A hauteur d’homme

Réunis par Charles Bertin lui-même à la veille de sa mort, les « fragments épars » d’une pensée

« Il est rare qu’un homme parvenu au dernier décan de son existence résiste à la tentation de faire, avant de prendre définitivement congé, une sorte de bilan panoramique de sa vie. » C’est en septembre de l’année passée, quelques jours à peine avant sa mort, que Charles Bertin introduisait ainsi L’Art et les hommes, le recueil de chroniques et de conférences destiné à « rendre justice – ajoutait-il – à ces fragments épars d’une pensée divisée par la vie, mais qui retrouvent mystérieusement leur unité lorsqu’ils se voient rassemblés ».

Le mystère n’est pas bien grand, dans la mesure où cette pensée s’est toujours ancrée dans le dénominateur commun du plus pur et du plus résolu des humanismes. Qu’il évoque Radiguet, Shakespeare, Marivaux, Crommelynck, Ghelderode, ìlie Faure ou bien d’autres, c’est toujours, comme l’indique le titre de l’ouvrage, l’homme lui-même et son fascinant pouvoir de création qui motivent sa réflexion. Son grand art à lui, c’est d’ajouter, à la pénétration du regard, la légèreté d’une langue dont la limpidité classique se marie parfaitement à l’allégresse du style, à la vivacité de la pensée, à la finesse de l’humour et à la modernité du propos. Et c’est aussi vrai des chroniques que des exposés qui entretiennent le ton familier de la conversation tout en restant de remarquables pages d’écriture.

Et, comme il s’agit d’un regard à hauteur d’homme, Charles Bertin accueille aussi lecteurs et auditeurs dans l’espace personnel de ses émotions et de ses émerveillements, loin des conventions du discours académique. Cela concerne aussi bien le rapport intime à une oeuvre ou à un auteur que des expériences singulières comme ses vacances d’enfant sur la côte, le surréalisme d’une nuit passée sur le Forum romain, la « voix » de Venise, ou encore sa frustration face à un Parthénon naïvement attendu comme une épiphanie sublime et découvert comme un fourmilière de touristes étrangement semblables à lui-même… Ce qui ne l’empêche pas d’induire des réflexions essentielles et d’une pressante pertinence. Comme, à propos de l’art et du « temps des musées », de s’interroger sur la différence entre une vision de grandeur, ouverte sur la création, qui implique le respect et la conservation des oeuvres du passé, et une « muséomania » qui ne serait que le refuge de l’impuissance et des nostalgies d’une époque sur son déclin.

Gh.C., L’Art et les hommes, par Charles Bertin. Le Grand Miroir, 179 p.

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