Nicolas Gosset est chercheur Asie/Eurasie au Centre d’études de sécurité et défense de l’IRSD, spécialiste de la Russie, des anciens mondes soviétiques et des dynamiques géopolitiques eurasiatiques. © belga

Comment la guerre en Ukraine pourrait-elle finir? Les hypothèses de Nicolas Gosset

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Les douze mois de guerre en Ukraine n’ont pas débouché sur des perspectives de paix. Au contraire, le conflit est plus enlisé que jamais. Et les spéculations sur les futurs événements vont bon train. Passage en revue des différentes hypothèses, -de la plus probable à la plus invraisemblable- avec Nicolas Gosset, chercheur à l’Institut Royal Supérieur de Défense (IRSD).

1. Un conflit gelé, ou plutôt « Ni vraie victoire, ni vraie paix » ? Probable

Nicolas Gosset : « La terminologie du ‘conflit gelé’ se doit d’être nuancée. J’ai plutôt tendance à qualifier cette hypothèse de ‘ni vraie victoire, ni vraie paix’. Le conflit gelé voudrait dire qu’il y a une neutralisation respective de la guerre en Ukraine avec une dissipation quasi complète des combats. Or, l’incapacité éventuelle d’un des deux camps à atteindre une victoire et/ou une paix durable ne se traduit pas nécessairement par une véritable interruption du conflit.

Le terme ‘conflit gelé’ est donc trompeur. Il insinue qu’il n’y a pas de paix, mais plus de guerre. Alors que la réalité des conflits gelés ces dernières années -le cas du Karabakh est un bon exemple- c’est, paradoxalement, que rien n’est véritablement gelé. On peut plutôt parler de conflits dont l’intensité diminue et ressurgit par pics. En substance, c’est une continuation de guerre séquencée, tantôt à bas bruit, tantôt en plus forte intensité.

Tout le paradoxe est donc de définir ce qu’est un conflit gelé. Entre une ligne qui retourne à la situation du 23 février, ou une ligne qui se stabilise peut-être encore plus loin que la situation actuelle, on a 50 nuances de gris.

L’incapacité éventuelle d’un des deux camps à atteindre une victoire et/ou une paix durable ne se traduit pas nécessairement par une véritable interruption du conflit.

Nicolas Gosset

D’un point de vue très prosaïque, le conflit est déjà enlisé. La guerre de mouvement a eu lieu essentiellement lors des deux premiers mois. Lorsque les Russes ont basculé dans le Donbass, un effet d’allant leur a permis de progresser en mai et juin. Mais cet élan a été stoppé avec la prise de Sievierodonetsk et Lyssytchansk, fin juin-début juillet. Un enlisement a ensuite perduré tout l’été, jusqu’au moment où les Ukrainiens ont pu reprendre la logique de la guerre de mouvement. Actuellement, nous sommes à nouveau dans une logique statique et d’équilibre des forces. 

Cette guerre d’usure, pérenne, pourrait voir un effort de reconquête ukrainien contrebalancé par l’effort russe de mobilisation. Les vagues humaines successives permettraient alors à la Russie de tenir le coup numériquement. Dans cette hypothèse, on atteint une position d’équilibre sans parvenir à modifier significativement le rapport de force. Si les Russes ne parviennent pas à produire suffisamment de matériel, et que les Ukrainiens n’en obtiennent pas assez, les combats diminuent en intensité et les adversaires s’épuisent mutuellement.

Cette option de ‘ni vraie victoire, ni vraie paix’ est probable. »

2. Une victoire nette de l’Ukraine ? Possible, mais…

Nicolas Gosset : « Le scénario d’une reconquête et d’une victoire ukrainienne reste tout à fait possible et vraisemblable. Mais, ici aussi, tout dépend de comment on définirait leur victoire. Est-ce qu’elle signifie la reprise des frontières constitutionnelle de 1991 ? Il faut donc prendre en compte toutes les nuances qu’il peut y avoir dans la dimension d’une victoire ukrainienne. Par exemple, l’Ukraine pourrait prendre la main structurelle et définitive sur les hostilités, sans pour autant que la Russie se retire militairement et complètement du territoire ukrainien. 

Cependant, une victoire nette de l’Ukraine demanderait un soutien matériel beaucoup plus quantitatif et rapide. En l’état, on est dans un entre-deux. Une série de promesses ont été actées, elles ne sont pas vaines. Il conviendra de définir courant mars quel est le statut de l’arsenal ukrainien.

Dans l’optique d’une victoire ukrainienne, la question des munitions est plus importante que le débat qui entoure la livraison d’avions de chasse.

Nicolas Gosset

Dans l’optique d’une victoire ukrainienne, la question des munitions devrait également être résolue. Cette problématique est à mon sens primordiale. Elle l’est davantage encore que celle qui entoure la livraison d’avions de chasse, qui mérite d’être traitée, mais qui ne sera pas déterminante dans la capacité des Ukrainiens à faire à faire bouger les courbes en leur faveur. 

La victoire ukrainienne est largement possible, mais conditionnée. La logique actuelle des Ukrainiens est de tenir bon face au regain offensif des Russes, le temps que leur dispositif soit réorganisé et qu’ils puissent bénéficier de nouveau matériel. Passé le moment de la boue printanière, qui n’est pas propice à une attaque, ils pourraient alors lancer une contre-offensive comme celle qu’on a connu à Kharkiv. »

3. Une victoire russe nette ? Totalement improbable

Nicolas Gosset : « Une victoire russe nette, soit l’aboutissement de tous leurs objectifs initiaux, est totalement improbable. Si la supériorité militaire russe dans le mois qui vient est vraiment écrasante, alors Poutine pourrait renouer avec ses buts de guerre initiaux maximalistes -soit la destruction de l’armée ukrainienne, la conquête de Kiev, et l’occupation du pays jusqu’au Dniepr. Mais lorsqu’on observe ce qu’ils déploient sur le terrain actuellement, ce n’est pas de nature à leur permettre d’atteindre ces objectifs.

Une victoire nette de la Russie nécessiterait une réforme radicale de leur armée, ce qui est impossible à réaliser en temps de guerre.

Nicolas Gosset

Dans son speech, Poutine évoque à demi-mots que le Kremlin continuera jusqu’à atteindre ses buts initiaux. Mais ce ne sont que des mots. La mobilisation, lancée depuis septembre, s’est avérée extrêmement chaotique. Sur les 300.000 mobilisés, 150.000 sont déjà sur le territoire ukrainien. Qu’ont-ils réussi à faire ? De légères poussées, quelques grignotages de kilomètres çà et là. Mais la prise de Bakhmout n’est toujours pas définitive. Et la tentative de grande percée à Vougledar a échoué. Je suis donc assez circonspect par rapport à l’idée d’un scénario d’une supériorité russe écrasante. En outre, une victoire nette de la Russie nécessiterait une réforme radicale de leur armée, ce qui est impossible à réaliser en temps de guerre. »

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