Donald Trump applaudit les manifestations contre les mesures de confinement, surtout quand elles sont organisées dans des Etats gouvernés par les démocrates. © getty images

Trump, les raisons de la surenchère

Le Vif

Attaques acerbes contre l’establishment démocrate, tentative de déstabilisation des gouverneurs de gauche : la communication du président franchit toutes les lignes rouges. Sa posture trouve son origine dans une opposition historique sur l’identité nationale.

Donald Trump n’a jamais été réputé pour son sens de la mesure. Dans les années 1990 et 2000, alors magnat de l’immobilier, il prenait déjà un plaisir certain à égratigner l’élite politique américaine, surtout démocrate. Une décennie plus tard, Barack Obama fut sa cible favorite. Entre autres attaques, il mit continuellement en doute sa nationalité américaine – condition sine qua non d’accès à la fonction présidentielle – et alimenta du même coup les théories républicaines fantaisistes, proches du complotisme. Connu de longue date du grand public comme un homme de spectacle proche du bouffon, Donald Trump, lui-même grand amateur de catch, suscitait l’amusement gêné des élites new-yorkaises et nationales qui lui vouaient un certain mépris. Ses ambitions présidentielles de 1988 et de 2000, d’ailleurs rapidement mises au placard, tenaient davantage de la mise en scène ou de l’effet d’annonce.  » La seule chose entravant la route de Trump vers la présidence est le bon sens du public américain « , avait alors observé, un brin caustique, un journaliste du Washington Post. Cette barrière allait sauter en 2016.

Une communication politique hors norme

Lors de sa campagne présidentielle face à Hillary Clinton, Donald Trump avait consterné les observateurs par des propos empreints d’une absence totale de décence, principalement à l’encontre des femmes et des immigrés. Son acharnement envers sa rivale démocrate avait aussi dépassé tous les standards de bienséance politique. Cette rhétorique populiste et anti- establishment qui visait à nourrir le feu du mécontentement populaire à l’endroit des édiles devait grandement participer à sa victoire électorale (en tout cas en nombre de grands électeurs), suscitant un véritable tonnerre politique révélateur de la défiance entretenue par les Américains à l’égard de leurs élites publiques.

A peine 20 % des Américains ont confiance en leur classe politique.

Ce désamour entre le peuple américain et ses représentants politiques, sur lequel surfe si habilement le président, ne date pas d’hier. Donald Trump n’est en ce sens que la manifestation concrète d’un phénomène qui trouve ses racines dans la distanciation et la méfiance des électeurs envers leur classe politique, elles-mêmes alimentées par les partis, sur fond de désaccord fondamental sur l’élément fondateur de l’identité américaine : la Constitution et ses amendements.

Depuis les premiers instants de la construction d’un Etat, et à l’exception notable d’un désaccord sur la question de l’esclavage qui devait déboucher sur une guerre civile longue de cinq ans, les deux grands partis ont toujours réussi bon gré mal gré à collaborer. A tour de rôle aux commandes du pays, ils ont conjointement pu encadrer l’essor d’une nation partie de rien et devenue en un temps record la première puissance économique et militaire mondiale, libérant par deux fois l’Europe de ses déchirements internes. La période des années 1930-1960, riche en réformes partisanes, le plus souvent démocrates, est venue mettre à mal le climat de collaboration entre les deux partis qui a longtemps prévalu après la guerre civile. En cause, un désaccord tacite et grandissant lié à des interprétations divergentes de l’identité nationale : prérogatives de l’Etat face aux droits des citoyens, importance de la dimension religieuse au sein des institutions et divergences sur la question raciale, cette dernière n’étant évoquée nulle part dans la Constitution d’une nation qui s’est construite aussi, voire surtout, sur une exploitation sans merci de l’homme noir.

Nourris par ces visons opposées des textes fondateurs, conservateurs et progressistes se sont éloignés les uns des autres jusqu’à la situation de blocage que l’on connaît aujourd’hui. Les partis eux-mêmes, toujours enclins à se nuire mutuellement, portent en partie la responsabilité de cette perte de confiance des citoyens à leur égard. La société de la politique-spectacle où la presse, surtout télévisée, et les agences de sondages créent l’actualité davantage qu’ils ne la rapportent, a fait le reste.

Un appel à la rébellion

Ainsi, de nos jours, les deux grands partis ne se montrent plus d’accord sur rien. Même la crise du coronavirus, belle occasion de réconciliation bipartisane s’il en est, se révèle le théâtre d’une foire d’empoigne permanente. Un de ses derniers épisodes est l’invitation lancée, le samedi 18 avril, par Donald Trump à  » libérer  » les Etats du Michigan, de la Virginie et du Minnesota, confinés en ces temps de crise comme nombre d’autres, mais qui présentent le seul défaut à ses yeux d’être dirigés par des démocrates. Le président, qui, dans ses récents tweets, surtout ceux à destination de la présidente démocrate de la Chambre des représentants Nancy Pelosi et du gouverneur de l’Etat de New York Andrew Cuomo, a atteint des sommets d’insolence et d’autoritarisme déplacé, en a rajouté une couche supplémentaire en encourageant les citoyens des Etats précités à remettre en cause le bien-fondé des directives de confinement édictées par ses rivaux politiques, tentant par là-même de les fragiliser. Pire, en Virginie, Donald Trump a exhorté ses partisans à se rebeller contre les législations locales sur le port d’armes, alors que celles-ci visent tout au plus à renforcer les procédures d’encadrement des achats. Donald Trump n’a pas choisi ces trois Etats par hasard : ils sont tous des Etats dit  » pivots  » pour les scrutins locaux et fédéraux, et suscitent donc la convoitise des républicains.

Dans ce contexte de sabotage en règle du dialogue bipartisan, nulle surprise que les Américains perdent tout respect pour leurs représentants. Les chiffres en la matière n’ont jamais été aussi mauvais : à peine 20 % des citoyens ont confiance en leur classe politique – ils étaient près de 80 % sous Kennedy, au début des années 1960. Seul espoir possible pour le pays : un renouvellement de la classe politique, en priorité républicaine, pour qu’elle soit moins marquée par le sectarisme identitaire. Mais rien n’indique à l’heure actuelle l’arrivée sur la scène publique d’une nouvelle génération d’élus prompts à rompre avec les habitudes délétères de leurs prédécesseurs.

Par Maxence Dozin.

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