Vivre dans un village flottant : pour le climat… et le plaisir (reportage)

Erik Raspoet Journaliste Knack

Il existe des lotissements durables en Europe, mais Schoonschip, à Amsterdam, est unique en son genre. Se balançant au gré des marées, 46 familles vivent dans un village flottant où tout tourne autour de la durabilité.

Les toilettes ne fonctionnent pas ! Manon a déjà appuyé deux fois sur le bouton de la chasse d’eau, mais pas moyen. Dommage, car elle voulait montrer comment leur utilisation s’inscrit dans la philosophie de durabilité de Schoonschip. Les 46 familles du lotissement flottant d’Amsterdam Nord utilisent un système d’aspiration sanitaire. Pour l’instant, elles rejettent encore leurs eaux dans les égouts, mais à un kilomètre de là, une bioraffinerie sera bientôt mise en service pour transformer les eaux usées du quartier en biogaz.

Manon Van der Zwaal, photographe de presse et copropriétaire d’une maison flottante, n’est pas déconcertée par cette panne. « Probablement un problème temporaire lié au contrôle de la pression », dit-elle en tapotant son smartphone d’un air amusé. Nous avons une application pour signaler et résoudre les problèmes. La connectivité est l’une des forces de Schoonschip, il y a un groupe whatsapp pour tout ».

La renommée de Schoonschip dépasse largement les frontières d’Amsterdam. Des architectes, des ingénieurs, des urbanistes et des journalistes spécialisés du monde entier sont déjà venus y jeter un coup d’œil. L’idée a germé il y a 15 ans chez Marjan De Blok, réalisatrice d’émissions, lors d’un reportage sur le geWoonboot, un centre communautaire flottant dans le nord d’Amsterdam. Elle s’est demandé si ce concept pouvait s’appliquer à une zone résidentielle. Le soir même, les premières esquisses étaient réalisées sur un format A4 et, peu de temps après, le collectif de citoyens Schoonschip était fondé.

L’endroit idéal était tout trouvé : le canal Johan Vanderhasselt, qui se détache de la très fréquentée rivière « het Ij », dans le nord d’Amsterdam. Il s’agissait autrefois d’une zone industrielle prospère comprenant une usine d’acétone et une usine d’incinération des déchets. Le quai qui donne aujourd’hui accès à la zone résidentielle appartenait à une immense usine du constructeur aéronautique Fokker, qui a été réduite en cendres par un bombardement aérien allié en 1943.

Pionnier

Douze années se sont écoulées avant l’inauguration de la première maison. Un accomplissement précédé d’un long processus d’ajustements et de démarrages. En effet, il n’existait aucun précédent ; le lotissement flottant était pionnier. Non seulement sur le plan technique, mais aussi sur le plan juridique. « Nous voulions être aussi autonomes que possible, explique Manon. Toutes les unités d’habitation sont équipées de panneaux solaires et d’une batterie domestique, interconnectés de manière à ce que nous puissions nous revendre mutuellement le surplus d’énergie. Cela semble logique, mais c’est juridiquement interdit, car vous tombez alors sous le coup de la réglementation relative aux producteurs d’électricité en tant que particulier. Nous avons dû demander le statut expérimental pour échapper à cette interdiction ».

Construire sur l’eau nécessite également une procédure d’adjudication complexe. Le gouvernement de la ville avait lancé un appel d’offres qui a été remporté par le collectif initiateur de deux offres concurrentes. Trente pontons et autant de maisons, selon les conditions. Cela s’est vite avéré être en contradiction avec l’un des objectifs, la durabilité sociale. Après de longues négociations, la ville a donné son feu vert à un concept de maisons jumelées : deux unités résidentielles s’élèvent sur la quasi-totalité des 30 pontons, abaissant ainsi le seuil financier pour les futurs propriétaires.

Le financement fut une affaire délicate. « Avant même que les logements existent, il fallait investir dans un réseau de distribution d’électricité. Les banques ont également eu du mal avec les garanties hypothécaires. Que se passait-il si l’un des deux propriétaires sous un même toit cessait de rembourser son prêt ? La vente n’était pas possible, car la maison collatérale est organiquement liée à la maison voisine, avec laquelle elle partage également un numéro de cadastre. Nous avons résolu ce problème en créant une association de propriétaires (VvE), explique Manon. Nous possédons tous un 46ème de la VvE, qui s’occupe de toutes les obligations fiscales, juridiques et administratives ».

En plus d’être confortable, l’intérieur est extrêmement bien pensé : chaque centimètre carré a été utilisé. Et il doit l’être, pour accueillir une famille avec deux enfants. L’exiguïté de l’espace intérieur est largement compensée par la vue offerte par les fenêtres. Il y a beaucoup d’eau, bien sûr, mais malgré tout une ambiance de village et de quartier. Les 30 pontons sont reliés par de larges jetées, qui constituent l’armature du quartier. En bas, les services publics desservent les maisons ; en haut, c’est la vie en plein air qui s’installe. Des jardinières, des fauteuils et des vélos sont omniprésents, des kayaks sont disséminés ici et là, et les résidents comme les visiteurs vont et viennent.

