En 2012, le fisc britannique avait frappé un premier coup en publiant la tête des fraudeurs les plus recherchés. © DR

Vers une publicité généralisée des noms des fraudeurs du fisc?

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Une liste publique name and shame n’est pas contraire aux droits fondamentaux, notamment celui relatif à la vie privée, selon un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme.

Il est passé un peu inaperçu. Pourtant, cet arrêt de la Cour de Strasbourg, le chien de garde européen de nos droits fondamentaux, est plutôt détonnant. En 2016, un contribuable hongrois s’était plaint, devant les juges européens, de voir ses données personnelles publiées par l’autorité fiscale de son pays, au sein d’une liste de grands fraudeurs. Cette liste reprenait non seulement son nom, mais aussi son numéro d’identification nationale et l’adresse de son domicile privé. Pour le plaignant, il s’agissait d’une violation de l’article 8 de la Convention des droits de l’homme concernant le droit à la protection de la vie privée. Mais, en janvier dernier, à cinq voix contre deux, les juges de Strasbourg n’ont pas apprécié la chose de cette manière.

La Cour a considéré qu’il fallait mettre en balance les intérêts du plaignant avec l’intérêt de la société dont dépend un système fiscal fonctionnel.

Pour eux, le choix des autorités hongroises de rendre publique l’identité des fraudeurs « n’est manifestement pas dépourvu de fondement raisonnable ». Cela inclut leurs données personnelles, comme l’adresse de leur domicile et les montants d’impôts éludés qui, en l’occurrence, étaient élevés. La Cour a considéré qu’il fallait mettre en balance les intérêts du plaignant avec l’intérêt de la société dont dépend un système fiscal fonctionnel. Selon elle, l’article 8 n’a donc pas été violé.

Pour l’exemple

L’ arrêt pourrait bien constituer un feu vert à la pratique généralisée du name and shame par les autorités fiscales. Outre la Hongrie, le HMRC, le fisc britannique, est également adepte de ces listes publiques. En 2012, il avait frappé un premier coup en publiant un trombinoscope des plus grands fraudeurs du trésor de sa Majesté, un peu à l’instar des listes de fugitifs du FBI américain. Un an plus tard, il mettait en ligne une liste permanente, mise à jour tous les trimestres. Parmi les premiers noms ainsi affichés: un coiffeur, un gérant de pub, un détaillant en vin, un entrepreneur en construction… « Cela devrait encourager les fraudeurs à coopérer avec le HMRC pour éviter de se retrouver dans cette liste », avait alors déclaré le gouvernement.

En France aussi, depuis 2018, une loi relative à la lutte contre la fraude fiscale permet le name and shame, mais seulement pour les personnes morales et à partir de 50 000 euros d’impôts fraudés. La publication du nom de personnes physiques avait pourtant été évoquée, lors des discussions à l’Assemblée nationale, sans que soit inclue leur adresse privée. Mais, vu les risques d’anticonstitutionnalité, l’idée avait été abandonnée, d’autant que sans l’adresse du domicile, il y a des risques d’homonymie. Pour l’essentiel, c’était le droit à la vie privée qui posait problème aux députés français. Mais l’arrêt récent de la Cour européenne des droits de l’homme pourrait bien changer la donne, en France. Et en Belgique?

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