Aux funérailles de Monica Spear. © REUTERS/Jorge Silva

Venezuela: comment survivre dans un pays parmi les plus violents du monde?

Le Vif

Comme si l’angoisse liée aux pénuries alimentaires et de médicaments ne suffisaient pas, les Vénézuéliens doivent aussi faire face à une insécurité terrifiante dans un pays où trois personnes décèdent de mort violente toutes les heures.

L’Observatoire vénézuélien de la violence (OVV), une ONG, a comptabilisé 26.600 homicides en 2017, soit 89 pour 1.000 habitants, quinze fois plus que la moyenne mondiale.

Comment les Vénézuéliens survivent-ils dans un pays parmi les plus dangereux du monde?

Le téléphone ou la vie

Il y a deux ans, la vie de Yamileth Marcano, une institutrice de 46 ans, a basculé. Son frère Willis a été tué à coups de poings par un jeune de 19 ans qui voulait lui voler son smartphone.

Yamileth Marcano
Yamileth Marcano© AFP/Federico Parra

« Combien valait sa vie? Le prix d’un téléphone? Chaque fois que j’entends qu’un autre foyer est en deuil (pour une histoire similaire), les souvenirs remontent », raconte-t-elle à l’AFP dans sa maison de Caracas.

Son fils a abandonné ses études universitaires pour émigrer en Italie avec son père après que deux hommes à moto lui ont braqué un pistolet sur la tempe pour lui voler son téléphone, alors qu’il conduisait, en compagnie de sa mère.

« Je criais comme une folle : ‘donne-le leur!’ L’image de mon frère m’est revenue. L’insécurité tue les jeunes et les vieux. Tout le monde est exposé. On te vole dans la rue, à la plage, au marché, à l’hôpital. C’est terrible de vivre comme ça! », se lamente-t-elle.

Comme elle, la grande majorité des Vénézuéliens utilisent dans la rue un téléphone basique. Le smartphone ne sort jamais du sac ou reste à la maison.

Accompagnés par « Pana »

Les Vénézuéliens se souviennent tous de la mort de l’ex-miss Venezuela Monica Spear et de son époux, tués par balles par des délinquants en 2014 alors que leur véhicule était tombé en panne en bord de route.

Depuis, une application baptisée « Pana » (« ami » en argot vénézuélien) a été créée pour quiconque se trouve en danger sur la route. Ainsi, une équipe de six motards, lunettes noires, gilets fluorescents, communiquant par talkiewalkies, s’est portée au secours de Carmen Garcia, une étudiante en médecine tombée en panne sur une autoroute de la capitale.

Ces secours n’ont mis que huit minutes pour rejoindre le lieu, après que Carmen, qui craignait d’être attaquée, a activé l’application « Pana » sur son téléphone. Les « agents d’accompagnement », comme on les appelle, l’ont escortée jusqu’à ce qu’elle soit en lieu sûr.

« Nous tranquillisons les clients par téléphone, puis face à face. Le service est rapide, de confiance et simple. Tout le monde ne peut pas avoir une escorte ou une voiture blindée », explique à l’AFP Domingo Coronil, le directeur.

Des employés de
Des employés de « Pana »© AFP/Ronaldo Schemidt

Vitres « anticasse »

Dans un centre commercial de Caracas, Julio Cesar Perez, gérant de la société Blindacars Express, livre à un client deux camionnettes où un revêtement « anticasse » plus épais a été installé sur les vitres.

« De plus en plus de gens ont recours à ce service. Les délinquants ne font pas de différence entre les classes sociales. On a ici des véhicules de toutes les gammes », explique-t-il.

Le propriétaire des deux camionettes expliquent que la première est pour son épouse et son fils, et qu’il utilise la seconde pour voyager fréquemment de Caracas où les voleurs ont l’habitude de caillasser les véhicules afin d’obliger leurs conducteurs à sortir pour les dépouiller ou les séquestrer.

« Il se passe des choses horribles. L’insécurité a considérablement empiré, avant seul les personnels diplomatiques avaient des voitures blindées, mais au Venezuela, nous les citoyens lambda nous affrontons le même problème », explique le propriétaire, un commerçant de 44 ans, sous couvert d’anonymat.

Couvre-feu virtuel

Au crépuscule, les rues de Caracas et des autres villes du pays se vident. Autrefois effervescentes, les nuits vénézuéliennes n’existent plus.

« Ma vie nocturne s’est totalement arrêtée. Avant, je sortais tous les week-ends, mais maintenant quasiment plus. Dès que je sors de chez moi, je me sens en danger. Si je vais en discothèque, je paye un ami pour qu’il m’amène, je ne fais pas confiance aux taxis », explique Adrialis Barrios, 23 ans, employée dans la communication.

De nombreux Vénézuéliens préfèrent se retrouver entre amis chez eux. C’est plus sûr et moins cher. Les fêtards qui se risquent dehors attendent qu’il fasse jour pour rentrer.

Nuit de veille à l’aéroport

Eglis Torres, maître d’oeuvre de 60 ans, a passé il y a quelques mois la nuit sur un banc de l’aéroport de Caracas avant d’embarquer pour le Costa Rica pour un déplacement professionnel.

Avec son épouse Neila, il est arrivé à cinq heures de l’après-midi à l’aéroport où son vol partait le lendemain matin à sept heures. Sa femme a attendu que son avion décolle pour rentrer chez eux en bus.

« J’ai une vieille voiture, c’est très risqué de se retrouver en panne sur cette route si dangereuse. Le mieux c’est de rester à l’aéroport avec quelqu’un car sinon on te vole tes valises », raconte-t-il à l’AFP.

Il est habituel de voir des passagers endormis sur des bancs à l’aéroport. Mais l’aérogare n’est pas sûr pour autant. Des vols et assassinats ont été recensés. La majorité des compagnies aériennes étrangères interdisent à leur personnel de passer la nuit sur place.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire