologne, ce combattant de la guerre froide, n’est plus là, lui non plus.

Mais Nicolas Sarkozy jette les Russes et les Européens dans la confusion. Durant sa campagne électorale, il dénonçait la brutalité de la politique énergétique de Moscou et les atteintes aux droits de l’homme. Et ce fut le seul chef d’Etat à appeler Poutine pour le féliciter au lendemain des élection législatives ! l

Propos recueillis par Jean-Michel Demetz

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