L’école est finie, les enfants courent les uns après les autres avec des pistolets à eau. Eau et bambins, une combinaison risquée ? « Nous prenons des dispositions pour qu’il y ait toujours une surveillance par un adulte, explique Manon. En outre, les enfants doivent porter des gilets de sauvetage jusqu’à ce qu’ils sachent nager. Ici, cela se fait très vite, mes enfants ont eu leur brevet de natation dès l’âge de cinq ans. Ils étaient naturellement très motivés, car quoi de mieux que de faire trempette ici par une chaude journée d’été ? Et ce n’est pas seulement pour les enfants, moi-même j’adore ça. En été, la moitié d’Amsterdam vient ici pour nager ».

Cela tient peut-être un miracle, de pouvoir s’amuser dans un canal où des usines très polluantes ont déversé leurs effluents pendant des décennies. « Nous nous sommes organisés en comité pour chaque question pendant le processus de construction », explique Manon. J’ai moi-même fait partie de la commission sur la qualité de l’eau, qui a tout fait pour obliger le gouvernement à réaliser une étude sur ce sujet, car c’était le seul moyen d’échapper à l’interdiction de la baignade. Nous avons fini par obtenir gain de cause, sur la base d’une décision de 1980 oubliée de tous. Un bureau d’études a été désigné et a fait un travail approfondi. Les boues du sol étaient effectivement pleines de métaux lourds, de PCB et de dioxines, mais curieusement, cela n’avait aucun impact sur la qualité de l’eau de baignade. Même dans les fumées de surface, rien n’a été mesuré ».

Les jetées ont été construites assez haut pour résister à la marée. Les pontons sur lesquels se trouvent les unités d’habitation sont ancrés de manière flexible, montant ou descendant de 40 centimètres entre la marée basse et la marée haute. Non, ce projet n’anticipe pas l’élévation du niveau de la mer. L’adaptation aux effets du réchauffement climatique n’était pas le point de départ. « D’ailleurs, à quoi serviraient les maisons flottantes si le reste de la ville, y compris les supermarchés et les écoles, était inondé ? En revanche, la durabilité et la pensée circulaire étaient d’autant plus importantes. Outre les panneaux solaires, toutes les maisons sont équipées d’un chauffe-eau solaire, des pompes à eau sont dissimulées sous les pontons et assurent un contrôle parfait du climat en hiver et en été, les douches sont équipées d’un système de récupération de la chaleur. La mobilité, qui a également fait l’objet d’une commission, est une question de voitures électriques partagées, de vélos partagés et de vélos à nacelle partagés. Cela ne s’est pas fait sans heurts », explique Manon. « L’appel d’offres initial prévoyait 30 places de parking, mais celles-ci ont été supprimées lors de l’arrivée au pouvoir d’un nouveau conseil municipal issu d’un accord de coalition entre les écologistes et la gauche. En guise de compensation, on nous a donné un site pour construire une centrale de mobilité ; nous avons été autorisés à faire notre propre choix parmi plusieurs fournisseurs. Comme la plupart des habitants, j’ai vendu ma voiture. Je ne l’ai jamais regretté une seconde, ce système fonctionne parfaitement ».

Gentrification

Le quartier présente une grande diversité architecturale, surtout par rapport aux normes néerlandaises. Tous les copropriétaires ont eu toute latitude pour concevoir la maison de leurs rêves, même s’ils ont dû se concerter avec les voisins partageant le ponton et le toit. « Une maison a été construite en grande partie à partir de matériaux recyclés provenant de la démolition, un bel exemple d’exploitation minière urbaine. La construction s’est déroulée sur plusieurs chantiers répartis aux Pays-Bas, raconte Manon. Notre ponton a été terminé à Nieuwegein, près d’Utrecht, et il a fallu deux jours pour le remorquer jusqu’ici. »

Schoonschip devrait connaître une extension. Un point d’attention sera alors la gentrification. Architecte, cinéaste, réalisateur de télévision, photographe, artiste, médecin, journaliste, maître-nageur, chaman, entrepreneur en économie circulaire… Vit ici une communauté blanche très éduquée. Les candidats au VeV ont été présélectionnés par des membres ayant déjà adhéré à l’association. « Nous avons essayé de coopérer avec des coopératives de logement afin de pouvoir créer des logements sociaux dans notre quartier, nuance Manon. Malheureusement, cela a échoué pour de nombreuses raisons. Mais nous avons pris deux ans de plus pour réaliser notre projet et nous avons payé beaucoup d’argent supplémentaire pour aller à l’encontre des souhaits de la municipalité, qui ne voulait pas autoriser plus de 30 ménages dans ce quartier. Grâce à notre concept de maisons jumelées, plus de gens peuvent vivre ici avec moins d’argent. Nous faisons vraiment tout pour impliquer le voisinage et nous sommes nous-mêmes impliqués dans ce qui se passe autour de nous. L’un des pontons est aménagé en espace communautaire. Nous y avons déjà accueilli un groupe de réfugiés à deux reprises, pendant des mois. Ce n’est pas un projet élitiste ».

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