Afrique du Sud Le fiasco Mbeki

L’inertie du pouvoir face aux tueries dans les town-ships révèle les travers d’un président plus que jamais reclus dans sa tour d’ivoire.

Un naufrage. Comment dépeindre autrement la fin de parcours du président sud-africain Thabo Mbeki ? Certes, cet apparatchik hérita en 1999 d’une tâche ardue : succéder à l’icône Nelson Mandela, héros universel de la lutte antiapartheid. Mais rien, pas même la pesanteur d’un tel legs, ne justifie les errements d’un double mandat assombri par le déni de réalité, l’incurie et la paranoïa, travers dont témoignent les plaidoyers pro domo que Mbeki poste sur Internet. On peut bien sûr imputer les pogroms déclenchés depuis le 11 mai dans les townships – bidonvilles – de Johannesburg et d’ailleurs, aux dépens d’immigrés africains, à la ranc£ur d’autochtones dés£uvrés envers les  » voleurs de jobs  » ; comme à l’emprise, au c£ur de la Nation arc-en-ciel, d’une terrible culture de la violence. Mais la condamnation tardive des  » actes honteux de quelques-uns  » trahit, chez un leader prompt à jouer les médiateurs du continent noir, l’incapacité à prendre la mesure d’une tragédie annoncée.

Il aura fallu deux semaines, une cinquantaine de morts et l’exode affolé de 35 000 déplacés pour que le chef de l’Etat daigne enfin s’adresser au pays. Autre indice de l’apathie chronique au sommet : si les fugitifs trouvent parfois dans les nuits glacées de l’hiver austral un abri d’infortune, c’est aux Eglises et aux mouvements caritatifs qu’ils les doivent. Déjà, en janvier, le gouvernement avait assisté en spectateur aux coupures de courant erratiques qui exaspèrent tant les démunis, rançon du déclin d’un réseau électrique obsolète.

Ironie du sort, les immigrants du Zimbabwe, aujourd’hui coursés à la machette et au gourdin, avaient fui une patrie que la cécité de Mbeki a contribué à plonger dans le chaos. Car, là encore, le successeur de Mandela a toujours minimisé l’ampleur du désastre orchestré dans l’ex-Rhodésie du Sud par son ami Robert Mugabe ; pis, il ira jusqu’à nier l’existence de toute  » crise politique  » au lendemain d’un scrutin entaché de fraude et endeuillé par les exactions des miliciens à la solde du régime.

Le président ne tolère aucune critique

Sans doute le Sud-Africain voit-il en Mugabe une autre cible du vaste  » complot impérialiste  » ourdi par l’Occident et ses obligés. Car l’ancien maître du Congrès national africain (ANC), privé en décembre 2007 des rênes du parti au profit de son rival et successeur probable à la présidence Jacob Zuma, vit, à l’en croire, entouré de conspirateurs, qui sévissent dans l’opposition, les médias ou… au sein de l’industrie pharmaceutique. Persuadé de déjouer ainsi une machination mercantile, Mbeki gèlera des années durant la mise sur le marché des traitements antirétroviraux. Il faut dire que lui-même a toujours contesté la nature virale du sida, même si la pandémie affecte 5,5 millions de ses concitoyens et en tue de 800 à 900 chaque jour. Dans un document non signé, diffusé en 2001, il ose même assimiler les chercheurs engagés sur ce front aux médecins nazis. Isolé, cassant, le président ne tolère aucune critique. On l’a vu limoger une vice-ministre de la Santé coupable d’avoir dénoncé les carences du système de santé, et vanter les mérites de son supérieur, connu pour recommander aux sidéens un traitement à base de betterave et de patate douce. Tout contradicteur encourt le procès en racisme s’il est blanc ; et dévoile sa mentalité d’esclave pour peu qu’il soit noir.

Les soudards qui ravagent les townships, accuse Mbeki,  » cherchent à salir le nom des meilleurs de nos dirigeants « . Qu’il se rassure : lui n’appartient pas à cette catégorie. Et, pour ternir son image, il n’a besoin de personne. l

Vincent Hugeux

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