60 ans et toujours sexy !

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Le Festival de Cannes a fêté son 60e anniversaire en offrant une sélection d’une haute et belle tenue, couronnée d’un palmarès exemplairement cinéphile. Bilan et analyse.

Cannes est un des tout derniers endroits mythiques où le cinéma peut être présenté comme un art ; il incarne une exception culturelle dans un monde des images quasi totalement livré à la marchandisation…  » L’édition 2007 de la manifestation cannoise aura pleinement justifié cet hommage rendu au Festival par Emir Kusturica, à quelques heures de la proclamation d’un palmarès… qui allait ignorer son propre film, Promets-moi. Le niveau moyen de la sélection fut cette année vraiment exceptionnel, et le duo Thierry Frémaux-Gilles Jacob pouvait exprimer une satisfaction entièrement justifiée, au soir d’un palmarès ayant (à la notable exception du film des frères Coen) retenu la crème des £uvres. Le couronnement du film de Cristian Mungiu, 4 mois, 3 semaines et 2 jours était la cerise logique mais néanmoins audacieuse sur un gâteau cinéphile dont le jury présidé par Stephen Frears n’avait pas manqué de goûter toutes les saveurs nouvelles.

 » Still sexy at sixty !  » Un magazine professionnel anglo-saxon paraissant quotidiennement durant le Festival affichait, dès le milieu de la manifestation, ce titre éloquent qui exprime bien le pouvoir d’attirance intact du plus important festival du genre. Pour son 60e anniversaire, Cannes a fait le choix de la qualité, de la recherche et d’une ambition artistique tournant le dos à certains choix récents plus commerciaux et légers. Certes, les marches revêtues de rouge furent foulées par nombre de stars. Mais toutes ou presque étaient là pour de bonnes raisons. Pas d’accablant Da Vinci Code en ouverture comme l’an dernier, mais un film du merveilleux styliste qu’est Wong Kar-wai. La chanteuse Nora Jones et l’acteur Jude Law, protagonistes de ce film aussi beau qu’attachant, ont inauguré le Festival dans un glamour indispensable, mais ont aussi posé les jalons d’un saut qualitatif que la suite allait confirmer. Car, si deux films hollywoodiens devaient amener des stars sur la Croisette (Angelina Jolie pour A Mighty Heart, George Clooney et Brad Pitt pour Ocean’s 13), ils portaient la signature de réalisateurs remarquables et habitués des sélections cannoises : Michael Winterbottom et Steven Soderbergh. Quant à Leonardo DiCaprio, dont la visite fit logiquement courir fans et paparazzis, c’est… un documentaire sur les dangers du réchauffement de la planète que le comédien vedette était venu présenter. En alliant idéalement sa face paillettes et  » people  » avec une crédibilité culturelle à l’importance clairement réaffirmée, le Festival s’est posé en sexagénaire alerte et plein d’un désir intact pour ce qui fait son caractère unique.

Reflet presque parfait d’une sélection riche en £uvres marquantes et où chaque film offrait des enjeux spécifiques à l’art du cinéma, le palmarès concocté par Frears et ses complices du jury atteste avec bonheur une franche diversité et une spectaculaire ouverture aux cinémas du monde entier. La géographie des prix attribués dimanche soir en témoigne avec éloquence, puisque s’y retrouvent des films roumain, japonais, coréen, mexicain, russe et américain, trois £uvres transcendant même les frontières avec une production germano-turque et deux productions françaises réalisées l’une par une Iranienne, et l’autre par un New-Yorkais.

La Palme d’or est venue récompenser un film projeté très tôt dans le Festival, mais dont l’effet stylistique et humain n’a jamais pâli au fil des jours et des autres (bonnes) surprises. Auteur déjà d’un Occident révélé chez nous au Festival de Mons, Cristian Mungiu nous ramène dans 4 mois, 3 semaines et 2 jours à la Roumanie de 1987, quelques années avant la chute du communisme. Ses héroïnes sont deux étudiantes qui partagent une chambre dans la cité universitaire d’une petite ville de province. Gabita se retrouvant enceinte et ne pouvant assumer cette grossesse indésirable, Ottila veut l’aider à trouver une solution. Mais la loi considère l’avortement comme un crime, et c’est vers une dangereuse clandestinité que se tourneront les deux jeunes femmes pour résoudre le problème… Premier volet d’une série intitulée non sans ironie Contes de l’Age d’or, le film cadre d’une manière saisissante une réalité pénible. La jeunesse s’y retrouve à l’épreuve des interdits, l’avortement apparaissant à l’époque comme un acte de liberté et de protestation contre un régime ne voulant perdre aucun potentiel de future main-d’£uvre. Cristian Mungiu y pose également, avec une force expressive d’autant plus grande que le style est précis, sobre et épuré, des questions passionnantes et universelles qui résonnent bien au-delà du contexte particulier de la Roumanie sous Ceausescu. C’est une petite société n’ayant pas peur du risque, Imagine, déjà distributrice d’ Occident et acheteuse du film bien avant le palmarès, qui sortira chez nous cette Palme d’or méritée.

