Charles Michel et Volodymyr Zelensky. © GETTY

Zelensky à Bruxelles : pourquoi la Belgique prend « un énorme risque »

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Que risque un chef d’Etat en guerre lors d’une tournée internationale, et que risque le pays qui l’accueille ? La visite de Zelensky à Bruxelles crée l’événement. En dehors du show habituel, le président ukrainien vient dans un but bien précis : celui d’obtenir des avions de chasse occidentaux. Mais entre questions sécuritaires et risques d’espionnage, les aléas d’une telle venue sont multiples. Zelensky n’a pas grand-chose à perdre. Au contraire de la Belgique.

Zelensky en veut plus, toujours plus. Il le fait savoir à sa manière, en se rendant sur le Vieux Continent après des visites aux Etats-Unis et à Londres. Une troisième place sur le podium des priorités qui n’a pas été très appréciée par les Européens.

« L’Europe avait la volonté, elle aussi, de marquer le coup et d’organiser un événement avec sa venue. En toile de fond, on retrouve cette idée de compétition avec les Etats-Unis, même si on est alliés. Le fait que Zelensky ait également fait un détour par Londres avant de se rendre dans les institutions européennes n’a pas été très apprécié par Bruxelles », contextualise Tanguy Struye, professeur de relations internationales (UCLouvain) et chercheur au Centre d’Etude des Crises et des Conflits Internationaux (CECRI).

Zelensky veut repartir avec des avions de chasse en poche

Dans sa to-do list d’opération séduction, Zelensky a donc placé l’UE en bas de sa page de façon très calculée. « C’est un signal non-négligeable, pointe Tanguy Struye. « Il est également intéressant de noter qu’il a d’abord atterri à Paris pour voir Macron et Scholz en aparté, avant les institutions européennes. »

Au-delà du show habituel, la tournée occidentale de Zelensky a un but très clair. « Son objectif ultime est d’obtenir des avions de chasse », avance Tanguy Struye, pour qui la méthode Zelensky n’a plus de secrets. « Sa stratégie est souvent la même : il joue sur l’émotion avec les parlementaires européens, qui vont ensuite intervenir dans les médias et exercer de facto des pressions sur les gouvernements nationaux. »

Cette visite à Bruxelles – la première depuis le début du conflit en Ukraine – induit inévitablement un dispositif de sécurité exceptionnel, dont la police belge est garante.  « La Belgique a l’habitude d’encadrer des événements internationaux avec la présence de nombreux chefs d’Etats sur son territoire. Notamment avec les sommets européens ou de l’OTAN », veut rassurer le porte-parole de la police fédérale.

A quoi Zelensky s’expose-t-il concrètement en quittant l’Ukraine ?

Le modus operandi pour sécuriser une telle venue est le suivant : les évaluations réalisées par l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace (OCAM) servent de base à la préparation du dispositif de sécurité. Des mesures sont ensuite déterminées par le Centre de Crise National. Ces dernières sont opérationnalisées sur le terrain, par la police fédérale et les zones de polices bruxelloises concernées.

La police belge est-elle appuyée par des forces rapprochées du président ukrainien ? C’est plus que probable. Mais on ne saura pas comment elles se coordonnent avec les forces belges. « Pour des raisons de sécurité, la police fédérale ne souhaite pas donner de détails à ce sujet », nous indique-t-on.

Alors à quoi Zelensky s’expose-t-il concrètement en quittant l’Ukraine ? « C’est toujours un risque, car il représente une cible majeure. Il ne faut pas se leurrer : à chaque déplacement, sa vie est en danger », estime Tanguy Struye.

Les menaces externes sont diverses. « Un attentat est le plus gros risque qu’il encourt en sortant de sa forteresse. Mais sa visite bruxelloise a été tenue secrète pendant longtemps, or un attentat demanderait beaucoup de repérages. On ne peut rien exclure, mais le danger est assez minime à ce niveau-là. D’autant plus qu’il est très protégé », avance Struye.

« Ce voyage est surtout risqué pour nous »

L’autre risque majeur d’une visite internationale est invisible et silencieux. C’est celui de l’espionnage. La Belgique, tristement réputée pour ses faiblesses en termes de cybersécurité, et Bruxelles, souvent considérée comme un nid d’espions, sont deux aspects qui ont longtemps fait hésiter le président ukrainien à mettre les pieds sur notre territoire.

Sa venue, qui devait rester secrète jusqu’au dernier moment, a finalement fuité via le parlement européen. De quoi compliquer sérieusement la tâche des services de sécurité. « C’est dans cette optique que le programme de sa visite est gardé secret pour qu’il ne soit pas atteint, et qu’on ne puisse pas communiquer avec lui », explique Axel Legay, spécialiste en cybersécurité (UCLouvain).

Mais, selon Axel Legay, « ce voyage est surtout risqué pour nous. » Plus Zelensky est sur le territoire, plus des personnes seront tentées de l’approcher. « Et surtout d’atteindre les gens qui ont préparé sa visite. C’est l’enjeu. Toucher le président directement, c’est compliqué. Tenter d’atteindre les personnes qui participent au dispositif est par contre une possibilité non-nulle. Cela peut concerner tout l’entourage au sens large, comme le traducteur par exemple », prévient le professeur de l’UCLouvain.

« S’il devait arriver quelque chose à Zelensky lors de sa visite, la réputation de la Belgique serait morte. Notre fiabilité encaisserait un coup énorme au niveau mondial », s’inquiète Tanguy Struye.

Hors de sa base, Zelensky demeure néanmoins le chef de guerre de son Etat. Et doit donc régulièrement communiquer avec son cercle rapproché en Ukraine. Une brèche qui pourrait attirer les cyberespions. « Zelensky se protège avec des applications gouvernementales. On ne parle pas ici de Telegram. Il s’agit de téléphones chiffrés », précise Axel Legay.

Des outils que les politiciens détestent utiliser. Car ces téléphones sont complexes d’utilisation en comparaison avec la rapidité d’un smartphone. « Mais au final, même ces communications chiffrées doivent passer via un réseau. Il n’y a pas ‘un grand câble militaire’ inatteignable. » Et donc, elles sont aussi potentiellement attaquables. « C’est un risque qu’il prend en se déplaçant », estime Axel Legay.   

« C’est très facile d’espionner en Belgique »

A court terme, la Belgique sera encore très exposée aux tensions internationales. Elle prendra par exemple la présidence du Conseil de l’Union Européenne début 2024. Un nouveau test pour lequel « il sera intéressant de voir quel système de communication sera mis en place pour se protéger. » Car pour Axel Legay, la cybersécurité n’est pas assez considérée par le monde politique belge. « Tous les pays sont à flux tendu sur la question, et la Belgique est vraiment à la traine », déplore-t-il.

« Quand on voit comment les politiques belges jouent avec la sécurité… c’est très facile d’espionner dans notre pays. S’il y a une vraie volonté d’espionnage, le pays en question parviendra à la faire, c’est évident », appuie Tanguy Struye.

Les cyberattaques sont sournoises, silencieuses, mais redoutables. L’Europe les subit quotidiennement. Tenter d’accéder à des communications sensibles et/ou les couper sont des pratiques de plus en plus fréquentes à Bruxelles. « Accueillir cette personne (Zelensky, NDLR.) pour l’instant, je ne l’aurais pas fait. C’est un énorme risque », glisse enfin une source anonyme proche des dossiers sécuritaires.

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