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Cristal Park à Seraing: 27 millions partis en fumée?

David Leloup
David Leloup Journaliste

Le mégaprojet immobilier Cristal Park, à Seraing, a du plomb dans l’aile. Les deux sociétés qui le portent, Immoval et Valinvest, sont au bord de la faillite. Elles doivent, ensemble, près de 27 millions d’euros à leurs créanciers. Dont plus de la moitié au seul fonds de pension Ogeo.

Tic-tac, tic-tac… Le spectre de la faillite des sociétés portant le projet Cristal Park plane depuis l’été sur la Cité du fer. Le Cristal Park, c’est ce mégaprojet immobilier lancé fin 2004, qui vise à transformer le site des anciennes cristalleries du Val Saint Lambert à Seraing – plus de cent hectares – en une «miniville» mêlant logements, bureaux, hôtel, commerces, loisirs et une centrale énergétique. Plus de quarante millions d’euros d’argent public – dont quinze pour la rénovation du château – ont été mobilisés ces 25 dernières années. Mais outre du marketing, quelques rénovations et des dépollutions de sols, aucun nouveau bâtiment n’est sorti de terre. Et aucun emploi n’a été créé, alors que les promoteurs en promettaient un millier.

La bombe à retardement qui pourrait faire définitivement exploser le Cristal Park a été enclenchée le 28 juillet dernier. Ce jour-là, le tribunal de l’entreprise de Liège a placé en procédure de réorganisation judiciaire (PRJ) pas moins de cinq entités au centre du projet. Parmi elles, les sociétés Immoval (qui coordonne le projet Cristal Park) et Valinvest (actionnaire majoritaire d’Immoval). Une PRJ est destinée à protéger une entreprise dont la continuité est menacée, en lui permettant de maintenir ses activités un temps donné – souvent trois à six mois – malgré son endettement.

L’objectif est que l’entreprise mette en place un plan de réorganisation afin de restructurer sa dette. Ce plan doit ensuite être approuvé par la majorité des créanciers, c’est-à-dire les personnes auxquelles la société doit de l’argent – bailleurs de fonds, sous-traitants, fisc, ONSS… Cela se fait lors d’un vote des créanciers organisé au tribunal de l’entreprise.

Valinvest et sa filiale Immoval ont ainsi obtenu du tribunal de l’entreprise de Liège un sursis de quatre mois pour le paiement de leurs dettes, soit jusqu’au 28 novembre. Le plan de réorganisation doit être communiqué aux créanciers des deux sociétés ce 25 octobre. Ils voteront ensuite pour ou contre ce plan le 15 novembre.

Des dents grincent

Le Vif et la RTBF se sont procuré la liste des créanciers des deux sociétés. Le moins que l’on puisse dire est que les montants donnent le vertige. Valinvest a une dette globale de 14,3 millions d’euros et Immoval de 12,4 millions. Soit une dette cumulée de 26,6 millions d’euros pour le projet Cristal Park.

Ce montant ne tient pas compte des dettes de deux autres «satellites» du projet, eux aussi placés en PRJ fin juillet (l’asbl Cristal Discovery, qui gère le château et le musée du cristal, et l’Immobilière Deprez, une filiale d’Immoval). Last but not least, la société Speci de Guido Eckelmans (65%) et Pierre Grivegnée (35%), actionnaire majoritaire de Valinvest et «chef d’orchestre» du Cristal Park, a elle aussi été placée en PRJ le 28 juillet. C’est donc toute la colonne vertébrale du projet immobilier (Speci-Valinvest-Immoval) qui s’effrite (voir schéma ci-dessous).

Tant du côté des sociétés en sursis que de leurs créanciers, on se tait dans toutes les langues. On retient son souffle jusqu’au 25 octobre, en attendant de voir les plans de réorganisation. Mais en coulisse, les dents grincent. L’espoir de récupérer son argent s’est envolé chez plusieurs de nos interlocuteurs. Comment, en effet, vendre des bâtiments qui ne sont jamais sortis de terre pour rembourser les créanciers?

Qui risque de perdre quoi?

Le tableau ci-dessous reprend les quinze principaux créanciers d’Immoval et Valinvest, classés par ordre décroissant d’importance. Ils représentent, ensemble, 25,9 millions d’euros, soit plus de 97% de la dette cumulée des deux entreprises (1). Ogeo Fund, le fonds de pension des intercommunales liégeoises, est de très loin le plus exposé avec une créance de 14,6 millions d’euros. Soit plus de la moitié de la créance cumulée. Suit l’intercommunale Ecetia Finances (3,3 millions), le fonds d’investissement Noshaq Immo (2 millions), la filiale de Nethys NEB Participations (1,5 million). Ensuite on retrouve Speci (1 million), actionnaire et créancier des deux sociétés (qui sont en outre créancières l’une de l’autre).

Le premier créancier privé non partie prenante au montage Cristal Park est l’architecte Christian Sauvage, qui détient une créance de plus de 630 000 euros sur Valinvest. Vient ensuite BPI Samaya (434 000 euros), une société du groupe CFE «qui a signé une option et payé un acompte pour racheter des bâtiments appartenant à Immoval», précise une source proche du dossier. Puis vient Sebastian Knauf (277 000 euros), un entrepreneur d’Embourg né en 1980, talonné par Arcadis (249 000 euros), «leader mondial du conseil et de l’ingénierie durable», avant Guido Eckelmans (197 000 euros) et le fisc (179 000 euros).

Seuls les trois premiers créanciers (Ogeo, Ecetia et Noshaq) ont le statut de créanciers «extraordinaires». Ils seront remboursés les premiers car ils disposent de garanties sur les montants qu’ils ont avancés à Immoval et/ou Valinvest. Par exemple, les 1 503 actions de Valinvest détenues par Speci et Cogep (liée à la Ville de Seraing), servent de garantie (elles sont dites «nanties») pour les 2,8 millions qu’Immoval doit à Ogeo, en cas de non-remboursement. «Il est cependant impossible à ce stade de déterminer la valeur des actions nanties», précisent les documents fournis par Immoval à ses créanciers. Autrement dit, la garantie s’est dégonflée.

Ogeo dispose d’autres garanties, notamment des hypothèques sur des bâtiments et des terrains du site du Val Saint Lambert, ainsi que des garanties financières de la Ville de Seraing pour le remboursement de certains prêts. «Le dindon de la farce pourrait bien être Seraing et ses citoyens qui pourraient perdre plus de cinq millions d’euros, ainsi que de magnifiques terrains mis en garantie», a calculé Damien Robert, chef de file de l’opposition PTB.

Bien que la Ville se soit portée garante pour Ogeo dans plusieurs opérations financières, cela ne suffira pas. Et Ogeo risque de perdre plusieurs millions en cas de faillite d’Immoval. Contacté par Le Vif, le comité exécutif d’Ogeo Fund le reconnaît du bout des lèvres: «Le conseil d’administration actuel d’Ogeo Fund gère le dossier de manière à minimiser au maximum le risque sur cet investissement tout en sachant que nous ne sommes malheureusement pas couverts à 100%.»

Ecetia dispose de quatre hypothèques et pourrait peut-être tirer son épingle du jeu. Par contre, les garanties de Noshaq sont directement liées à la vente à des tiers des différents «lots» du projet Cristal Park (pôle loisirs, village commercial, lotissements, bureaux, hôtel). Créés en 2016, ces filiales dédiées ou SPV n’ont jusqu’ici pas trouvé acquéreur. Sauf une, la filiale «bureaux» achetée en 2019 par… Noshaq. L’ avocat d’Ecetia Finances et le porte-parole de Noshaq n’ont pas réagi à nos sollicitations.

Les autres créanciers ne disposent d’aucune garantie et risquent de perdre l’intégralité de leur créance en cas de faillite d’Immoval. C’est le cas de la filiale de Nethys, NEB Participations et de son million et demi de créance envers Immoval. «C’est une ancienne créance dont nous sollicitons le remboursement, mais le risque est très élevé pour nous de ne pas récupérer ce montant», concède un membre du conseil d’administration de NEB. Un peu d’espoir le 15 novembre?

Pierre Grivegnée privé de liberté: il va rester un mois en prison

Le 17 octobre, Pierre Grivegnée a été privé de liberté après la perquisition de son domicile à Bruxelles. L’ ancien responsable du projet Cristal Park a ensuite été entendu par les enquêteurs liégeois et présenté le lendemain après-midi devant le juge d’instruction financier Philippe Richard qui l’a placé sous mandat d’arrêt pour abus de biens sociaux. Le 17 toujours, la justice a également perquisitionné les anciens bureaux de Pierre Grivegnée au Val Saint Lambert, à Seraing. Ce vendredi 21 octobre, la chambre du conseil de Liège a confirmé sa détention préventive pour un mois.

En juillet dernier, Le Vif et la RTBF ont publié une série de fausses factures découvertes dans le dossier. Les propriétés informatiques de ces documents indiquent comme auteur «p.grivegnée». La Ville de Seraing, interpellée, a déposé début août une plainte pénale avec constitution de partie civile contre Pierre Grivegnée et contre X.

Cette plainte pour détournement, escroquerie, faux et usage de faux, et abus de biens sociaux se fondait sur un audit financier commandité par la Ville. Selon des informations recueillies par Le Vif et la RTBF, cet audit a permis de confirmer ce que nos articles avaient mis en évidence. La Ville de Seraing n’est pas la seule à avoir déposé plainte. Elle avait été précédée par le PTB et suivie par Guido Eckelmans, l’associé de Pierre Grivegnée.

La salle Amande est l’ancien bureau principal de Pierre Grivegnée dans le château du Val Saint Lambert. Cette salle avait fait l’objet d’une étonnante intrusion le 24 juillet dernier, au petit matin. Des pompiers, alertés par une alarme incendie non détectée sur place, ont pénétré dans le château par effraction et fracturé la porte de ce seul bureau, fermé à clé. Or, c’est dans ce bureau qu’étaient conservés les documents relatifs à la gestion du projet Cristal Park.

La Ville de Seraing relate l’incident dans sa plainte. Une source proche du dossier et de la Ville nous dit, de même qu’une source judiciaire, que des documents ont été dérobés dans la salle Amande. Ces sources ignorent pour l’instant si ces documents ont disparu avant, pendant ou après que les pompiers sont entrés au château. C’est cet incident qui a permis de remarquer la disparition des documents.

Un article de David Leloup et de François Braibant (RTBF)

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