Les femmes au c£ur du Festival…

4 mois, 3 semaines et 2 jours n’était pas, et de loin, le seul film abordant, à travers un récit personnel et intime, la condition des femmes dans un monde où leurs droits récemment conquis sont loin d’être considérés comme définitivement acquis. Exemple : Persépolis, la plus belle surprise de la compétition, pose sur la théocratie en Iran et sa paranoïa vis-à-vis de la féminité un regard d’une radicale fermeté. Ce dessin animé signé Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud adapte les albums de BD autobiographiques de la première citée. Il narre une trajectoire menant d’une dictature (celle du chah) à une autre (celle des islamistes), avant un envol vers l’Europe où l’héroïne a pu enfin – mais difficilement – s’épanouir en liberté. Une £uvre brillante, touchante et très significative, qui aurait tout aussi bien pu se retrouver  » palmée « , mais que son Prix du jury signale déjà haut et fort à un public qui devrait être large. Persépolis proclame des choses importantes quant à la liberté humaine et les menaces qui pèsent plus que jamais sur elle.

Autre film éminemment  » palmable « , favori de nombreux pronostiqueurs à l’approche du dénouement, De l’autre côté a conformé l’immense talent du cinéaste allemand d’origine turque, Fatih Akin. L’auteur de Head-on (Ours d’or au Festival de Berlin en 2003) a finalement dû se contenter d’un Prix du scénario pour son admirable chronique mêlant la destinée de trois familles turques et allemandes autour d’une jeune héroïne rebelle. Son grand film humaniste, où l’amour se décline en même temps que le désir de démocratie, aborde sans manichéisme mais avec détermination une quête d’épanouissement féminin que le(s) pouvoir(s) masculins retardent, et qui est pourtant la clé du futur.

Prix d’interprétation féminine pour Secret Sunshine, l’actrice coréenne Jeon Do-yeon incarne de façon bouleversante et originale la quête de sa place dans le monde d’une veuve perdant aussi son jeune fils et croyant trouver dans la religion une issue à sa situation tragique. Et c’est au féminin encore que la réalisatrice japonaise Naomi Kawase poétise dans La Forêt de Nogari (Grand Prix du jury) l’échappée belle d’une jeune femme et d’un vieil homme partageant le deuil d’une disparue.

… et les hommes dans leur ombre

Peut-être le film furieusement captivant des frères Coen, No Country for Old Men (adaptation du roman de Cormac McCarthy), fut-il oublié des jurés pour avoir exploré un imaginaire au contraire on ne peut plus masculin, où se reflète la violence d’une époque. Peut-être aussi le subtil et fascinant Paranoid Park de Gus Van Sant en fut-il plus apprécié pour son ignorance des codes virils, avec un prix du 60e Anniversaire à l’auteur d’Elephant déjà palmé d’or… Toujours est-il que même le Prix d’interprétation masculine (Konstantin Lavronenko pour le solennel et visuellement superbe Bannissement du cinéaste Russe Zviaguintsev) est allé vers un film dont le plus beau personnage est… celui d’une femme soupçonnée d’adultère. Tandis que les deux derniers films primés, Stillet Licht, du Mexicain Carlos Reygadas – Prix du jury – et Le Scaphandre et le papillon, de Julian Schnabel, s’ils placent un homme au centre de leur récit, font chacun briller en regard plusieurs femmes dont la présence énigmatique, rayonnante ou apaisante a marqué cette mémorable édition d’un Festival de Cannes plus passionnant que jamais.

Louis Danvers

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire