L'animateur américain Jimmy Fallon, contraint de présenter son Tonight Show depuis la maison, avec ses filles en assistantes. © GETTYIMAGES

Une note d’espoir dans une année pourrie: Zoom dans la télé

Nicolas Bogaerts Journaliste

Confinement et distanciation sociale ont bouleversé les programmes et les formats télévisuels. Et si la télé en sortait grandie, plus souple, plus réactive, plus ouverte à son public? On peut rêver.

Devenues rares en raison des mesures sanitaires, les émissions en public durant le déconfinement ont donné lieu à des situations hybrides – jauge réduite, distance de sécurité, masques, cloisons de plexiglas scindant les pupitres – au travers desquelles s’échangeaient des sourires résignés. Et puis, très vite, quelque chose s’est immiscé dans l’univers policé et très formaté de la télévision. Sur les écrans des JT, des magazines et des talk-shows, dans le sillage des mesures sanitaires qui désengorgeaient les plateaux, se sont incrustées des technologies plus domestiques dont s’était emparé le public au printemps: les intervenants, journalistes ou invités apparaissaient sur Zoom, Skype ou FaceTime. D’abord avec une résolution, un son et un cadrage pour le moins aléatoires. Puis, progressivement, le mixage voix était harmonisé, la bande passante augmentée pour affiner l’image, les décors en fond ont éclos pour agrémenter l’expérience et les invités ont été briefés. Le règne du cheap à une époque où se claironne partout l’importance d’un format vidéo rutilant et en haute définition? Pas si sûr.

Les chaînes ont donné l’impression d’une remise à plat des standards un peu figés de la télé de papa.

Une nouvelle grammaire

Ces dispositifs légers, très vites adoptés sans rougir par les médias en ligne, pure players tels que Konbini (avec le très réussi Phoner d’Anna Ravix), Binge ou encore la plateforme RTBF Vews en Belgique, ouvrent potentiellement la porte des studios télé à cette fluidité dans le choix des sujets et des intervenants, une élasticité dans l’interaction avec les audiences. Ce transfert des approches web sur les formats télé en période de confinement a été expérimenté par les late shows américains. D’abord très laborieusement. Mais progressivement, les modes d’écriture ont été adaptés, comme les choix éditoriaux, pour transformer les Jimmy Fallon, Trevor Noah et consorts en YouTubeurs améliorés. Ils ont dû adapter la grammaire de leur programme à la situation exceptionnelle. Alors qu’ils réintégraient progressivement leurs studios, ils ont conservé leurs comptes YouTube gratuits et une part non négligeable de cette tonalité dont ils étaient peu coutumiers.

Des sujets sortis de la marge

Globalement, le confinement a poussé les chaînes de télé à la réactivité. Non en raison des impératifs d’audience, mais pour assurer une continuité de présence et de pertinence. Dans l’attente de savoir à quelle sauce seront réduites les ressources publicitaires, impactant différemment la RTBF, RTL-TVI et LN24, il semble que les unes et les autres lâchent un peu la bride sur la rigidité des formats, laissant espérer un air de fraîcheur, d’improvisation sur les plateaux, de bricolage qui donne l’impression d’assister à une rénovation en temps réel, une remise à plat des standards un peu étriqués et figés de la télé de papa. A cet égard, des sujets d’ordinaire laissés à la marge ont trouvé leur place sur les plateaux, refusant de se laisser balayer par le tsunami de la pandémie. C’est le cas des questions de genre et de diversité, qui ont obtenu sur la plateforme multi- média de la RTBF Les Grenades, notamment, un porte-voix singulièrement efficace. « On a été les premières alertées par les associations de terrain, submergées par les témoignages de violences domestiques subies par les femmes », confie la journaliste Safia Kessas, initiatrice des Grenades. Portées par une certaine agilité à s’adapter aux temps anormaux, Les Grenades ont lancé une série de podcasts avec du matériel léger et des téléphones. Résultat: En tête à tête, une série disponible sur les plateformes RTBF qui réfléchit sur la place des femmes dans la crise sanitaire, la société de demain. Tout bouge, rien n’est immuable.

Trois questions à Safia Kessas, responsable diversité à la RTBF et créatrice des Grenades.

Les Grenades sont nées d’un déficit de diversité au sein des médias belges?

Ce constat a été conforté par une libération de la parole et de nouveaux modes d’expression en ligne qui réclament aussi une démocratisation des médias. Cela répond à un besoin: donner de la visibilité à des personnes ou des enjeux considérés comme mineurs, à la marge. Ainsi, Les Grenades forment à la prise de parole et permettent à des voix ou des points de vue différents de s’exprimer.

Comment s’articule la plateforme sur le Web?

Sur Facebook, Instagram, Auvio et le site info de la RTBF, nous produisons des articles, des vidéos, des podcasts parfois captés en live. Nous avons été présentes tout cet été sur La Première pour revisiter l’actu liée au genre ou à l’égalité et avons une chronique tous les mardis dans Matin Première. C’est une audience importante et ces chroniques suscitent le débat.

Quel bilan posez-vous après un peu plus d’une année d’existence?

On fait partie du paysage, en se spécialisant sur des matières spécifiques avec un regard particulier. Certaines de nos capsules ont été reprises à l’inter- national. Sur Instagram, on essaie de communiquer avec plus d’humour, pour échanger, solliciter. On voit des avancées: l’utilisation plus grande du terme féminicide, des rédactions qui traitent ces sujets de façon régulière. Plutôt que de demander comment l’actrice Maïwenn aime être regardée par un homme, on donne la parole à des expertes sur l’avortement, les violences économiques, le harcèlement, etc. Avec, au centre, l’expertise en psycho- logie et en sciences sociales. On essaie de faire réfléchir, car on sait que ces questions sont toujours très délicates.

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