A l’école des lobbyistes

Le quartier européen est envahi par les lobbyistes. A l’occasion de la sortie du film The Brussels Business, bientôt sur Arte, Le Vif/L’Express a visité une école pour lobbyistes. Comment influencer les décideurs de l’UE ? Suivez le guide…

Une majestueuse maison de maître rue Froissart, à deux pas du quartier Schuman et des institutions européennes. A l’intérieur, domine le bleu, comme sur le drapeau de l’Union. La déco est sobre. L’accueil souriant. Bienvenue à l’European Training Institute (ETI), qui se targue d’être le numéro un sur le marché des formations de lobbyistes. Ici, on apprend, en quelques jours, à comprendre tous les ressorts communautaires pour mieux informer et influencer le législateur européen. Les étudiants viennent du monde entier et ont entre 22 et 65 ans. Il n’y a pas d’âge pour  » lobbyer « .

C’est que cette activité s’est considérablement développée ces dernières années à Bruxelles. Il y a vingt-cinq ans, lorsque la CEE comptait 12 membres, moins de 700 lobbyistes fréquentaient les institutions européennes de la capitale. Aujourd’hui, ils sont entre 15 000 et 30 000, selon les estimations. Les deux tiers travaillent pour des business interests, en langage lobbyiste : tous les secteurs industriels sont représentés, depuis l’association des fabricants de fontaines à eau jusqu’au Conseil européen de l’industrie chimique (Cefic) qui emploie plus de 170 lobbyistes. Les autres sont des ONG, des associations de consommateurs, des syndicats, des universités, des Régions, des Eglises…

L’iPhone à la main, prêt à dégainer sa carte de visite, tout ce petit monde grouille dans les couloirs de la Commission et du Parlement européens, une fois obtenu le badge d’accès.  » Au point qu’on a eu l’idée, à un moment, de bloquer l’accès du couloir de nos bureaux, ici au huitième étage, par un second filtre, explique la députée Isabelle Durant (Ecolo). On ne savait pas toujours à qui on avait affaire ni quel intérêt le lobbyiste qui nous interpellait représentait réellement.  » Les choses commencent à s’arranger avec les nouvelles règles de transparence ( lire l’encadré).

L’activité de lobbyiste se professionnalise de plus en plus, un peu comme aux Etats-Unis. D’où le succès grandissant de l’European Training Institute, fondé au milieu des années 2000 par Daniel Guégen, un gourou dans le monde du lobby. L’école assure des formations à plusieurs niveaux et même on line. La plus basique, baptisée Brussels in a Day, survole les institutions européennes, leurs arcanes, leurs procédures de décision, en une journée, pour la somme de 550 euros, lunch compris. La plus prisée, l’ EU Lobbying Masterclass, offre en deux jours un programme plus approfondi (1 990 euros), avec des études de cas, par exemple sur la manière de correspondre par e-mail avec un fonctionnaire européen, et des exercices pratiques sur la planification d’une campagne de lobbying.

Le  » training center  » peut accueillir jusqu’à 40 personnes. Parmi les cours donnés, notons celui consacré à Wikipedia, Google et aux réseaux sociaux. Le lobbying consiste aussi à passer des messages sur le Web. D’où l’intérêt d’apprendre à être bien référencé sur Google et à maîtriser Wikipedia, un des moteurs de recherche les plus utilisés. Au niveau des réseaux sociaux, LinkedIn est devenu incontournable.

Autre branche indispensable pour l’apprenti lobbyiste : ce qu’on appelle en anglais the comitology. Il s’agit de la procédure de décision qui intègre des comités, des experts, etc. Au niveau européen, ces rouages sont très complexes. Il est important de pouvoir les connaître pour identifier les fonctionnaires européens qu’il faudra cibler dans une campagne.  » Cela permet de savoir où et comment intervenir, explique Laurent Trupin, le directeur général d’ETI. En anticipant la procédure, on gagne beaucoup de temps.  »

L’école de la rue Froissart fournit également des cours sur mesure et en dehors de ses locaux.  » Par exemple, pendant la négociation de la fameuse directive Reach sur les substances chimiques, nous avons formé partout dans le monde les cadres d’une multinationale chimique à propos de ce texte en particulier. C’était du cousu main « , raconte Laurent Trupin. Des entreprises chinoises demandent aussi des formations par Internet sur les procédures européennes.  » Ils sont très orientés business. Il est arrivé qu’un dirigeant d’une entreprise de Pékin nous pose directement des questions sur les droits de douane d’un produit précis « , sourit le directeur général d’ETI.

Les formateurs de l’institut sont recrutés soit au sein même des institutions européennes – le plus souvent, ce sont des anciens fonctionnaires – soit en interne, ETI faisant partie du groupe français de consultance ESL&Network-CLAN Public Affairs, dont Laurent Trupin est administrateur délégué en Belgique. Dans le registre de transparence de l’Union européenne, ESL-CLAN PA renseigne un chiffre d’affaires de 1,8 million d’euros pour ses activités de lobbying auprès des institutions européennes pour des clients comme Total, Lafarge, Bouygues, Daimler ou Sita.

Depuis que l’European Transparency Initiative (ETI, tiens le même sigle que l’institut !) a vu le jour au sein des institutions européennes, l’école de lobby enseigne aussi les nouvelles règles à respecter, notamment dans le module masterclass.  » Nous sommes favorables à ce code de conduite, à la fois pour la professionnalisation et pour l’image de notre job, confie Laurent Trupin. Les lobbyistes pâtissent d’une certaine suspicion de la part du public, parce qu’ils sont méconnus. La transparence les arrange. « 

LIRE NOTRE COMPLÉMENT D’ENQUÊTE SUR WWW.LEVIF.BE

THIERRY DENOËL

Les formateurs sont souvent des anciens fonctionnaires européens

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