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A droite pas tout à fait toute

Le Vif

Ses adversaires accusent le MR, et son président Georges-Louis Bouchez, de multiplier les signaux envers une droite peu fréquentable. Le Montois, lui, appuie sur sa ligne. «La droite doit arrêter de se cacher», dit-il.

Le fond est profondément bleu, la chemise aussi.

Au mur, le hashtag #fierdetreliberal est bien visible, comme bien sûr le logo du parti. C’est le président du MR International, Jean-Jacques Flahaux, qui s’exprime sur la situation italienne. La vidéo est publiée sur les réseaux sociaux, sous la bannière du Mouvement réformateur. «Giorgia Meloni, je pense comme toute une série d’Italiens, revendique aussi l’italianité, et le fait que Mussolini a été un Italien, en partie, dont ils ont pu être fiers. Ils reconnaissent souvent aussi en même temps que Mussolini a fait des conneries: s’allier avec Hitler, adopter sur l’instance (sic) de Hitler des lois à propos de la communauté juive, et la guerre notamment aussi en Ethiopie, qui a été particulièrement meurtrière et catastrophique, et que par ailleurs ce n’était pas un génie militaire, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais par ailleurs, il faut aussi savoir que Mussolini a redonné de la fierté à l’Italie, Italie qui était dans une situation catastrophique…», explique Jean-Jacques Flahaux, ancien bourgmestre de Braine-le-Comte, député fédéral jusqu’à 2019 et, donc, président du MRI, la «branche européenne et internationale du MR», depuis 2014. C’est un poste intéressant mais surtout honorifique, qui offre à son récipiendaire un bureau au siège du parti, une place au conseil du parti, quelques remboursements de frais, une poignée de voyages et, surtout, une petite visibilité, souvent émolliente d’un orgueil politique blessé. Daniel Ducarme, qui avait créé l’instance avec le MR, en 2002, l’avait occupée après avoir démissionné de la présidence de la Région de Bruxelles-Capitale, en 2004. Et c’est pour aider le jeune Maxime Daye à accéder pacifiquement au mayorat de Braine-le-Comte que les éminences réformatrices offrirent, en 2014, cette présidence à Jean-Jacques Flahaux.

Ces propos sont inappropriés et condamnables mais ne peuvent remettre en cause les valeurs et les engagements de Jean-Jacques Flahaux.

«Staline, fer de lance de la Libération»

Bref, c’est une fonction surtout symbolique, et donc symboliquement importante, pour laquelle le président du parti propose un nom au conseil, et dont le mandat se termine avec celui du président, précisent les statuts du MR. C’est du haut de ce statut que Jean-Jacques Flahaux banalisa donc le régime fasciste dans une vidéo officielle du parti. Sur les réseaux sociaux, la déferlante indignée dépassa même, et de loin, le campisme numérique de la gauche habituelle. Cette dernière n’avait pas remarqué, ou s’était moins indignée, lorsque le même Jean-Jacques Flahaux, dans un même contexte, avait tout aussi officiellement engagé son parti dans une autre vidéo, intitulée «Mieux connaître la Russie». Dix jours avant Mussolini, c’était en effet Staline qu’il banalisait. «On a eu Lénine et Staline qui ont joué des rôles moins flamboyants, même si, on l’oublie un peu, Staline a été le fer de lance de la libération de la Russie, même si ça été au prix de 27 millions de morts, pour ce que les Russes appellent toujours la “Grande Guerre patriotique”, ne l’oublions pas», soulignait le Brainois dans une publication datée du 12 octobre. Et dépubliée, discrètement, dans la foulée de celle sur l’Italie.

Après avoir banalisé Staline, le président du MR International, Jean-Jacques Flahaux, a récidivé dans une nouvelle vidéo, avec Mussolini.
Après avoir banalisé Staline, le président du MR International, Jean-Jacques Flahaux, a récidivé dans une nouvelle vidéo, avec Mussolini. © National

Quoi qu’il en soit, ici, Christine Defraigne, Viviane Teitelbaum ou Maxime Bihet, notamment, dénoncèrent les propos de leur camarade de parti, par ailleurs membre du MCC (Mouvement des citoyens pour le changement). Et le temps mis par le président du MR à réagir, les termes de la réaction, et la gravité de la sanction, alimentèrent une pluie de commentaires. «Mussolini a commis les pires horreurs de l’histoire. Il n’y a aucune ambiguïté à avoir à son égard. Ces propos sont inappropriés et condamnables mais ne peuvent remettre en cause les valeurs et les engagements de Jean-Jacques Flahaux. Je lui ai donc demandé de retirer cette vidéo», postait ainsi Georges-Louis Bouchez sur Twitter, le 29 octobre. Pas d’excuses, donc, et pas de sanctions non plus.

Je crois qu’il n’y a plus d’espace pour un centre sans référence philosophique ou idéologique en Belgique francophone.

C’était assez pour que certains, dans l’habituelle gauche indignée, relancent l’hypothèse déjà souvent formulée de signaux envoyés par le Montois vers une fantomatique extrême droite francophone ou vers une un peu moins absente droite de la droite.

Il y a des choses dites, ces dernières années, par le président réformateur, qui pourraient sembler accréditer cette hypothèse, salissante dans la bouche de ceux qui la formulent. Il l’assume, pour partie, lui-même. «La politique, dit-il, est avant tout une conviction profonde que l’on défend. La mienne s’est renforcée avec le temps. Au fil de ce que j’ai vécu à Mons et après notre alliance au fédéral avec la N-VA, ma conviction est qu’en Belgique francophone, la droite doit arrêter de se cacher», estime Georges-Louis Bouchez.

Comme lorsque le sénateur coopté refusait de qualifier Eric Zemmour d’extrême droite et ajoutait, dans la DH du 8 octobre 2021, que «taper sur Zemmour, c’est absurde et tout jeter de lui, c’est se voiler la face».

Ou lors de la cavale du militaire d’extrême droite Jürgen Conings, quand le chef de groupe de Mons en Mieux au conseil communal le mettait sur le même pied que la gauche. «Interpellant comme le monde médiatique francophone est prolixe au sujet de l’extrême droite en Flandre mais est beaucoup moins loquace sur les horreurs du communautarisme de la gauche francophone. Les deux sont à combattre avec la même force, ils détruisent la société», publiait-il sur Twitter, le 25 mai 2021.

Fdesouche

Ou encore lorsque, rompant en avril 2022 le cordon sanitaire médiatique pour aller débattre avec Tom Van Grieken sur la VRT, le président des Francs Borains accusait – en français – ce dernier de porter un programme de gauche sur le plan socioéconomique, éludant sa doctrine sur les questions migratoires.

Ou enfin lorsque le président des Francs Borains relayait, tout récemment sur Twitter encore, des publications de «fdesouche», un site français d’extrême droite, et de Damien Rieu, le fondateur du groupuscule Génération identitaire dissous par le ministre français de l’Intérieur.

Ces choses dites sont aussi des choses montrées, à ceux qui partagent cette vision du monde, mais plus sûrement à ceux qui la haïssent, surtout à gauche. En réagissant, ceux-ci renforcent l’ancrage numérique de Georges-Louis Bouchez et l’installent comme principal – et unique, espère sans doute l’intéressé – opposant à la gauche francophone en Belgique.

Père Fouettard

Ces prises de position, souvent sur les réseaux sociaux, surtout Twitter, qui n’intéressent qu’une petite communauté d’internautes politisés, avec, parfois, des répercussions dans les pages politiques de journaux que plus grand-monde ne lit, n’impliquent, de la part de Georges-Louis Bouchez et de son parti, aucune action politique concrète. Aucun changement éventuel de législation, pas la moindre mise en œuvre d’une politique publique, pas plus, non plus, que de modification substantielle de la doctrine du parti. Elles relèvent de la «guerre culturelle», comme lorsque, sûr de son effet, le Montois s’empare d’une minuscule polémique néerlandaise pour défendre le Père Fouettard au visage maquillé de noir et aux lèvres peintes en rouge. Ou comme lorsque les drapeaux belges, ou les premières notes de la Brabançonne, encadrent un congrès programmatique.

A ces affichages communicationnels aussi ciblés que gratuits s’ajoutent quelques recrutements qui indignent également la gauche habituelle des réseaux sociaux. Mais qui ne seraient, à entendre le président, guère coûteux. Ainsi, un ancien dirigeant du Front National belge, le Woluwéen Georges-Pierre Tonnelier est-il aujourd’hui un militant MR très actif en région bruxelloise. Et, en périphérie, le productif essayiste Drieu Godefridi, aux prises de position pro-Trump fort opposées à la ligne réformatrice, est pourtant secrétaire politique de la section MR de Beersel. «Je l’ai déjà expliqué plusieurs fois, nous répond ce dernier. C’est une fonction honorifique, que j’ai acceptée par amitié et pas par militantisme. Elle n’implique aucun membership par rapport au MR. C’est la section de Beersel, hein. C’est trois personnes!» Ces présences n’indisposent aucunement Georges-Louis Bouchez. «Ce sont des gens qui sont surtout mis en avant par nos adversaires. Si un jour ils dépassent la ligne, il y aura des sanctions. Pas plus, pas moins. Moi, je juge sur les actes, et aucun acte problématique n’est commis au nom du MR», pose-t-il.

Drieu Godefridi, aux prises de position pro-Trump, est secrétaire politique de la section MR de Beersel: «Une fonction honorifique.»
Drieu Godefridi, aux prises de position pro-Trump, est secrétaire politique de la section MR de Beersel: «Une fonction honorifique.» © isopix

Victoire mécanique

Cette conviction que «la droite ne doit pas se cacher» correspond, selon le président réformateur, au «besoin stratégique du MR». Celui-ci, en 2019, avait perdu 137 000 voix aux législatives, après avoir pourtant mené le gouvernement le plus à droite de l’histoire récente. Les 42 000 voix rassemblées par les Listes Destexhe, les 15 000 par La Droite, voire les 75 000 par le Parti Populaire. Quatrième sur la liste législative dans le Hainaut, Georges-Louis Bouchez avait raté son siège de député pour à peine 3 000 voix, alors qu’ensemble Destexhe, La Droite et le PP en engrangeaient près de 40 000. Si tous ces électeurs de la droite de la droite reviennent au Mouvement réformateur en 2024, une victoire libérale est, presque mécaniquement, promise, «en allant, ajoute Georges-Louis Bouchez, rechercher ceux qui étaient les plus proches de notre ligne mais qui nous avaient quittés, ça créera un effet d’entraînement».

Ma conviction est qu’en Belgique francophone la droite doit arrêter de se cacher.

Or, cet effet d’entraînement, c’est précisément ce que disent espérer, au centre, Les Engagés, DéFI et, peut-être, Jean-Luc Crucke. La droitisation réformatrice leur ouvrirait un espace au centre, que, du haut de son bureau présidentiel, un Montois ne voit pas. «Je crois qu’il n’y a plus d’espace pour un centre sans référence philo- sophique ou idéologique en Belgique francophone. Vous savez, les gens disent déjà qu’on est tous les mêmes et, pour eux, tous les partis de gouvernement sont des partis du centre. Quel serait l’apport d’un parti de plus, porté par des gens qui auraient en prime, pour certains, trahi leur parti et leur idéal?», fait mine de s’interroger Georges-Louis Bouchez, dont les recrues ministérielles (Mathieu Michel, Hadja Lahbib, Adrien Dolimont) garantissent, assure-t-il, un pendulaire équilibre. La droite francophone n’a donc pas fini d’arrêter de se cacher.

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