2012 Comment il s’était préparé
Avant son arrestation à New York, Dominique Strauss-Kahn était sur le point d’annoncer sa candidature à la primaire du PS. Dans sa tête, tout était prêt, ou presque.
Samedi 14 mai. Christophe Borgel, l’un des rares à avoir des contacts réguliers avec Dominique Strauss-Kahn, se couche serein : dans le Parisien dimanche du lendemain, un sondage confirme que, malgré l’épisode de la Porsche, l’image du candidat DSK n’est pas écornée dans l’opinion. Avec 41 % de sympathisants socialistes qui le placent toujours en tête pour la primaire, il continue d’écraser ses rivaux. Pour son équipe, une page se tourne. Elle clôt momentanément les différentes attaques sur le train de vie du directeur général du FMI. Rien ne semble en mesure, se réjouit Borgel, de fragiliser DSK. Deux heures plus tard, un coup de téléphone rendra dérisoire toute cette partie de l’histoire.
Pour certains, elle commence le 3 février 2010 Chez Benoît, un restaurant parisien où DSK et Anne Sinclair ont retrouvé, pour dîner, quelques-uns des plus proches : les députés Jean-Christophe Cambadélis, Jean-Marie Le Guen, Jean-Jacques Urvoas et François Pupponi ; Christophe Borgel, chargé des fédérations et des élections au PS ; Gilles Finchelstein, directeur des études chez Euro RSCG et ex-conseiller de DSK ; et Anne Hommel, qui s’occupe, via Euro RSCG elle aussi, d’une partie de la communication du patron du FMI. D’emblée, celui-ci impose à ses amis la plus grande discrétion. C’est de politique que DSK veut leur parler : » Je ne tiens pas à ce qu’on accélère, à ce qu’on dise que je me prépare. Je suis encore dans une phase de réflexion. Mais si on vous pose la question, dites que je réfléchis. «
Même à Martine Aubry, il ne confie pas grand-chose. En décembre 2010, elle s’emporte devant des fidèles : » Dominique fait chier ! S’il nous dit clairement ce qu’il veut, on peut l’aider, mais il ne peut pas rentrer comme ça, au dernier moment. » Le 11 janvier 2011, la première secrétaire fait adopter le calendrier de la primaire, qui fixe la clôture des candidatures au 13 juillet. Au tour de DSK de laisser percevoir sa fureur. Malgré plusieurs tentatives, il n’a pas réussi à joindre au téléphone Martine Aubry pour tenter de la convaincre de choisir un autre agenda : la crise en Grèce a pris de l’ampleur et le directeur général du Fonds monétaire international aurait voulu pouvoir attendre la fin des assemblées annuelles du FMI, au début d’octobre, pour partir. Il faut toute la diplomatie d’un Laurent Fabius, l’un de ses interlocuteurs privilégiés, pour rappeler à Strauss-Kahn qu’il sera le premier bénéficiaire d’une campagne longue : elle lui permettra, insiste l’ex-Premier ministre, de retrouver ses marques en France, de reconquérir l’opinion et les points qu’il aura perdus dans les sondages en se déclarant candidat, bref, de réussir son » entrée dans l’atmosphère « .
Mais DSK en restera convaincu jusqu’au bout : les primaires ne sont qu’une perte de temps, de concentration et d’énergie. Après avoir longuement observé Nicolas Sarkozy pendant les sommets internationaux, le patron du FMI est prêt : la seule bataille qui vaille d’y jeter toutes ses forces, c’est l’élection présidentielle – et le fameux débat de l’entre-deux-tours.
