Yanis Varoufakis © Reuters

Varoufakis: « Il n’y a pas de démocratie en Europe »

Il y a presque un an, le professeur d’économie Yanis Varoufakis quittait son poste dans le gouvernement du premier ministre Alexis Tsipras. Pendant six mois, il a vainement tenté de changer la politique d »austérité imposée par l’Europe. Depuis le 9 février, il est l’un des ténors du Democracy in Europe Movement (DiEM), un mouvement politique en faveur d’une Europe plus démocratique et transparente.

L’Europe fait-elle preuve de plus de souplesse depuis votre intervention?

Varoufakis : Au contraire, l’UE continue à commettre les mêmes erreurs qu’avant. On poursuit simplement la politique qui a causé la crise économique de 2008. L’économie continue à se détériorer, et l’Union européenne est de plus en plus autoritaire contre les états membres qui se révoltent. Et entre-temps, on ouvre les bras aux leaders autoritaires tels que le président turc Erdogan. Je suis irrité par les leaders européens qui prétendent que la crise de réfugiés ne nous laisse pas d’autre choix. Personne n’a obligé l’UE à partager le lit d’Erdogan. L’Europe avait différentes alternatives à l’accord avec la Turquie. On aurait pu laisser entrer les réfugiés et les accueillir humainement, par exemple.

Qu’espérez-vous atteindre avec le DiEM ?

Nous espérons réunir tous les mouvements européens et les personnes qui souhaitent résoudre les erreurs structurelles de l’Union européenne. Les institutions européennes refusent depuis des années d’entamer ce dialogue. On parle de dettes grecques ou de banques irlandaises, mais jamais de défauts de tissage qui peuvent entraîner ces problèmes.

En tant que ministre, vous aviez déjà dénoncé le déficit démocratique de l’Union européenne.

Sauf votre respect, ce n’est pas correct.

Que voulez-vous dire?

Imaginez-vous que demain vous allez sur la Lune. Arrivé là, vous sortez de la fusée et enlevez votre casque. Si vous prétendez que c’est le déficit d’oxygène qui vous asphyxie, vous êtes complètement idiot. Il n’y a pas de déficit d’oxygène sur la Lune, il n’y a tout simplement pas d’oxygène. Il n’y a pas de défi démocratique dans l’UE – il n’y a tout simplement pas de démocratie. Le processus décisionnel de l’Union européenne entrera dans l’histoire comme la forme de gouvernement la plus inefficace, la plus autoritaire et la plus idiote de tous les temps. C’est la raison pour laquelle l’Europe est sur le point de s’effondrer.

Où se situe le pouvoir de décision final de l’Europe que vous ambitionnez ?

L’Europe doit devenir une fédération d’états. Comme vous êtes belge, vous pensez évidemment qu’un système fédéral enlève du pouvoir aux états membres, mais ce n’est pas vrai. Aujourd’hui, le manque de structure fédérale abolit justement le pouvoir des parlements nationaux.

Ce système ne compliquera-t-il pas encore davantage le processus décisionnel européen?

Au contraire, l’Europe pourra être administrée plus facilement. Le problème principal, c’est que le parlement européen est une plaisanterie. Le parlement ne peut même pas soumettre de propositions de loi. Il ne peut ni rappeler l’Eurogroupe à l’ordre, ni ignorer le Conseil européen.

Pour cette raison, l’Europe est administrée par une alliance funeste des pays puissants. En outre, ils prennent les décisions les plus épouvantables, qu’ils n’arrivent même pas à défendre devant leur propre parlement.

Comment pouvez-vous garantir que ces pays perdront leur pouvoir dans votre système?

Prenez l’Allemagne. C’est un pays plutôt puissant dans l’Europe d’aujourd’hui. Je vous garantis qu’aujourd’hui c’est le ministre des Finances allemand Wolfgang Schäuble qui prend toutes les décisions dans l’Eurogroupe, ce qui n’arriverait plus dans un parlement véritablement démocratique, car alors l’Allemagne aurait à peine 7% des voix.

Pourquoi les pays puissants abandonneraient-ils volontairement leur pouvoir ?

S’ils ne le font pas, l’Europe s’effondrera inexorablement. Et donc l’Allemagne aussi, car l’Allemagne ne peut se passer de l’Europe. Imaginez-vous que demain l’Allemagne réintroduit le mark. L’économie s’effondrerait aussi vite.

Jeudi, le Royaume-Uni votera à propos de son adhésion à l’UE. Malgré les critiques, vous conseillez aux Britanniques de rester dans l’UE. Pourquoi ?

Parce que je suis un Européen convaincu qui croit à la pensée européenne. Les leaders actuels des institutions européennes me posent problème, parce qu’ils détruisent l’Europe. Si l’Europe est bien gérée, les Britanniques aussi ont tout avantage à en faire partie.

Beaucoup de mouvements politiques se sont déjà révoltés contre la politique d’austérité européenne, mais chaque fois sans succès. Pourquoi pensez-vous réussir cette fois-ci ?

Je suis convaincu que nous pouvons enthousiasmer beaucoup d’Européens à l’agenda radical et pro-européen. Sans nouvelle vision pro-européenne, l’Europe est condamnée. Il faut veiller à ne pas retomber dans les erreurs classiques de la gauche. Les partis de gauche me font trop souvent penser à la scène de La Vie de Brian de Monty Python, où le Front du peuple de Judée et Front du peuple judéen ne font que se quereller, alors qu’ils ont le même but.

Le citoyen européen moyen s’intéresse à peine à l’Europe. Comment pensez-vous changer cette situation ?

Je n’ai pas ce sentiment. Beaucoup d’Européens sont cyniques, parce qu’ils ne supportent plus les mensonges des Dijsselbloem, Schäuble et Juncker de ce monde. Ils réalisent que peu importe pour qui ils votent, car ces élus trahissent leurs électeurs dès le premier jour, ou sont pulvérisés et jetés dehors après six mois, comme moi.

Combien de temps vous reste-t-il à vous et votre mouvement pour sauver l’Europe?

Nous avons déjà cité 2025 comme objectif ultime. Nous estimons que nous avons encore huit ans maximum pour atteindre les réformes constitutionnelles, même si je pense que c’est une estimation assez optimiste.

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