Abdelkader Belliraj Agent trouble

L’informateur présumé de la Sûreté de l’Etat, aujourd’hui incarcéré au Maroc, se présente comme un  » patriote belge « . Mais c’est sans doute au royaume chérifien que se trouvent les clés de sa chute. l

Entre Abdelkader Belliraj et la Belgique, c’est une affaire de près de quarante ans. Une pure histoire d’amour et de services rendus à la patrie, comme le proclame Mohamed Ziane, son avocat marocain ? D’après les ministres marocains de l’Intérieur et de la Communication, Belliraj serait un assassin récidiviste, un braqueur patenté et un terroriste en puissance, lié au Hezbollah libanais (chiite) et à Al-Qaeda (sunnite).

Incarcéré à la prison de Salé, près de Rabat, l’homme, âgé de 51 ans, rejette ces accusations. Il nie avoir été une  » source  » de la Sûreté de l’Etat belge, infiltré dans les réseaux islamistes.

Le Maroc est en ébullition. Six personnalités politiques, dénoncées comme des comploteurs, ont été arrêtées le 18 février dernier. Belliraj, lui, était aux mains des services de sécurité marocains depuis janvier. Autant dire que l’espion présumé a eu le temps d’être  » retourné  » dans tous les sens. Partant de là, on peut tout imaginer : l’homme s’est-il accusé, ou laissé accuser, d’une série de crimes commis en Belgique pour attirer l’attention sur lui et obtenir son rapatriement (bien improbable : il est toujours marocain, même s’il a la double nationalité) en Belgique ? C’est une hypothèse.

Le parcours de Belliraj a été mouvementé. Il arrive en Belgique dans le courant des années 1970. Au Maroc, il a été en contact avec le mouvement communiste Ila Amam. On ne lui connaît pas de liens avec la Chabiba Islamiya, qui est l’ancêtre de tous les mouvements islamistes marocains, du PJD (Parti pour la justice et le développement) au petit parti Al Badil Al Hadari (chiite), qui vient d’être dissous par les autorités marocaines.

Belliraj ne reste pas longtemps un inconnu des services de police et de renseignement. On sait qu’à l’époque, il rêve d’un Etat théocratique au Maroc. Militant pro-palestinien, il est fasciné par la révolution iranienne, comme tous les jeunes musulmans nourris d’antiaméricanisme. Dans les années 1980, l’ambassade d’Iran à Bruxelles est un véritable nid d’espions et d’agents d’influence, qui tentent de radicaliser la communauté musulmane, avec l’appui de la Libye et de la Syrie. Mais la Sûreté de l’Etat veille au grain. Lors des premières manifestations  » intégristes  » à Bruxelles, en 1986, après les frappes américaines sur Tripoli, le ministre de la Justice, Jean Gol (PRL), fait expulser une dizaine de diplomates libyens, deux diplomates iraniens et quelques imams. Grâce à cette réaction vigoureuse, la Belgique est épargnée par les manifestations anti-Rushdie qui, en 1989, déferlent sur le monde.

En 1990, le domicile de Belliraj fait l’objet d’une perquisition dans le cadre d’une enquête sur un trafic d’armes. Une abondante littérature extrémiste est découverte chez lui, à Molenbeek-Saint-Jean. Il est pourtant moins connu que le Marocain Mohamed Saghir, qui se prétendait le descendant de la première dynastie marocaine des Idrissides (chiite). Les deux hommes sortent indemnes de l’enquête sur les deux assassinats de la grande mosquée et celui, lié par l’utilisation de la même arme, du chauffeur égyptien de l’ambassade d’Arabie Saoudite. Normalement, le juge d’instruction aurait dû dénoncer cette affaire au ministère des Affaires étrangères pour transmission à l’Arabie Saoudite, à charge, pour celle-ci, de juger les suspects. L’a-t-il fait ? Depuis qu’elle a été engloutie par les sables mouvants de la diplomatie, l’énigme reste entière.

Quelque dix ans plus tard, Belliraj fait offre de service comme informateur. Rémunéré. Car ses allocations de chômage et ses petits boulots occasionnels – dans un snack à Bruxelles ou au Brico de Saint-Gilles – ne lui rapportent pas assez d’argent. Cherche-t-il une protection, après avoir été rattrapé par les services secrets marocains qui, même en Belgique, savent se montrer convaincants envers les récalcitrants ? En tous les cas, le  » passeport Schengen  » qu’il vient d’obtenir avec la nationalité belge lui permet de sillonner les bastions de l’islamisme international : Liban, Syrie, Algérie, Afghanistan. Selon un spécialiste de l’islam politique, interrogé par le newsmagazine marocain Tel Quel (15 au 21 mars), le trafic d’armes a pu lui servir de sésame dans ce milieu fermé.

De fait, c’est dans sa région d’origine, près de Nador, qu’un stock d’armes a été découvert récemment par les autorités marocaines. Mais, d’après l’avocat de Belliraj, Me Ziane, ces armes n’étaient pas destinées à des actes terroristes dans le royaume :  » Le prévenu a affirmé au juge avoir décidé de les enterrer à Nador après qu’une tentative de les remettre à des islamistes algériens eut été annulée par ces derniers dans les années 1990.  » Belliraj travaillait-il à ce moment-là pour d’autres services secrets ? S’agissait-il alors d’un piège pour faire tomber des islamistes algériens ? En tout cas, à l’époque, il n’était pas encore en contact avec la Sûreté de l’Etat.

Son avocat tente actuellement de le faire passer pour un  » patriote belge « . Il aurait permis de déjouer des attentats, en prenant le risque de fréquenter des milieux dangereux. C’est fort probable, bien qu’il n’ait pas été le seul à jouer un rôle dans le désamorçage d’un projet d’attentat à Liverpool, en 2005. Mais il n’y aura jamais de confirmation officielle…

Marie-Cécile Royen

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