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Tunisie : le parti islamiste Ennahda gagne avec 40 % des voix

Les islamistes d’Ennadha sont arrivés en tête des élections en Tunisie. Nombreux à avoir participé, le 23 octobre, au premier scrutin libre de leur histoire, les Tunisiens ont voté en masse pour le parti islamiste crédité d’environ 40% des voix à l’heure où nous mettons sous presse, il devrait largement dominer la future Assemblée constituante.

Que pèse le parti Ennahda dans la Tunisie post-Ben Ali?
La question s’est posée dès la chute du dictateur, il y a huit mois. Les élections du dimanche 23 octobre ont apporté la réponse: le parti Ennahdha a recueilli 40% des suffrages enregistrés. Les premiers résultats partiels ont confirmé ce mardi l’avance du mouvement islamiste. « Raz de marée pour Ennahda », affirme par exemple en Une le quotidien Chourouk, ce mardi, sans attendre les chiffres définitifs.

« Ce bon résultat confirme l’existence en Tunisie d’une majorité traditionaliste et la très bonne image d’un parti qui, aux yeux de beaucoup de Tunisiens, est celui qui a payé le plus lourd tribut à la dictature », explique notre envoyée spéciale, ce dimanche soir.

Quelles idées ce parti met-il en avant?

Après vingt ans d’exil forcé pour les membres de cette formation, Ennahda s’est employée à présenter un visage modéré et moderne, se réclamant ouvertement du modèle turc, pendant la campagne électorale. Le parti ne veut pas imposer la charia (loi coranique que la Libye voisine veut prendre comme source de sa législation) et ne remettra pas en cause le statut de la femme tunisienne, le plus avancé du monde arabe.

Pour l’heure, la priorité d’Ennahda affichée par son secrétaire général Hamadi Jebali juste avant le scrutin est de former « un gouvernement d’union le plus large possible qui puisse s’attaquer, dans la période transitoire, aux questions les plus urgentes qu’il s’agisse des questions économiques et sociales, de la justice ou de la police. (…) Il n’est pas souhaitable qu’il y ait un parti dominant, hégémonique, qui écrase les autres ».

Même ton rassurant dans la bouche de Rached Ghannouchi, son président et l’un de ses fondateurs: « Notre priorité est de contribuer à l’avènement d’une Tunisie démocratique. (…) Pour y parvenir, il faut privilégier le consensus. Il est indispensable que toutes les sensibilités, sans exception ni exclusion, puissent apporter leur pierre au processus. »

Qui est Rached Ghannouchi, son leader historique?

Jeune homme, Rached Ghannouchi découvre les thèses des Frères musulmans en Egypte, pendant ses études de philosophie, puis revient en Tunisie en 1969. Il multiplie les prêches enflammés dans les années 70. La formation qu’il co-fonde en 1981, le Mouvement de la tendance islamique (MTI), prend le nom d’Ennahda, Renaissance en arabe, en 1989. Il fait trembler le pouvoir tunisien au point que le père de l’indépendance, Habib Bourguiba, veut le voir « pendu au bout d’une corde ». Et son successeur, Ben Ali, le contraint à un exil de plus de 20 ans.
L’homme politique alors en exil accordait à L’Express en 1993: il expliquait que, selon lui, l’Occident devait « respecter la réalité islamique: nous sommes différents. Nous avons notre histoire, notre religion, notre civilisation. » De retour depuis fin janvier, le chef historique du mouvement islamiste tunisien se retrouve dans la position du faiseur de roi en Tunisie, sous l’apparence d’un inoffensif homme de lettres de 70 ans. Le dirigeant d’Ennahda, qui n’était pas lui-même candidat pour les élections du 23 octobre, a déjà déclaré qu’il ne briguerait pas la présidentielle. Son poste à la tête du mouvement sera remis en jeu lors du congrès d’Ennahda, prévu en novembre.

Est-ce le seul parti islamiste en Tunisie? Non, d’autres groupes islamistes, minoritaires mais plus radicaux, cherchent à faire entendre leurs voix. Pour le chercheur Pierre Vermeren, « il existe une sensibilité islamiste très forte au sein de la population tunisienne: le discours religieux, moral ou moralisateur, se nourrit de la dénonciation de la corruption et des comportements économiques mafieux. Le terreau est très favorable ».

Faut-il avoir peur de son poids politique?
« Beaucoup de Tunisiens sont inquiets, notamment de la montée de l’islamisme. Je ne crois pas que ces craintes soient fondées, même s’il faut rester vigilant. Il est normal que les islamistes aient eux aussi le droit de s’exprimer. Nous devons accepter le pluralisme », nous confiait récemment une libraire de Tunis. Pour Rached Ghannouchi, son parti a surtout été « victime de la propagande constante de l’ancien régime qui cherchait ainsi à faire peur ». Certes, le discours public est modéré et se veut rassurant, mais il semble bien plus musclé dans les mosquées. Un des motifs d’inquiétude est donc le caractère insaisissable d’Ennahda dont le nouveau visage, modéré ou radical, ne sera connu qu’après le congrès prévu en novembre.

Mais si Ennahda, laminé sous Ben Ali, s’impose comme la nouvelle force dominante, les analystes soulignent toutefois qu’il ne pourra pas gouverner seul et devra composer pour ne pas s’aliéner une société sécularisée attachée à ses acquis et rassurer les investisseurs étrangers. Le parti tendait déjà la main aux formations laïques ce mardi.

LExpress.fr

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