La rédaction du Vif

Une sacrée paire invite Dena Vahdani: amours à l’iranienne

Durant six numéros, ces chroniques estivales s’ouvrent à d’autres plumes et d’autres points de vue, pour d’autant mieux questionner les inégalités de genre au sein de la société. Après l’humoriste Dena Vahdani dans ce cinquième épisode, retrouvez le 19 août l’architecte Apolline Vranken.

A l’heure où mes ami.e.s célibataires se remettent de cette période d’abstinence imposée en raison de la pandémie, les Iranien.ne.s aussi se remettent sur le marché du love. Le botox et la chirurgie plastique peuvent donner l’illusion d’un peuple qui ne vieillit pas mais, en réalité, l’Iran est (presque) confronté à une décroissance démographique.

Vivre dans une république qui subit des sanctions économiques paralysantes n’aide pas les rides, ni l’envie de faire des bébés. L’Iran a d’ailleurs eu la super idée d’interdire les vasectomies chez les hommes et les pilules contraceptives pour les femmes (sauf pour celles en danger de mort – merci, quelle gentillesse) pour booster la fertilité (mais en étant liberticide). Une autre mesure de cette politique nataliste est une « prime mariage », de quoi motiver les amoureux (de l’argent). Dans un pays où un grand nombre de mariages sont encore des mariages arrangés et où avoir un rencard peut te jeter en prison, il n’est pas étonnant que les applications de rencontre comme Tinder, Bumble ou Happn y soient interdites et carrément illégales. De plus, la loi iranienne criminalise les relations sexuelles consensuelles hors mariage – preuve qu’il n’y a pas qu’une pandémie qui peut te cockblock (terme anglais pour désigner l’empêchement d’une relation sexuelle par une action involontaire ou intentionnelle) ou te clam jam (l’équivalent féminin).

Hamdan, application de mariage

Mais en Iran, qui dit « interdit » et « illégal » dit « underground » et « bypass informatique ». La (jeune) population n’hésite pas à enfreindre les règles pour vivre une vie « normale » (proche de la vie occidentale), peu importe le prix. Certes, une partie de la population respecte les règles, mais une autre partie, elle, veut juste ken (NDLR: faire l’amour).

Pour trouver un juste milieu, l’Etat a lancé sa propre application (non pas de rencontre mais de mariage) qu’il a sagement appelée « Hamdan », qui signifie « compagnon », comme l’a récemment rapporté un article de la BBC. La grande différence avec les applications occidentales n’est pas que Hamdan est uniquement destinée à un public hétérosexuel (quelle surprise), mais que les matchs se déroulent entre deux familles. Deux familles. Hamdan est dès lors la belle-mère invasive ainsi que le père mécontent. Du coup, je ne suis pas sûr que Behrouz, Afshin ou Kamran aient encore envie d’envoyer une « dick pic » si la khalé (la tata) de sa future dulcinée garde un oeil sur la conversation.

« Une seule femme »

Quand on sait qu’en 2020, en Iran, un mariage sur trois se terminait en divorce, alors on peut se demander si Hamdan fera de meilleurs deals, matrimonialement parlant. Selon l’Etat, oui, car l’app a été développée par un organisme faisant partie de l’Organisation de propagande islamique qui utilise l’intelligence artificielle – un duo incontournable dans le business du mariage persan. De l’intelligence artificielle pour de l’amour superficiel? Les poètes Hafez, Saadi et Rumi doivent se retourner dans leur tombe… Mais donc, si deux personnes se swipent à droite, alors c’est toute la smala qui matche (drôle de coïncidence: match veut dire bisou en farsi.)

Lorsqu’une correspondance est trouvée, l’application présente les familles avec la présence de conseillers de service, qui accompagnent le couple pendant quatre ans après leur mariage (en ce qui concerne les familles, j’imagine qu’elles, elles accompagneront le couple partout, tout le temps, jusqu’à ce que la mort les sépare? ).

Dans un pays où la polygamie est légale, Hamdan précise néanmoins être uniquement destinée à des célibataires qui cherchent une seule femme. J’imagine qu’il n’y avait plus de budget pour des conseillers pour les hommes polygames (oui, car la polygamie n’est destinée qu’aux hommes, t’as cru quoi? ) et les multiples familles à gérer. Le but de Hamdan est, je cite, de « créer des familles saines dans un temps où les valeurs familiales sont menacées par le diable et les ennemis de l’Iran ». Et depuis que je suis née, j’entends toujours l’Iran parler du diable ou de ses ennemis, synonyme(s) de l’Occident et de nos valeurs (la liberté, beurk! ). Mais si le diable est la liberté, alors qu’il m’emmène en enfer!

Dena Vahdani

« Un pied à Bruxelles, l’autre en Flandre, le coeur en Iran et les yeux sous les jupes des filles. » Elle se résume comme ça, Dena Vahdani. L’humoriste bruxelloise, pour cette chronique comme pour ses spectacles (elle s’est lancée dans le stand up il y a environ deux ans), puise souvent son inspiration dans ses origines et son orientation sexuelle. Dans Dena princesse guerrière (tous les deuxièmes mardis du mois au Kings of Comedy Club, à Bruxelles), elle évoque par exemple le fait de faire son coming out lorsqu’on a des parents plutôt traditionnels… Depuis mai dernier, elle anime tous les jeudis sur Proximus Pickx son propre talk-show, Le Moment Dena. La première émission était d’ailleurs consacrée au vécu de la communauté LBGTQ+.

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