Qu’à cela ne tienne, DSK occupe son temps autrement. Le 18 février, il déjeune avec Daniel Cohn-Bendit chez un ami commun, pour convaincre l’eurodéputé que le FMI a réellement changé sa vision de l’écologie politique. Là encore, il ne dit rien de ses intentions, mais toute la conversation, pour son interlocuteur, trahit la volonté de se présenter. DSK rencontre aussi Nicolas Hulot, au Pavillon de la reine, cet hôtel de luxe de la place des Vosges, à quelques pas du domicile parisien de Strauss-Kahn. Ils se verront une deuxième fois chez l’écrivain Dan Franck, vers la Closerie des Lilas, où l’ancien ministre de l’Economie a pris l’habitude de recevoir ses rendez-vous de travail. Hulot laisse alors entendre à son hôte que, s’il est désigné par les écologistes, il ne sera pas celui qui, comme Jean-Pierre Chevènement en 2002, fera perdre le candidat socialiste. Lui saura tirer les enseignements d’un risque d’éliminationà
La droite, de son côté, scrute à la loupe les interventions médiatiques de DSK. A l’Elysée, Emmanuel Moulin, conseiller à la présidence de la République, rédige des notes internes pour souligner les différences entre les propos tenus par celui qui est encore directeur général du FMI et les paroles du futur candidat socialiste. Nicolas Sarkozy lui-même n’est pas en reste : » Le jour où il se déclareà « , assure-t-il à plusieurs reprises, devant différents journalistes, en tapotant d’un geste entendu un tiroir de sa table de travail. Quand ce n’est pas l’un des plus hauts fonctionnaires de l’Etat qui, devant des journalistes encore, évoque clairement » une photo de M. Strauss-Kahn prise lors d’un contrôle de police, en novembre 2006, au bois de Boulogne, avec un travestià « . Jean-Jacques Urvoas, député socialiste du Finistère, très introduit dans les milieux policiers, a déjà averti DSK des attaques que la majorité prépare à son encontre. Outre les notes qu’il rédige, à la demande de Strauss-Kahn, avant telle ou telle intervention médiatique, Urvoas a un rôle : prévenir, identifier et parer les » coups » portés quand la campagne aura commencé. Malgré les avertissements de ses amis, le patron du FMI ne paraît pourtant ni particulièrement préoccupé ni bien conscient de ce qui l’attend. Jacques Attali, qu’il voit à Washington, lui déconseille même de se présenter, pour éviter la » lessiveuse » d’une campagne présidentielle. » Je ne veux pas être l’homme qui aura permis la réélection de Sarkozy « , lui rétorque DSK.
Il veut aussi aborder l’immigration avec franchise
Au début d’avril, les choses se précisent. Aux économistes qui se réunissent régulièrement chez Gilles Finchelstein pour évoquer la réforme fiscale, les services publics ou l’euro, DSK explique qu’il est convaincu de pouvoir améliorer la situation en France et qu’il a réglé la question de la candidature avec Aubry. François Villeroy de Galhau, son ancien directeur de cabinet à Bercy, mobilise aussi ses réseaux : » Soyez discrets, mais préparez-vous. «
Le 4 mai, à 8 h 30, il est chez Martine Aubry pour un nouveau tête-à-tête. A 10 heures, Laurent Fabius les rejoint. DSK voit encore une fois Martine Aubry, avant de repartir pour Washington. Ce sera la dernière.
Sa plume, Guillaume Bachelay, et Gilles Finchelstein ont planché sur la déclaration de candidature, » nettement marquée à gauche « . Il vantera le modèle économique français, apportera des solutions face à la mondialisation, proposera de nouveaux rapports au sein de l’entreprise. Il veut aussi aborder l’immigration avec franchise, constatant que les Français sont passés de la peur à la colère. L’équipe Web, la plus achevée, a déjà commencé à bouger, en testant » grandeur nature » la vitesse et les vecteurs de propagation d’une info sur le Net avec la photo de la Porsche. L’occasion pour de nombreux socialistes de demander à Strauss-Kahn l’éloignement des » communicants » avec qui il a l’habitude de travailler. » Chacun sera à sa place « , assure le futur candidat. Dans sa tête, ce n’est plus désormais qu’une question de jours.
ELISE KARLIN, AVEC MARCELO WESFREID
Il est prêt. Il pense avoir suffisamment ménagé » Martine «
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