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Le vent du Groenland pour nous fournir en gaz : l’ambitieux projet belge

Laetitia Theunis Journaliste

Alors que l’approvisionnement en gaz russe se tarit, le projet belge Katabata propose d’exploiter les très gros gisements éoliens du sud-est du Groenland afin d’y transformer le CO2 atmosphérique en méthane et d’assurer tous nos besoins en gaz.

Dans la contrée inhabitée et inhospitalière du sud-est du Groenland, un centre industriel énergétique pourrait voir le jour. Et alimenter la Belgique en gaz naturel. Quelque dix mille éoliennes, implantées sur un territoire grand comme un tiers de notre pays, seraient capables de produire les 220 000 térawattheures que nous consommons annuellement.

Pour ce faire, il faudrait construire, dans ce bout du monde sauvage, un réseau de transformation de l’énergie éolienne et du CO2 atmosphérique en méthane liquéfié, lequel serait ensuite transporté en bateau jusqu’à Zeebruges. Tel est le projet énergétique titanesque défendu par Damien Ernst, professeur de modélisation, optimisation et contrôle de systèmes complexes, et Xavier Fettweis, professeur de climatologie, à l’ULiège.

Le projet Katabata vient d’être validé scientifiquement. «En analysant les données collectées par les trois stations météorologiques que nous avons installées dans le sud du Groenland en 2020, nous démontrons que l’énorme potentiel éolien simulé par le modèle Mar (Modèle atmosphérique régional, étudiant les régions polaires), sur lequel travaille mon équipe depuis plusieurs années, correspond bien aux observations de vent sur le terrain, se réjouit Xavier Fettweis. A hauteur de rotor, soit à cent mètres de haut, la vitesse moyenne annuelle du vent y est de 60 à 80 km/h.» Soit environ le double de celle du vent faisant tourner les éoliennes au large du Danemark, zone considérée comme étant l’une des meilleures zones à vent de la mer du Nord.

Trois stations météo ont déjà été installées au Groenland par l’équipe liégeoise. Leurs données ont prouvé l’énorme potentiel éolien de la région.
Trois stations météo ont déjà été installées au Groenland par l’équipe liégeoise. Leurs données ont prouvé l’énorme potentiel éolien de la région. © ULiège

«Par ailleurs, plus l’air est froid, plus il est dense, reprend le climatologue. Cela facilite le fonctionnement des éoliennes, qui tournent dès lors mieux au Groenland qu’en mer du Nord pour une même vitesse de vent. En outre, dans cette région, le vent, appelé catabatique, s’écoule sans cesse sur la calotte glaciaire: sa direction est relativement constante.» Ces deux particularités permettraient aux éoliennes de fonctionner à plein régime. De plus, le modèle Mar a mis en évidence que, contrairement à l’Europe occidentale, cette région du monde ne verra pas son régime des vents baisser à la suite des changements climatiques (lire l’encadré ci-dessous).

Il faudrait une dizaine d’années pour construire le projet Katabata et le rendre opérationnel.

60 à 70 euros par mégawattheure

Ce vent devrait faire tourner des éoliennes, produisant de l’électricité utilisée sur place dans un réseau industriel générant du méthane (CH4) au départ de dioxyde de carbone (CO2). «Il faudrait construire des électrolyseurs, des dispositifs de captage de CO2 atmosphérique, ainsi que des dispositifs de méthanisation combinant H2 et CO2 pour donner du CH4. Sur place également, des usines liquéfieront ce gaz afin qu’il puisse être transporté par bateaux méthaniers – qui exigeront la construction d’un port – sur les 4 000 kilomètres séparant le sud-est du Groenland de la Belgique. Une fois arrivé à Zeebruges, il devra être déliquéfié pour être utilisé», détaille Damien Ernst.

Ses calculs révèlent qu’il serait rentable d’exploiter de la sorte l’énergie éolienne au Groenland et de la rapatrier sous forme de méthane dans nos centres de consommation. «Le prix à l’arrivée au port de Zeebruges avoisinerait 60 à 70 euros par mégawatt-heure. C’est un prix très compétitif. A titre de comparaison, actuellement, à la suite de la crise du gaz, il est à plus de 200 euros par mégawattheure.»

Toutes les technologies nécessaires au développement du projet Katabata sont d’ores et déjà maîtrisées. Si des investisseurs décidaient de le financer, il faudrait une dizaine d’années pour le construire et le rendre opérationnel. En attendant, il est urgent de réduire drastiquement notre consommation énergétique.

L’essoufflement du vent en Europe

Effet du dérèglement climatique, le vent soufflera globalement moins sur la planète. C’est déjà visible en France, où la production électrique éolienne diminue alors que le nombre de mâts croît. Comment l’expliquer? «Le moteur de la dynamique atmosphérique, laquelle génère les vents, explique Xavier Fettweis, c’est le contraste thermique entre l’Equateur et les pôles.

Or, comme ces derniers se réchauffent trois fois plus vite que l’Equateur, ce contraste s’affaiblit, faisant chuter la dynamique atmosphérique mondiale. Ce phénomène s’amplifiera dans les prochaines années, notamment en Europe.»

Le sud du Groenland pourrait toutefois profiter d’un répit. La roche y est recouverte de trois mille mètres de glace. La fonte de cette calotte sera lente tout en maintenant une température proche de zéro degré à sa surface, permettant à l’important contraste thermique de demeurer localement. Selon le modèle Mar, celui-ci sera même amplifié par l’augmentation de la température de surface des océans. «Le modèle suggère qu’en été (NDLR: alors que le contraste thermique sera au plus bas partout ailleurs dans l’hémisphère nord), le vent s’intensifiera au sud du Groenland. Et qu’en hiver, il diminuera légèrement, ce qui pourrait également être positif.

En effet, actuellement, le vent hivernal y est parfois tellement fort (plus de 200 km/h) que les éoliennes devraient cesser de tourner par sécurité: si sa vitesse diminue suffisamment à l’avenir, la production d’électricité pourrait ne pas subir d’arrêt.»

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