Manou Gallo : " J'ai envie de donner quelque chose aux gens. " © JURGEN ROGIERS

Afro-fun(k)

Complice de Manu Dibango et Bootsy Collins, Manou Gallo poste actuellement ses humeurs musicales sur Facebook.

Il y a quelques jours, sur son Facebook, Manou Gallo prenait en main ce qui a fait sa réputation : une basse électrique vrombissante et même un peu cosmique. Monstre à quatre cordes qui, pour l’occasion, rejoue un classique de Jaco Pastorius, légendaire bassiste mort à l’âge de 35 ans en 1987. Gallo poste ensuite une vignette d’elle à la guitare acoustique, dévoilant ses charmes chantés sur mélopée afro. Deux facettes du même talent, né en Côte d’Ivoire en 1972. Elle s’en explique depuis son appartement molenbeekois :  » J’ai envie de donner quelque chose aux gens. Et le feedback est là, notamment pour la reprise de Pastorius. Et puis, cela m’occupe, on n’a rien à faire sauf les courses et travailler. Initialement, je pensais enregistrer avec d’autres musiciens et mettre le résultat vidéo online, mais cela dépasse mes capacités techniques en matière de diffusion collective.  »

Ma grand-mère me dit que la nuit, je tape sur ma poitrine… Elle se rend compte qu’il y a quelque chose d’un peu mystique là-dedans.

Manou rigole volontiers de ses limites digitales : elle le peut puisque sur le terrain de la bosse rythmique, la quadra a dépassé toutes les contingences normatives. Pour comprendre comment une Africaine de Bruxelles a séduit Bootsy Collins – bassiste historique de James Brown et de Funkadelic – et le vénérable Manu Dibango, il faut reprendre le parcours aux racines.

Village panafricain

Divo, 150 000 habitants, au sud de la Côte d’Ivoire. La gamine Manou, le père disparu et la mère établie dans une autre ville, y est élevée par sa grand-mère maternelle. Le décor sonore ? Hormis les bars d’en face qui balancent du funk à la Kool & The Gang , la leçon musicale est roots :  » J’ai 8 ans et je ne sais pas qui est Michael Jackson. Ma grand-mère me dit que la nuit, je tape sur ma poitrine et là, très vite, je frappe sur tout ce qui est possible, alors que traditionnellement, la femme n’a pas le droit de jouer du tambour. Mais ma grand-mère se rend compte qu’il y a quelque chose d’un peu mystique là- dedans. J’ai alors le sentiment que je suis différente des autres et je suis attirée par la musique. « 

Les polyrythmies gagnent du terrain chez Manou, non seulement dans les percus mais aussi dans le chant : une dose massive d’ADN qui se retrouvera plus tard dans sa musique. Talent naturel, elle est repérée dans un groupe traditionnel, Woya, par Marcellin Yacé, musicien reconnu.  » C’est avec lui que je découvre la basse et il me considère comme sa fille. Je me retrouve à jouer quelques notes sur scène, devant un stade de Côte d’Ivoire plein ! J’ai 12 ans …  » Voilà Manou, d’abord à Abidjan, et puis au village panafricain de Ki Yi M’bock, un centre culturel frondeur où l’apprentissage de trois années passe par la danse, le chant et les instruments. Gallo grandit musicalement.

Afro Groove Queen, CD et vinyle, chez Contre-Jour
Afro Groove Queen, CD et vinyle, chez Contre-Jour

Zap Mama

Nouveau coup du destin : le belge Michel De Bock, entrepreneur des musiques internationalistes, découvre Manou au Masa, festival des arts vivants tenu à Abidjan en 1992. De Bock travaille avec Zap Mama et lorsque le groupe de Marie Daulne veut recruter un(e) bassiste, quelques années plus tard, il repense au feu follet ivoirien. Manou débarque à Bruxelles le 3 janvier 1997 :  » Mon premier voyage en Europe ! Il neigeait, je n’avais jamais eu aussi froid de ma vie. Et la première audition avec Marie ne s’est pas terriblement bien passée…  » De Bock insiste sur le talent authentique de Gallo et Daulne réalise que l’africanité de la bassiste, non seulement comble un poste à pourvoir, mais aussi ce que la leader de Zap Mama porte en elle de désirs africains. La suite ? Près de sept années émancipatrices où Manou, à raison de quatre-vingts concerts par an, voyage dans le monde entier avec les Zap. Premières visites en Amérique du Nord, premières sensations affirmées que le rythme ne connaît pas de frontières :  » J’ai quitté le groupe parce que je pensais que c’était la fin d’un cycle et puis je commençais à travailler avec mes potes de Bruxelles, comme Michel Seba et Sabine Kabongo. Sans aucune tension avec Marie qui est restée une amie proche, on se parle presque tous les jours : elle est d’ailleurs présente sur mon dernier album, Afro Groove Queen, sorti fin 2018.  »

Le succès commercial, baromètre indépendant du talent, n’a pas touché Afro Groove Queen (1). Le label indépendant de Michel De Bock, Contre-Jour, a travaillé avec beaucoup d’enthousiasme et de volontarisme sur le quatrième album solo de Manou mais a peut-être manqué d’une plus grosse machine pour additionner des ventes conséquentes. Même si, plus d’une année après sa sortie, cet opus n’a pas dit son dernier mot commercial, visant aujourd’hui une possible publication aux Etats-Unis. Artistiquement, le disque est épatant, donnant à sa diversité stylistique – funk, rap, world, afro – l’étendue imaginative de la bassiste-chanteuse- compositrice-capitaine de navire. Treize morceaux d’un groove pas seulement hédoniste, où Manou évoque autant le nécessaire plaisir charnel de la danse ( Lève-toi et move) que ses propres blessures sonores ( Tinnitus). Impossible de ne pas vibrer à la basse collégiale de Gallo ou à l’énergie boulimique des chansons, imprégnées de sens comme d’ entertainment.

Deux présences notables sur l’album : Bootsy Collins et Manu Dibango. Ce dernier, parti au royaume des saxophones le 24 mars dernier pour cause de coronavirus, avait contacté Manou en 2007, bluffé par son appétit à quatre cordes.  » Il a été un autre père pour moi, m’emmenant dans ses tournées internationales où il me donnait un featuring pendant son concert « , confie Manou.

Service musical

Et puis arrive Bootsy Collins, musicien américain légendaire pour ses participations aux CV de James Brown et de George Funkadelic Clinton. En 2015, le bassiste like une vidéo YouTube où Manou travaille son instrument :  » La vidéo est devenue virale alors que ce n’était même pas une chanson, juste une rythmique. Je lui ai envoyé un mail pour le remercier et trois heures plus tard, il m’a répondu !  » C’est le début d’une correspondance qui aboutit à des échanges de fichiers et une partie de basse de Manou sur un album de Collins.  » Il m’a demandé combien il me devait et je lui ai répondu que je préférais un échange de « service musical ». Et voilà comment je l’ai rencontré trois fois, chez lui à Cincinnati et Los Angeles, pour travailler sur quatre titres qui finiront sur Afro Groove Queen « . Album à écouter ou redécouvrir, histoire de mettre du fun(k) dans le confinement.

(1) Afro Groove Queen, CD et vinyle, chez Contre-Jour

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