38. Une pièce rapportée : la partie civile

Terminer notre tour d’horizon des acteurs du procès impose de reparler du plaignant. Quelle place occupe en effet, dans notre procédure pénale, celui qui se prétend victime d’une infraction ? Si l’actualité a permis à chacun de se rendre compte que les préjudiciés sont souvent  » hors piste  » au moment du procès, il n’en est pas moins nécessaire d’expliquer pour quelle raison, dans un système tel que le nôtre, prévenu et plaignant ne seront jamais sur pied d’égalité. Ainsi, toutes les revendications qui se font jour depuis quelques années, tendant à replacer la victime au centre du débat judiciaire, font-elles à cet égard preuve d’ignorance, car elles équivalent à demander à un fleuriste s’il vend des chaussures ! Pourquoi donc la  » partie civile « , celle qui demande réparation du dommage consécutif à l’infraction, reste-t-elle sur le banc de touche et comment s’opère cette exclusion ?

Partons d’un simple constat : une large majorité des procès se déroulent en l’absence pure et simple de partie civile. L’explication en est multiple : des mois, voire des années se sont écoulés depuis les faits ont été commis. Se faire assister d’un avocat est coûteux. L’issue des débats est incertaine. La probabilité de recouvrer son dû l’est encore davantage… Outre que la justice est lente, chère et difficile d’accès, elle n’assure pas le rôle qu’on lui croyait naïvement dévolu : celui de garantir l’indemnisation de la victime. Ce n’est effectivement pas sa finalité, répondront les professionnels, car la justice a pour mission exclusive de vérifier la culpabilité de ceux qu’elle juge et de décider la peine à infliger. Or la réparation du tort causé concrètement à la victime n’est pas une peine : c’est une sanction civile. Si personne ne la demande, cette réparation, loin d’être une obligation dans le chef du délinquant, passera dès lors définitivement au bleu. Pour être tout à fait exact, la préoccupation de voir la victime satifaite de ses droits ne sera jamais le fait des instances judiciaires… sauf après la condamnation : dans le cadre d’un recours en grâce ou d’une proposition de libération conditionnelle, par exemple, il sera tenu compte des efforts entrepris pour indemniser les victimes. Et, pour obtenir une réhabilitation du condamné, c’est-à-dire l’effacement de son  » casier judiciaire « , avoir intégralement payé les condamnations civiles devient enfin une condition sine qua non. Paradoxe : le jugement est alors devenu définitif depuis des années !

Mais, ce qui exclut le plus sûrement la victime du débat, c’est que l’enjeu du procès ne la concerne pas. Telle quelle, cette affirmation est terrible. Elle est néanmoins vraie. Il n’y a, en effet, aucune concordance de vues, sauf exceptionnelle, entre une victime qui souhaite, selon le cas, un aveu, un remords, des excuses, un remboursement… et un appareil justicier accaparé par le  » châtiment public « . Si, d’aventure, la victime voulait s’exprimer sur ce qu’elle estime être dans son cas la peine juste, elle n’aurait pas voix au chapitre ! Preuve éclatante de l’inadéquation entre les attentes des victimes et ce que la justice est capable d’offrir. Certes, il ne serait pas convenable que la victime elle-même décide du choix de la peine, au risque de faire disparaître toute égalité entre les délinquants au gré de la mansuétude ou de la ranc£ur de  » leur  » victime. Mais lui confisquer tout bonnement le droit à la parole sur ce que mérite celui qu’on juge alors qu’elle en est la seule victime  » réelle « , c’est révéler la vraie nature de la justice, faite pour la norme, non pour les hommes, une justice de principes sacrifiant l’individu à la règle. Dans cette perspective, les  » nouveaux droits  » alloués récemment à la partie civile (accès au dossier alors que l’instruction est en cours, possibilité de demander au juge d’instruction des devoirs d’enquête complémentaires,…) contribuent sans doute à la rendre partie prenante à la recherche de la vérité, ce qui pourrait se révéler utile dans un nombre de cas malgré tout limité. Mais ils ne remédient évidemment pas à ce quiproquo fondamental sur lequel toute la justice est construie : comment faire qu’une affaire qui vous concerne devienne l’affaire de tous, sauf la vôtre ?

bruno dayez

Il n’y a pas d’adéquation entre les attentes des victimes et ce que la justice est capable de leur offrir

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