9. Coupable !

DE BRUNO DAYEZ

Je me suis attaché jusqu’à présent à explorer l’un des thèmes centraux de la justice pénale, celui de la vérité. Sans délaisser ce sujet, à propos duquel maintes conclusions provisoires pourraient déjà être tirées par le lecteur assidu, je propose de faire à présent un détour vers une autre notion clé, celle de la culpabilité, pour varier notre approche.

Qu’est-ce qu’être coupable et à quelles conditions peut-on être jugé tel ? Toute une batterie de concepts doit être déployée pour apporter réponse à cette question : la conscience, la volonté, l’intention, le mobile?… On se trouve d’emblée aux confins de la psychologie et de la philosophie ! Néanmoins, rassurons-nous : il y a moyen de comprendre sans être versé dans ces savoirs.

Pour aller à l’essentiel, on dira qu’il ne suffit pas, pour être coupable, d’avoir commis un acte que la loi prohibe et sanctionne d’une peine. Encore faut-il avoir agi avec conscience et volonté, dans l’intention de transgresser la loi. En connaissance de cause ? L’acte d’un dément, par exemple, ne saurait lui être imputé, car il n’est pas conscient de ses actes. La folie est donc considérée, en droit, comme une cause de non-imputabilité. Autrement dit, on ne peut rendre un fou responsable de ce qui échappe à sa conscience et il n’y a pas de culpabilité si l’on n’est pas en mesure de répondre de ses actes. Le cas échéant, l’auteur des faits sera interné parce que son état le rend dangereux, pour les autres ou pour lui-même, mais on ne voit pas qu’il puisse être puni dès lors qu’il n’est pas capable de réaliser la portée criminelle de son geste.

Dans le même ordre d’idée, la loi présume que les mineurs d’âge (de moins de 18 ans) sont des irresponsables pénaux. Leur immaturité les empêchant d’avoir la pleine conscience des conséquences de leurs actes délictueux. Si la règle ne souffre aucune discussion pour les fous, pour les enfants, en revanche, la polémique a souvent fait rage. L’âge de la majorité pénale est continuellement débattue, tant en Belgique qu’à l’étranger. C’est que l’actualité abonde de faits divers meurtriers dont les auteurs sont des adolescents, voire de jeunes ou très jeunes enfants. Dans notre droit, l’âge de la majorité pénale peut être abaissé à 16 ans, à certaines conditions, mais jamais en deçà. La fixation de cette limite peut sembler artificielle au regard de la maturité dont certains jeunes délinquants font preuve. A partir du moment où la limite est fixée par la loi, c’est-à-dire par voie de disposition générale, elle est effectivement arbitraire. Je crois que nous touchons là à l’une des manifestations de volonté du législateur les moins bien comprises, les moins bien acceptées par l’opinion publique. C’est que celle-ci voit les effets de ce qu’elle interprète comme du laxisme dans le chef des autorités, alors que l’inspiration de la loi est simplement humaniste. Il ne s’agit en effet de préférer la prévention à la répression et de mettre en place, au lieu d’une peine « afflictive et infamante », des mesures de caractère éducatif. Tant qu’il en est encore temps, tout doit être entrepris pour éviter qu’un mineur d’âge entre en délinquance ou s’endurcisse dans cette voie : telle est l’ambition de notre loi « sur la protection de la jeunesse ». On peut juger ce projet irréaliste, cette ambition démesurée. Il est clair, en tout cas, que nos tribunaux de la jeunesse manquent de moyens suffisants pour mettre en oeuvre ce pour quoi il ont été institués. Ce n’est pas forcément une bonne raison pour estimer qu’il n’y a pas lieu de discriminer les enfants et les adultes. C’est au contraire un des grands acquis de la justice pénale au cours de son histoire: réserver le « châtiment » à ceux qui le méritent, la première condition pour ce faire étant d’avoir la capacité de répondre de ses actes. N’avoir pu se rendre compte de la portée de son geste, avoir agi sans discernement ou sans intelligence, ou par l’effet d’une erreur que tout homme raisonnable et prudent eût commise dans les mêmes circonstances, décharge logiquement l’auteur d’un fait de sa responsabilité pénale. Car cela n’aurait tout simplement aucun sens de condamner quelqu’un que l’on ne pourrait, si peu que ce soit, juger fautif. On verra que le même raisonnement prévaut à l’égard des actes involontaires.

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