A Khartoum, des Soudanaises célèbrent la signature de l'accord de paix entre le gouvernement et les rebelles. © BELGAIMAGE

Une note d’espoir dans une année pourrie: au Soudan, de la charia aux défilés de mode

Depuis la chute de son dictateur, le Soudan, naguère paria de l’Occident, ouvre une nouvelle phase démocratique, avec des élections programmées en 2022. L’espoir, enfin, de retrouver un pays pacifié.

Dans un hôtel surplombant le Nil, un défilé de mode rassemble un public de passionnés, qui applaudissent les créations présentées par des mannequins hommes et femmes. C’était début novembre, à Khartoum, la capitale soudanaise. Voilà un événement qui eût été impensable sous le règne du président Omar el-Béchir, destitué en 2019, après plusieurs mois de soulèvement populaire. L’autocrate, au pouvoir depuis plus de trente ans, avait imposé le strict respect de la charia, et les vêtements jugés indécents étaient proscrits. Tout comme l’alcool et l’apostasie.

Faut-il y voir un effet des révolutions arabes? « Non, le Soudan suit sa propre évolution historique, et il tourne le dos au monde arabe, répond le géopolitologue Marc Lavergne, de l’université de Tours, en France. Ensuite, la société soudanaise fonctionne déjà de manière relativement démocratique. A l’origine, ce sont des royaumes qui contrôlaient les routes caravanières, mais pas les territoires ni les gens. Dans ce pays très vaste et peu peuplé, chacun peut s’en aller avec ses vaches ou chameaux s’il n’est pas d’accord. Le sentiment libertaire est très ancré. L’islam soudanais lui-même est fragmenté en confréries soufis, et chacun est libre de choisir la sienne. »

Les habitants du centre du Soudan se sentent supérieurs à ceux de la périphérie.

Accord de paix

Le régime el-Béchir était affaibli: sécession du Sud, et donc perte de ressources, économie en chute libre, échec militaire au Darfour… Installé peu après sa chute, un gouvernement de transition a fait de la paix avec les rebelles une priorité. Un an plus tard, le 3 octobre 2020, un accord était signé entre le gouvernement et le Front révolutionnaire soudanais pour mettre fin à une guerre de près de deux décennies qui a fait des milliers de morts. Des foules de Soudanais en liesse ont célébré l’événement sur les avenues de la capitale. « Aujourd’hui, il s’agit de la première étape pour mettre fin aux souffrances de notre peuple dans les camps de réfugiés », indiquait le Premier ministre Abdallah Hamdok.

Pour cet ancien économiste à l’ONU, l’accord s’attelle enfin « aux racines de la crise soudanaise ». Quelles sont-elles? « C’est la dichotomie entre le centre et la périphérie, répond Marc Lavergne. Le centre, c’est Khartoum, la vallée du Nil, là où les Anglais ont créé écoles, chemin de fer, services publics, etc. De culture arabo-musulmane, leurs habitants se sentent supérieurs à ceux de la périphérie. » Notamment ceux du Darfour. Entre 2003 et 2011, cette région a été la proie d’une guerre opposant l’armée à des rebelles issus de minorités ethniques.

Durant les premières années, il aurait fait quelque 300 000 morts et 2,5 millions de déplacés. Depuis 2011, le conflit a également touché les wilayat (Etats) du Nil bleu et du Kordofan du Sud. En 2009, la Cour pénale internationale lançait un mandat d’arrêt contre Omar el-Béchir pour crimes de guerre et contre l’humanité au Darfour, ensuite pour génocide. Aujourd’hui détenu à Khartoum, il est jugé pour le coup d’Etat qui l’a porté au pouvoir en 1989 – après une courte parenthèse démocratique – et pour lequel il risque la peine de mort.

Evolution des mentalités

Naguère paria de la communauté internationale pour avoir accueilli Oussama ben Laden dans les années 1990, l’Etat soudanais s’attend à présent à la levée des sanctions économiques américaines. Dans la foulée, le Soudan est le troisième pays arabe, cette année, à nouer des relations avec Israël, après les Emirats arabes unis et Bahreïn. Autre puissance qui se rapproche, la Russie vient de signer un accord préfigurant la création d’une base navale russe à Port-Soudan, sur la mer Rouge.

« Le Soudan, c’est une évolution des mentalités qui ne s’est jamais arrêtée, constate Marc Lavergne. Dans les années 1980, j’ai enseigné à l’université de Khartoum et il y avait plus de filles que de garçons. Aujourd’hui, les jeunes de retour d’Europe ou du Golfe sont plus matérialistes et individualistes que leurs aînés. » Le Conseil législatif, pièce centrale de l’accord de transition, sera chargé de rédiger les lois jusqu’aux élections de 2022. Il devra comporter 40% de femmes. « Mais la réalité restera encore longtemps une juxtaposition de légitimités et d’adhésions tribales, religieuses, géographiques, professionnelles. Chaque individu a son équation personnelle. Les Soudanais ne cherchent pas à être un phare pour l’Afrique, mais simplement à vivre ensemble. »

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